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06/11/2018 | FRANCE | N°17BX03401

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 06 novembre 2018, 17BX03401


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 145 712,30 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C. Par un jugement n° 1302067 du 3 mars 2015, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15BX01202 du 1er juin 2016, la cour administrati

ve d'appel de Bordeaux a, sur appel de MmeA..., annulé ce jugement et rejeté la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 145 712,30 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C. Par un jugement n° 1302067 du 3 mars 2015, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15BX01202 du 1er juin 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de MmeA..., annulé ce jugement et rejeté la demande de Mme A... ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne.

Enfin, par une décision n° 404998 du 25 octobre 2017, le Conseil d'État a annulé, pour erreur de droit, cet arrêt du 1er juin 2016 en tant qu'il a rejeté la demande de Mme A...ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour.

Procédure devant la cour :

Par un mémoire, enregistré le 29 janvier 2018, l'ONIAM, représenté par MeB..., demande à la cour de réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires de Mme A... et de rejeter les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne.

Il soutient qu'une expertise aux fins de déterminer la date de consolidation serait inutile et frustratoire, que le déficit temporaire dont a souffert l'appelante du 22 juin 1992 au 1er janvier 1993 doit être ramené à 75 % puis à 10 % pour la période ultérieure et que le préjudice en résultant ne saurait excéder la somme de 7 917,90 euros, que son indemnisation au titre des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire doit être fixée aux sommes, respectivement, de 4 162 et 200 euros, que Mme A...ne justifie d'aucun préjudice sexuel ou d'agrément, d'aucune incidence professionnelle ni d'aucun déficit fonctionnel permanent, subsidiairement que l'indemnisation de ce déficit doit être fixée à la somme de 5 362 euros et que la CPAM ne dispose d'aucun recours subrogatoire à son encontre dès lors que le contentieux est postérieur au 1er juin 2010.

Par un mémoire, enregistré le 20 septembre 2018 , Mme A...demande à la cour d'annuler le jugement du 3 mars 2015, de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 145 712,30 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de sa contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C et de mettre à la charge de l'Office une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Elle soutient que son action n'est pas prescrite et qu'en application des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, il appartient à l'ONIAM de l'indemniser de ses préjudices dont elle justifie de l'existence comme du montant.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M.C...,

- les conclusions de Normand, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., représentant MmeA....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D...A...a subi, le 25 février 1985, une intervention lors de laquelle des produits sanguins lui ont été transfusés. Sa contamination par le virus de l'hépatite C a été révélée à l'occasion d'examens pratiqués en 1990. MmeA..., qui impute cette contamination aux transfusions subies en 1985, a demandé à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) de l'indemniser des préjudices qui en ont résulté. Après avoir diligenté une expertise, l'Office a rejeté cette demande, estimant la créance prescrite. Par un jugement du 3 mars 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de Mme A... tendant à ce que l'ONIAM soit condamné à lui verser la somme de 145 712,30 euros mais ce jugement a été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 1er juin 2016. Enfin, par une décision n° 404998 du 25 octobre 2017, le Conseil d'État, après avoir relevé que l'état de santé de Mme A...n'avait été consolidé qu'en 2002 et que, par suite, sa créance n'était pas atteinte par la prescription décennale, a annulé cet arrêt du 1er juin 2016 en tant qu'il a rejeté la demande de Mme A...ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour.

Sur la demande d'expertise :

2. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. " Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.

3. En l'occurrence, il résulte de l'instruction et notamment du rapport remis le 9 novembre 2012 par l'expert nommé par l'ONIAM que l'hépatite virale C de l'appelante est très certainement guérie et que la date de sa consolidation peut être fixée au 19 juillet 2002, " date à laquelle la recherche de l'ARN du virus C est négative pour la première fois. ". Si Mme A...soutient que son état de santé n'était pas consolidé à cette date, elle se borne à faire état, à l'appui de cette allégation, de l'existence de la fibrose hépatique " minime " relevée lors des examens pratiqués par fibroscan en 2005 et 2012 alors qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise susmentionné que MmeA..., qui était atteinte en 1995 d'une fibrose moyenne, ne présentait plus en septembre 2003 puis en septembre 2005 qu'une fibrose " absente ou minime ", ce dernier caractère ayant été finalement objectivé lors du fibroscan effectué le 17 aout 2012. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que sa demande, tendant à ce qu'un expert soit nommé afin de déterminer la date de consolidation de son état de santé, présente un caractère utile.

