Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 12 mars 2018 par laquelle le préfet de la Gironde a prononcé sa remise aux autorités espagnoles et la décision du même jour par laquelle il a prononcé son assignation à résidence.
Par un jugement n° 1800949 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ces décisions.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 mars 2018, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1800949 du 15 mars 2018 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Bordeaux.
Il soutient que :
- la seule maîtrise par un ressortissant étranger de la langue française ne saurait constituer une situation justifiant l'application de la dérogation, à son bénéfice, de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ;
- il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A...serait dans une situation de grande vulnérabilité ; il pourra en outre bénéficier d'un interprète en Espagne ; il ne justifie pas d'une intégration sociale et professionnelle en France ;
- l'avocat de M. A...ne lui avait d'ailleurs pas reproché de n'avoir pas fait application de l'article 17.1 du règlement du 26 juin 2013 et n'invoquait pas non plus les difficultés que pourrait rencontrer M. A...en Espagne au seul motif qu'il ne parle pas la langue de ce pays.
M.A..., auquel la procédure a été communiquée et qui en a accusé réception le 3 mai 2018, n'a pas présenté de mémoire en défense avant la clôture de l'instruction, fixée au 14 juin 2018 à 12h00 par une ordonnance du 27 avril 2018.
Il a en revanche présenté une note en délibéré le 5 juillet 2018.
M. A...a sollicité, le 6 juillet 2018, le maintien de l'aide juridictionnelle qui lui avait été accordée en première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) N° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
On été entendus à l'audience publique :
- le rapport de Mme Sabrina Ladoire,
- et les observations de MeB..., représentant M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M. E...A..., ressortissant guinéen né le 1er janvier 1990, s'est présenté à la plateforme d'accueil des demandeurs d'asile de Bordeaux le 4 janvier 2018 et a déposé une demande d'asile le 12 mars 2018. Par deux arrêtés du 12 mars 2018, le préfet de la Gironde a décidé sa remise aux autorités espagnoles et a prononcé son assignation à résidence. Par un jugement n° 1800949 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ces décisions. Le préfet de la Gironde relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. En première instance, M. A...rappelait la possibilité pour l'autorité administrative, en vertu de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant étranger même si cet examen n'incombe pas à l'Etat français, et soulignait, à l'appui de ce moyen, qu'il était originaire d'un pays francophone et qu'ainsi, " pour des considérations pratiques ", il devait voir sa demande d'asile traitée en France, compte tenu " des difficultés à se déplacer et à obtenir des renseignements sur l'état d'avancement de son dossier " auxquelles il se trouverait confronté en Espagne. Dès lors que les dispositions de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile reprennent un principe énoncé par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, sur lequel s'est fondé le tribunal pour annuler l'arrêté en litige, il ne saurait lui être reproché d'avoir retenu un moyen qui n'avait pas été invoqué devant lui. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité des décisions :
3. Pour annuler les décisions en litige, le tribunal administratif de Bordeaux a estimé que, dès lors que M. A...comprenait et parlait le français, langue officielle du pays dont il est originaire, il entrait dans un cas où la France peut, en application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, décider d'examiner la demande d'asile d'un ressortissant étranger sans s'estimer liée par les critères de détermination de l'Etat responsable.
4. Aux termes de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". En vertu de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile concernés.
5. D'une part, il ressort de la motivation de la décision de transfert que le préfet de la Gironde a examiné, comme il était tenu de le faire, les éléments du dossier de M. A...en exerçant le pouvoir d'appréciation prévu notamment par la clause discrétionnaire mentionnée ci-dessus, sans s'estimer lié par l'accord des autorités espagnoles.
6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, et en particulier de l'audition de M. A..., que ce dernier, âgé de 28 ans, a déclaré être arrivé en France récemment, en janvier 2018, et n'avoir aucune attache familiale sur le territoire national. En se prévalant de l'unique circonstance qu'il parle français et non espagnol, il ne saurait être regardé comme faisant état d'une raison humanitaire au sens des dispositions précitées de l'article 17 du règlement susvisé. Par suite, le préfet de la Gironde est fondé à soutenir qu'en s'abstenant de faire usage du pouvoir discrétionnaire dont il dispose en application de l'article 17 du règlement communautaire susvisé, il ne s'est pas livré à une appréciation manifestement erronée de la situation personnelle de M.A..., et notamment des conséquences de son éloignement vers l'Espagne.
7. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens invoqués par M. A...devant le tribunal administratif de Bordeaux.
8. En premier lieu, le préfet de la Gironde a, par arrêté du 29 janvier 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs des services de l'État dans le département, donné délégation de signature à Mme D...C..., directrice des migrations et de l'intégration, pour signer notamment toutes décisions prises en application du livre II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que toutes décisions d'éloignement et toutes décisions accessoires s'y rapportant prises en application du titre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions attaquées manque en fait.
9. En deuxième lieu, en vertu de l'article 4 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013, " Droit à l'information / 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Aux termes de l'article 5 du même règlement " Entretien individuel / (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus à l'article 4.1 de ce règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
10. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours d'un entretien individuel qui s'est déroulé le 11 janvier 2018, M. A...s'est vu remettre le guide du demandeur d'asile et la brochure prévue au paragraphe 3 de l'article 4 du règlement contenant les informations mentionnées au paragraphe 1 de cet article, notamment le guide du demandeur d'asile et les brochures " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " (A) et " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " (B). Ces documents lui ont été remis en langue française, une langue qu'il a déclaré comprendre. Il ressort également des pièces du dossier qu'une copie de l'entretien individuel, qu'il a lui-même signée, lui a été remise. Ainsi, le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas bénéficié de l'entretien visé par les dispositions précitées manque en fait.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale. Si la personne concernée est représentée par un conseil juridique ou un autre conseiller, les États membres peuvent choisir de notifier la décision à ce conseil juridique ou à cet autre conseiller plutôt qu'à la personne concernée et, le cas échéant, de communiquer la décision à la personne concernée (...)".
12. Ces dispositions n'imposent pas au préfet de notifier au ressortissant étranger l'accord de reprise en charge des autorités responsables de sa demande d'asile mais uniquement la décision prononçant son transfert vers cet état membre. Par suite, le moyen tiré de ce que l'accord de reprise en charge émis par les autorités espagnoles le 19 février 2018 n'a pas été notifié à l'intéressé est inopérant. En tout état de cause, par une lettre datée du 22 février 2018 dont M. A...ne conteste pas avoir eu connaissance, l'administration l'a informé de ce que les autorités espagnoles avaient accepté de le reprendre en charge. Enfin, en se bornant à soutenir qu'" il n'est pas évident que les informations sur les personnes ou entités susceptibles de fournir une assistante juridique à la personne concernée lui aient été communiquées avec la décision visée au §1 ", M. A...n'invoque aucun moyen suffisamment clair et précis pour permettre à la cour d'en apprécier le bien fondé.
13. En quatrième lieu, en vertu de l'article L. 742-3 du même code : " (...) Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. ".
14. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté vise notamment la convention de Genève du 28 juillet 1951, le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié, ainsi que les articles L. 742-1 à L. 741-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il mentionne que M. A...est entré irrégulièrement en France, a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture de la Gironde, que l'attestation d'enregistrement de sa demande d'asile effectuée le 11 janvier 2018 lui a été remise, et que lors de l'enregistrement de son dossier, le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé qu'il avait franchi irrégulièrement la frontière de l'Espagne où il avait déposé une demande d'asile le 22 octobre 2017. L'arrêté indique également que les autorités espagnoles, saisies le 12 février 2018 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 13 §1 du règlement (UE) n° 604/2013, ont expressément accepté la responsabilité de l'examen de sa demande d'asile le 19 février 2018. Enfin, il fait état des caractéristiques de la situation de M. A..., notamment des circonstances qu'il n'a pas de vie privée en France et n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Espagne, et considère qu'il ne relève pas des dérogations prévues aux articles 17-1 et 17-2 du règlement du 26 juin 2013. Dans ces conditions, cet arrêté expose de manière suffisante les éléments de fait et de droit sur lesquels s'est fondé le préfet de la Gironde pour prendre sa décision de remise aux autorités espagnoles. Ainsi, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cet arrêté manque en fait.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé les décisions édictées à l'encontre de M. A...le 12 mars 2018.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800949 du 15 mars 2018 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...A..., à MeB..., et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 5 juillet 2018 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller,
Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 27 juillet 2018.
Le rapporteur,
Sabrina LADOIRELe président,
Laurent POUGETLe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. Pour expédition certifiée conforme.
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N° 18BX01231