La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2018 | FRANCE | N°18BX01066

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre - formation à 3, 12 juin 2018, 18BX01066


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...D...a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2017 par lequel le préfet de la Charente-Maritime l'a obligée à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1702921 du 13 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces complémentaires enregistrées le 14 mars 2018, et

le 9 mai 2018, MmeD..., représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...D...a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2017 par lequel le préfet de la Charente-Maritime l'a obligée à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1702921 du 13 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces complémentaires enregistrées le 14 mars 2018, et le 9 mai 2018, MmeD..., représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 13 février 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 12 décembre 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la de la Charente-Maritime de lui délivrer un titre de séjour temporaire d'une durée d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir et, dans l'attente, lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- elle n'a pas eu communication du mémoire en défense du préfet enregistré le

8 février 2018 ;

- le jugement statue sur un refus de séjour alors que l'arrêté ne comporte pas une telle décision ;

- le jugement ne se prononce pas sur la violation de l'intérêt supérieur de ses enfants ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :

- elle est entachée d'incompétence, faute pour le préfet de justifier que

M. E...Portheret disposait d'une délégation de signature régulière à la date de la décision attaquée ;

- elle est insuffisamment motivée et a été prise sans examen approfondi de sa situation individuelle ;

- alors qu'il n'a pris aucune décision explicite de refus de séjour dans l'arrêté contesté, le préfet a examiné son droit au séjour ce qui entache sa décision d'illégalité ;

- il a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a commis une erreur manifeste d'appréciation et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dans la mesure où ses deux enfants mineurs vivent en France avec elle et sont scolarisés ;

- la mesure prononçant son éloignement a été prise sur le fondement de l'article

L. 511-1 6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que la décision de la Cour nationale du droit d'asile ne lui avait pas été notifiée et qu'elle n'était donc pas devenue définitive.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2018, le préfet de la

Charente-Maritime conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun moyen de la requérante n'est fondé.

Par ordonnance du 13 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 14 mai 2018 à 12 heures.

Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 avril 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C...a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D...est une ressortissante arménienne née le 8 février 1987. Elle est entrée irrégulièrement en France en août 2016 selon ses déclarations. Elle a déposé une demande d'asile définitivement rejetée par décision de la Cour nationale du droit d'asile du

26 octobre 2017 notifiée le 2 novembre suivant et n'a pas sollicité le réexamen de sa demande. Par arrêté du 12 décembre 2017, le préfet de la Charente-Maritime lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi Mme D...relève appel du jugement du 13 février 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

4. Il ressort des pièces du dossier qu'un mémoire en défense du préfet accompagné de pièces a été enregistré au greffe du tribunal le 8 février 2018 mais n'a pas été communiqué, alors que le premier juge s'est fondé sur ces éléments notamment pour répondre au moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué. Il suit de là que Mme D...est fondée à soutenir que le jugement attaqué est intervenu en méconnaissance du principe du contradictoire et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur l'ensemble des moyens présentés par MmeD....

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. ".

7. Le préfet a constaté que Mme D...n'avait pu obtenir le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire et que l'intéressée ne bénéficiait plus du droit de se maintenir sur le territoire français et, en application du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il a prononcé une obligation de quitter le territoire français à l'encontre de cette dernière. S'il a également examiné d'office si l'intéressée pouvait prétendre à un titre de séjour sur un autre fondement que l'asile, en l'absence de demande de la requérante, il n'était nullement tenu de prendre une décision de refus de séjour distincte de l'obligation de quitter le territoire.

8. En deuxième lieu, par un arrêté du 31 août 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs, M. Portheret, secrétaire général de la préfecture, a reçu délégation de signature du préfet de la Charente-Maritime, l'habilitant à signer les décisions prises en application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision doit être écarté.

9. En troisième lieu, l'arrêté comporte les considérations de droit en visant les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8. Il comporte les considérations de fait en mentionnant, outre la date d'arrivée en France de MmeD..., sa demande d'asile déposée le 27 septembre 2016 et rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 15 juin 2017 et par la Cour nationale du droit d'asile le 26 octobre 2017 et notifiée le 2 novembre 2017, sa situation privée et familiale et le fait que l'intéressée n'établit pas être exposée à des peines et traitements inhumains en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, et quand bien même l'arrêté ne mentionne pas la présence en France de ses deux enfants, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée manque en fait.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée ".

11. La requérante fait valoir qu'elle vit en France depuis 2016, qu'elle a deux enfants scolarisés dont elle s'occupe seule et qu'elle est bien intégrée dans la société française et dispose d'une promesse d'embauche en tant qu'employée de ménage. Toutefois la requérante, dont l'entrée sur le territoire est récente, n'établit pas être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 29 ans. Elle ne démontre ni ne pouvoir y transférer sa cellule familiale, ni que ses deux enfants mineurs ne pourraient y poursuivre leur scolarité. Dans ces conditions, la décision attaquée n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée eu égard aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés. Pour les mêmes motifs le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation sur les conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

12. En cinquième lieu, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

13. Mme D...soutient que la décision attaquée porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants. Toutefois, alors que rien ne s'oppose à la reconstitution de la cellule familiale qu'elle forme avec ses deux enfants en Arménie où elle n'allègue ni n'établit que ces enfants seraient dans l'impossibilité d'y poursuivre leur scolarité, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

14. En sixième lieu, Mme D...ne justifie pas des circonstances exceptionnelles ou de considérations humanitaires au sens de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lui ouvrant droit au séjour.

15. En septième lieu, si la motivation de l'arrêté révèle que le préfet s'est livré à l'examen de la situation de la requérante, il est vrai qu'il ne fait pas mention du fait que l'intéressée vivait avec ses deux enfants mineurs scolarisés. Mais il résulte de ce qui précède que le préfet aurait régulièrement pris la même mesure d'éloignement même s'il n'avait pas omis ce fait.

16. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile."

17. Il ressort des pièces du dossier que la décision de la Cour nationale du droit d'asile en date du 26 octobre 2017 a été régulièrement notifiée à Mme D...par un courrier dont elle a accusé réception le 2 novembre 2017. Par suite, le moyen tiré de ce qu'à la date de la décision attaquée, l'intéressée bénéficiait du droit de se maintenir sur le territoire français ne peut qu'être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la demande d'annulation de l'arrêté susvisé de Mme D...est rejetée. Par voie de conséquence, les conclusions présentées à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1702921 du 13 février 2018 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : La demande d'annulation présentée par Mme D...devant le tribunal administratif de Poitiers et le surplus de sa requête d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...D...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2018 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

Mme Marianne Pouget, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 12 juin 2018.

Le rapporteur,

Caroline C...

Le président,

Philippe Pouzoulet

Le greffier,

Florence Deligey La République mande et ordonne au Préfet de la Charente-Martime en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

7

N°18BX01066


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18BX01066
Date de la décision : 12/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme MUNOZ-PAUZIES
Avocat(s) : BONNEAU CELINE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-06-12;18bx01066 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award