Sur les conditions d'indemnisation par l'ONIAM :

4. Le I de l'article 67 de la loi n°2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 a introduit dans le code de la santé publique un article L. 1221-14 qui confie à l'ONIAM l'indemnisation, au titre de la solidarité nationale, des victimes de préjudices résultant d'une contamination par le VHC causée par une transfusion de produits sanguins ou par une injection de médicaments dérivés du sang. Le I de l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 a complété cet article par une disposition prévoyant que l'Office et les tiers payeurs peuvent, après avoir indemnisé la victime, exercer une action subrogatoire contre l'EFS venu aux droits et obligations des établissements de transfusion sanguine à la condition que l'établissement de transfusion sanguine ait été assuré et que sa couverture d'assurance ne soit pas épuisée ou venue à expiration. L'ensemble de ces dispositions est entré en vigueur le 1er juin 2010.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme A...a été contaminée par le virus de l'hépatite C après qu'elle a subi une transfusion de produits sanguins. En outre, l'ONIAM ne fait état d'aucun élément permettant de considérer que cette contamination ne résulterait pas de cette transfusion. Par suite, en application des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, l'indemnisation des préjudices subis par Mme A... du fait de cette contamination incombe à l'Office ainsi qu'il le reconnaît, au demeurant, dans ses dernières écritures.

6. En second lieu, le présent litige n'ayant été engagé par Mme A...que le 11 juin 2013, il résulte de ce qui a été dit au point 4 du présent arrêt que l'ONIAM est seulement tenu d'indemniser Mme A...au titre de la solidarité nationale et que les tiers payeurs ne peuvent engager d'action subrogatoire qu'à l'encontre de l'Établissement français du sang. Par suite, les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne tendant à ce que l'ONIAM soit condamné à lui rembourser les débours qu'elle a exposés à raison de la contamination de Mme A...doivent être rejetées.

Sur le préjudice :

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme A...a été traitée par Interferon du 22 juin 1992 au 1er janvier 1993 et que l'expert a considéré que ce traitement a été très mal toléré avec notamment, outre un " syndrome grippal classique " une perte de poids importante, un déchaussement des dents, une perte des cheveux et un état anxio-dépressif. Par suite, il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire en résultant en le fixant au taux de 100 %. Il résulte également de l'instruction que Mme A...a subi un déficit fonctionnel temporaire de 10 % du 2 janvier 1993 à la consolidation de son état de santé, le 19 juillet 2002, du fait de la persistance d'une légère asthénie et de problèmes psychologiques en dépit d'une reprise de ses activités professionnelles dès l'année 1993. Il sera fait une juste évaluation du préjudice en résultant en le fixant à la somme totale de 8 700 euros, y compris les préjudices temporaires sexuels et d'agrément dont elle se prévaut.

8. En deuxième lieu, les souffrances physiques et morales endurées par l'appelante ont été évaluées à 3 sur une échelle de 7 et son préjudice esthétique temporaire à 2 sur une échelle identique. Par suite, il sera fait une juste appréciation du " préjudice spécifique de contamination " dont se prévaut l'appelante en le fixant à la somme globale de 4 700 euros.

9. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que l'état de santé de Mme A...est consolidé depuis le 19 juillet 2002, que l'hépatite dont elle était atteinte est très certainement guérie et qu'elle ne conserve pour seule séquelle qu'une fibrose hépatique minime difficilement décelable qui semble s'être améliorée dans le temps et dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elle entraînerait un déficit fonctionnel permanent ou aurait un retentissement sur son espérance de vie. Par suite, Mme A...n'est pas fondée à demander que l'ONIAM soit condamné à l'indemniser de ce chef de préjudice.

10. En quatrième et dernier lieu, si Mme A...soutient qu'elle a été déclarée inapte au travail en 2001, elle ne l'établit pas en se bornant à faire valoir que l'expert nommé par l'ONIAM a estimé que " l'état d'invalidité [réduit] au moins des 2/3 sa capacité de travail ou de gain, ce qui justifie l'attribution en faveur d'une pension d'invalidité de catégorie 1, tel qu'en a décidé le Tribunal Administratif de Bordeaux le 21 septembre 2001 ", alors que cette hypothétique décision juridictionnelle, dont les références sont insuffisamment précisées, n'est pas produite à l'instance et qu'en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction, compte tenu en particulier de l'absence de déficit fonctionnel permanent, que cette éventuelle invalidité présenterait un lien de causalité avec sa contamination par le virus de l'hépatite C.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM doit être condamné à verser à Mme A...la somme totale de 13 359,60 euros en réparation de ses préjudices.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à charge de l'ONIAM au titre des frais exposés pour l'instance par la CPAM. Dans les circonstances de l'espèce et en application des mêmes dispositions, il y a, en revanche, lieu de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposé pour l'instance par MmeA....

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est condamné à verser à Mme A...la somme de 13 359,60 euros en réparation de ses préjudices.

Article 2 : L'ONIAM versera à Mme A...une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

:

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...A..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne, et à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 novembre 2018.

Le rapporteur,

Manuel C...Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°17BX03401


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX03401
Date de la décision : 06/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-11-06;17bx03401 ?
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