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22/06/2018 | FRANCE | N°16BX01556

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre - formation à 3, 22 juin 2018, 16BX01556


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'EURL D...et Fils a demandé le 26 janvier 2013 au tribunal administratif de Toulouse la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2008, 2009 et 2010.

Par un jugement n° 1300373 du 8 mars 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 mai 2016, l'EURL D...et Fils, représentée par

MeF..., demande à l

a cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 mars 2016 ;

2°) de pro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'EURL D...et Fils a demandé le 26 janvier 2013 au tribunal administratif de Toulouse la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2008, 2009 et 2010.

Par un jugement n° 1300373 du 8 mars 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 mai 2016, l'EURL D...et Fils, représentée par

MeF..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 mars 2016 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions susmentionnées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors que l'administration a mis en oeuvre implicitement la théorie de l'abus de droit ;

- la provision pour créance douteuse est justifiée dès lors que malgré une lettre de relance du 20 juin 2007, la facture adressée à M. G...C..., décédé le 30 novembre 2005, concernant des travaux effectués sur deux maisons lui appartenant, est demeurée impayée au 30 juin 2008 ; elle n'avait aucun moyen de connaître l'existence d'héritiers et il ne peut donc lui être fait grief de ne pas avoir cherché à obtenir le paiement de la facture auprès d'eux ; les notaires sont tenus au secret professionnel et les maisons en cause n'étaient pas habitées par M.C... ;

- la somme de 147 000 euros réintégrée au résultat de l'exercice 2008 ne constitue pas des dividendes mais des dommages et intérêts visant à réparer le préjudice subi par

M. A...D...résultant de son renoncement à percevoir les dividendes dont il a été indûment privé par une décision de l'assemblée générale extraordinaire du

18 décembre 1995 ;

- subsidiairement, cette créance de dividendes, à supposer qu'elle existe, est prescrite en application de l'article L. 223-40 du code de commerce ; sa réintégration est contraire au principe d'annualité de l'impôt ; cette créance de dividendes comportait une contrepartie constituée par la réalisation du travail de Denis D...qui a permis la réalisation du bénéfice distribuable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 novembre 2016, le ministre de l'économie et des finances conclut au non-lieu à statuer à concurrence de la somme de 635 euros correspondant aux pénalités mise à la charge de l'appelante sur le fondement de l'article 1731 du code général des impôts dont le dégrèvement a été prononcé par une décision du 29 juillet 2016 et au rejet du surplus de la requête.

Il fait valoir que, pour le surplus, aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 8 mars 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 9 mai 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caroline Gaillard ;

- et les conclusions de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'EURL D...et Fils exploite une activité d'électricien. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er juillet 2007 au 30 juin 2010, étendue au 31 décembre 2010 en matière de taxe sur la valeur ajoutée à l'issue de laquelle le service lui a notamment notifié des rehaussements d'impôt sur les sociétés relatifs aux exercices clos aux 30 juin 2008, 2009 et 2010, assortis de pénalités. L'Eurl D...et Fils relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et pénalités.

Sur l'étendue du litige :

2. Par décision du 29 juillet 2016, postérieure à l'introduction de la requête d'appel, l'administration a prononcé le dégrèvement de la somme de 635 euros, correspondant aux pénalités infligées au titre de l'article 1731 du code général des impôts en litige. Les conclusions de la requête de la société D...et Fils, sont, dans cette mesure, devenues sans objet.

Sur le surplus des conclusions de la requête :

En ce qui concerne les provisions pour créances douteuses détenue sur M.C... :

3. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. ". Aux termes du 5° du 1 de l'article 39 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : (...) Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice le montant de charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.

4. Il résulte de l'instruction que le 19 août 2005, l'EURL D...et Fils a émis une facture de 12 100 euros relative à des travaux effectués pour M. G...C...dans deux maisons dont il est propriétaire pour lesquels elle n'a pas reçu de règlement. Le 30 juin 2008, la requérante a enregistré une provision pour créance douteuse inscrite au passif du bilan pour 50 % de son montant, les 50 % restants ayant été provisionnés pour le même motif à la clôture de l'exercice suivant le 30 juin 2009. A l'issue du contrôle le service a réintégré le montant de ces provisions au motif que le risque de non recouvrement de cette créance n'était pas établi.

5. La requérante fait valoir qu'elle n'a reçu aucune réponse à sa lettre de relance faxée le 30 juin 2007 à M.C..., en faisant état du décès de ce dernier survenu le 23 novembre 2005. Toutefois le caractère irrécouvrable de la créance ne peut résulter du seul fait de la disparition de ce client, alors que l'EURL D...et Fils ne démontre pas, ainsi qu'il appartient de le faire, avoir mis en oeuvre toutes les démarches existantes pour récupérer cette créance auprès de M. G...C...avant son décès et, après celui-ci, auprès de sa succession. Le service est ainsi fondé à avoir estimé que le risque de non recouvrement de la créance n'était pas établi. Et la requérante n'est pas fondée à contester la réintégration du montant de la provision en litige.

