Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D...a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'ordonner une expertise à l'effet de déterminer l'imputabilité à une infection nosocomiale des conséquences dommageables des interventions chirurgicales qu'il a subies, subsidiairement, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui payer une indemnité de 477 389,60 euros.
Par un jugement n° 1302469 du 2 juillet 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande et a mis à sa charge les frais d'expertise, liquidés et taxés à 1 300 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 août 2015, M.D..., représenté par MeF..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 juillet 2015 du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de condamner l'ONIAM à lui payer une indemnité de 477 389,60 euros et de mettre à sa charge, d'une part, les dépens de l'instance, d'autre part, la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) d'assortir les montants alloués des intérêts légaux à compter du 5 février 2013 eux-mêmes capitalisés ;
4°) de déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable au Régime social des indépendants de Poitou-Charentes.
Il soutient que :
- les experts agréés mandatés par la CRCI ont reconnu l'existence d'un aléa thérapeutique ; en conséquence, le litige ne pourra être tranché qu'en faveur des conclusions expertales ayant retenu l'existence de cet aléa ; l'expert a très clairement rapproché le dommage de l'intervention chirurgicale sous garrot pneumatique ; il a en outre relevé l'anormalité du dommage au regard de son état antérieur et de l'évolution prévisible de cet état ainsi que l'imprévisibilité de ce dommage ; avec un taux d'incapacité fonctionnelle de 26 %, le critère de gravité prévu par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique est rempli ;
- contre toute attente, le tribunal a retenu l'existence d'une infection nosocomiale en l'absence de preuve d'une cause étrangère ;
- l'incapacité temporaire totale du 24 au 30 novembre 2007 et du 7 décembre 2007 au 4 mars 2008 justifie l'allocation d'une indemnité de 184 euros sur la base de 23 euros par jour ; le déficit fonctionnel temporaire de 50 % du 1er décembre 2007 au 31 décembre 2008 et de 30 % du 1er janvier au 22 avril 2009 devra être évalué à 5 319,90 euros ; le préjudice esthétique temporaire et les souffrances doivent être réparés à hauteur respectivement de 2 000 euros et 8 000 euros ; pour la tierce personne, il y a lieu d'allouer 8 874 euros ; les pertes de gains professionnels s'élèvent à 12 796 euros sur la base d'un revenu mensuel de 799,75 euros ; le déficit fonctionnel permanent de 26 % justifie l'allocation de 53 300 euros ; le préjudice d'agrément résultant de l'abandon de la pêche à la ligne peut être estimé à 10 660 euros ; le préjudice esthétique permanent de 2 sur 7 sera réparé à hauteur de 3 000 euros ; les frais de véhicule adapté seront évalués à 9 979,52 euros sur la base d'un montant de 1 600 euros auquel il y a lieu d'appliquer le coefficient de capitalisation de la Gazette du Palais ; la tierce personne permanente justifie l'octroi d'une indemnité de 63 993,70 euros ; le préjudice professionnel permanent s'élève à 299 292,04 euros sous réserve de la déduction de la rente versée par le tiers payeur.
Par un mémoire, enregistré le 27 avril 2016, l'ONIAM, représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- s'agissant de l'infection nosocomiale invoquée pour la première fois en appel, le tribunal n'a en aucun cas retenu l'existence d'une telle infection ; l'infection constatée en per-opératoire résulte de la plaie occasionnée par l'accident ;
- s'agissant de l'aléa thérapeutique, l'hématome compressif n'est pas lié à l'intervention chirurgicale mais au traumatisme initial à l'origine d'un premier hématome qui a récidivé ; il ne saurait être déduit de l'absence de faute l'existence d'un accident médical non fautif ; c'est la lésion des branches les plus latérales du nerf médian qui, selon la seule expertise contradictoire, résulte du traumatisme initial et est à l'origine de la symptomatologie ; les troubles sensitifs de M. D...résultent d'une sensibilité particulière à chaque individu et sont secondaires au traumatisme à proximité des branches nerveuses concernées.
Par une ordonnance du 7 avril 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 mai suivant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau,
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., représentant M. D...et les observations de Me C..., représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Le 24 novembre 2007, M. D...qui désossait un gigot a planté son couteau à lame large au dessous de la base de son pouce gauche, vers l'éminence thénar. Sa plaie d'environ un centimètre, qualifiée de superficielle, a été nettoyée, désinfectée et traitée par collage le même jour au service des urgences du centre hospitalier de Jonzac. Le lendemain, la persistance des douleurs a conduit à placer M. D...sous antibiothérapies intraveineuse et per os puis, le 26 novembre 2007, à pratiquer une exploration chirurgicale, un drainage par crins et une hémostase. Le compte-rendu opératoire mentionnait la présence d'un hématome au niveau de la gaine des fléchisseurs de l'index et le prélèvement bactériologique a révélé la présence d'un staphylocoque doré. La persistance des paresthésies a nécessité une nouvelle exploration chirurgicale, le 7 décembre 2007, au centre hospitalier de Bordeaux au cours de laquelle a été évacué, selon le compte-rendu opératoire, un " énorme hématome au contact du nerf médian ". M.D..., qui conserve notamment une hyperesthésie de la base du pouce autour du nerf médian et des fourmillements permanents, a cessé son activité d'artisan et bénéficie d'une pension d'invalidité depuis le 1er mai 2009, a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales qui, après avoir ordonné deux expertises, remises les 25 novembre 2008 et 6 novembre 2009, a rejeté sa demande, le 4 novembre 2010. Egalement saisi, à deux reprises, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a commis des experts qui ont remis leur rapport respectivement les 10 juillet 2010 et 2 août 2012. Le 6 novembre 2013, M. D...a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à ce que soit ordonnée une nouvelle expertise à l'effet de déterminer l'imputabilité à une infection nosocomiale des suites dommageables des interventions chirurgicales subies et, subsidiairement, à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui payer une indemnité de 477 389,60 euros. Par un jugement du 2 juillet 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande et a mis à sa charge les frais des deux expertises ordonnées en référé les 3 décembre 2008 et 24 décembre 2012, liquidés et taxés au montant total de 1 300 euros. M. D...relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur l'infection nosocomiale :
2. Selon le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, lorsque la responsabilité d'un établissement mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale si elle peut être regardée comme " directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'elle a eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci ".
3. Seule une infection survenant au cours ou au décours d'une prise en charge et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale. M. D...soutient que " contre toute attente ", le tribunal a retenu l'existence d'une infection nosocomiale. Si le prélèvement bactériologique effectué le 26 novembre 2007 a révélé la présence d'un staphylocoque doré, il résulte de l'instruction, notamment des expertises, d'une part, que M. D...ne présente aucune séquelle imputable à cette infection, traitée par une antibiothérapie adaptée, d'autre part, en tout état de cause, que ladite infection résultant du traumatisme initial par un couteau souillé ne présente aucun caractère nosocomial.
Sur l'aléa thérapeutique :
4. En vertu du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, lorsque la responsabilité d'un établissement n'est pas engagée, un accident médical, ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé à l'article D. 1142-1 du même code.
5. M. D...reste atteint d'une hyperesthésie cutanée, d'une allodynie de l'éminence thénar et de la zone interdigitale adjacente assortie d'une très importante hypoesthésie de la base du pouce, avec des picotements quasi permanents et paroxysmes de la zone douloureuse. Compte tenu de son déficit fonctionnel permanent estimé par les experts à 26 %, le seuil de gravité prévu par la loi est atteint, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté en défense. Il résulte de l'instruction notamment d'au moins trois des quatre expertises concordantes sur ce point, que les problèmes douloureux et neurologiques de M. D...résultent de la compression du nerf médian du canal carpien occasionnée par la récidive, constatée à l'occasion de la seconde exploration chirurgicale du 7 décembre 2007, de la suffusion hémorragique de la partie distale du nerf médian drainée lors de la première exploration chirurgicale du 26 novembre 2007, elle-même occasionnée par le traumatisme subi lors de l'accident domestique. Le requérant se prévaut, d'une part, des conclusions de l'expertise du 6 novembre 2009 selon lesquelles " cet hématome représente un accident médical non fautif " et " cet aléa thérapeutique a créé un dommage ", d'autre part, des conclusions rendues le 7 juillet 2010 par les deux experts commis en référé selon lesquels les séquelles ne sont " pas la conséquence de l'évolution prévisible des lésions de la plaie initiale ". Contrairement à ce que soutient M.D..., aucune des quatre expertises n'a " rapproché le dommage de l'intervention chirurgicale sous garrot pneumatique ". Si un des experts a qualifié la récidive susmentionnée d'accident médical non fautif, alors au demeurant qu'il ne lui appartenait pas de le faire, il s'est en réalité prononcé sur l'anormalité et l'imprévisibilité du dommage, occasionné par la constitution de la suffusion hémorragique compressive du nerf médian, qu'il qualifie d'ailleurs d'hématome secondaire. L'expert commis en référé le 24 décembre 2012, seul à s'être expressément prononcé sur l'existence d'un lien de causalité avec un des actes de prévention, de diagnostic ou de soins rappelés au point 2, a indiqué que les dommages, résultant au surplus selon lui " du traumatisme initial et de sa localisation " et non de façon certaine de la compression du nerf médian au niveau du canal carpien " sont liés de façon certaine et directe au traumatisme initial ". Aucune des trois autres expertises dont le requérant se prévaut n'indique en quoi ses préjudices seraient directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins. Dans ces conditions, quelle que soit la qualification retenue par certains experts et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'anormalité et la gravité des dommages qu'il a subis, M. D...ne justifie pas réunir l'ensemble des conditions prévues par II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pour pouvoir prétendre à une indemnisation au titre de la solidarité nationale.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'ONIAM à lui payer une indemnité. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être accueillies. Aucun dépens n'ayant été exposé en appel, les conclusions présentées à ce titre par le requérant, qui ne conteste pas l'exacte application des dispositions de l'article R. 761-1 du même code par le tribunal, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à ce que l'arrêt à intervenir soit déclaré opposable au Régime social des indépendants :
7. En vertu de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le Régime social des indépendants de Poitou-Charentes doit être appelé en déclaration de jugement commun dans l'instance ouverte par la victime contre le tiers responsable, le juge étant, le cas échéant, tenu de mettre en cause d'office la caisse si elle n'a pas été appelée en déclaration de jugement commun. Les conclusions tendant à ce que le Régime social des indépendants de Poitou-Charentes soit appelé en déclaration d'arrêt commun doivent dès lors être accueillies. Celui-ci a été régulièrement mis en cause dans la présente instance.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt est déclaré commun au Régime Social des Indépendants de Poitou-Charentes.
Article 2 : La requête de M. D...est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et au Régime social des indépendants de Poitou-Charentes.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2017 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Gil Cornevaux, président assesseur,
Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 mai 2017.
Le rapporteur,
Marie-Thérèse Lacau Le président,
Elisabeth Jayat Le greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 15BX02856