En ce qui concerne la réintégration de la somme de 147 000 euros versée à

M. A...D...:

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ".

7. En vertu de ces dispositions, l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables les actes passés par le contribuable dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou, à défaut, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé de tels actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles.

8. L'administration a réintégré dans les résultats imposables de la société D...et Fils une somme de 147 000 euros qu'elle a regardée comme une créance acquise par la société sur M. B...D...du fait du versement d'une indemnité de même montant versée à M. A...D...et que la société n'avait pas recouvrée.

9. Il résulte de l'instruction que, par un arrêt du 14 septembre 2006, la cour d'appel de Bordeaux a annulé les délibérations de l'assemblée générale extraordinaire de la société tenue le 18 décembre 1995 en vertu desquelles M. B...D...s'était vu attribuer des bénéfices revenant à M. A...D..., son père. Le 11 février 2008, un protocole d'accord a été conclu entre la société, M. A...D..., M. B...D...et Mme E...en vertu duquel la société versait à M. A...D...une somme de 147 000 euros à titre de dommages et intérêts, ce dernier renonçant pour sa part à toute action à l'encontre de la société. Ce protocole a été homologué par jugement du tribunal de commerce de Toulouse du

9 avril 2008.

10. L'administration n'a pas remis en cause le protocole homologué, mais a seulement estimé qu'il appartenait à la société D...et Fils de constater en contrepartie de l'inscription au compte courant de M. A...D...de la somme de 147 000 euros, une créance d'égal montant à l'encontre de M. B...D.... L'administration ne s'est donc pas fondée, même implicitement, sur le caractère fictif de cet acte ni n'a estimé que ce protocole n'avait été conclu que dans le but d'atténuer les charges fiscales de la requérante. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration aurait implicitement retenu l'abus de droit et privé la requérante des garanties prévues par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales doit être écarté.

11. En deuxième lieu, en vertu des dispositions de l'article 38 du code général des impôts, le bénéfice imposable d'une société est celui qui provient des opérations de toute nature faites par cette dernière à l'exception de celles qui, en raison de leur nature ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Les renonciations à recettes et abandons de créances consentis par une entreprise au profit d'un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que les avantages octroyés par une entreprise à un tiers constituent un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.

12. A juste titre, le service a estimé que la somme à verser par la société à

M. A...D...constituait une charge déductible, mais que le règlement de cette somme avait fait naître une créance d'égal montant de la société sur M. B...D...dès lors que la somme avait pour objet d'indemniser M. A...D...du défaut de perception des dividendes que son fils s'était irrégulièrement appropriés en 1995 au détriment de son père. Et si le protocole ne fait pas état de cette créance, la société n'allègue ni a fortiori ne justifie la contrepartie qu'elle aurait obtenue de M. B...D...alors qu'elle a assumé la charge d'indemnisation de M. A...D.... L'administration est ainsi fondée à avoir regardé le défaut de recouvrement de la somme comme un acte anormal de gestion et à en avoir réintégré le montant dans les résultats imposables de la société.

13. En troisième lieu, il est constant que la créance litigieuse n'a pu être considérée comme certaine et acquise qu'en 2008, après la conclusion du protocole transactionnel et de son homologation par le tribunal de commerce. Par suite, l'administration a pu légalement la réintégrer au titre de l'exercice clos le 30 juin 2008.

14. Enfin, ainsi qu'il vient d'être dit, la somme de 147 000 euros que la société aurait dû recouvrer ne porte pas sur les dividendes versés en 1995, mais sur la créance dont la société se retrouvait détentrice sur M. B...D...à la suite de la conclusion du protocole du 11 février 2008 qui a déterminé le montant de l'indemnisation de M. A...D...pour solde de tout compte. Ce montant, au demeurant, ne correspond pas au montant des dividendes perçus irrégulièrement par M. B...D.... Par suite, la société ne peut utilement se prévaloir de ce qu'en vertu de l'article L. 223-40 du code de commerce, l'action en répétition des dividendes irrégulièrement perçus par M. B...D...était prescrite à la date à laquelle l'administration a opéré la rectification en litige.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par l'EURL D...et Fils au titre des dispositions de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de décharge des pénalités de 635 euros mise à la charge de l'EURL D...et Fils.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête et la demande présentée par l'EURL D...et Fils sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL D...et Fils et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera délivrée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 8 juin 2018 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

Mme Marianne Pouget, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 juin 2018.

Le rapporteur,

Caroline Gaillard

Le président,

Philippe Pouzoulet

Le greffier,

Florence Déligey

La République mande et ordonne ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 16BX01556


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01556
Date de la décision : 22/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux fiscal

Analyses

19-04-02-03 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Revenus des capitaux mobiliers et assimilables.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme MUNOZ-PAUZIES
Avocat(s) : CABINET CAMILLE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-06-22;16bx01556 ?
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