Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser diverses indemnités en réparation des préjudices subis du fait d'illégalités fautives et des faits constitutifs de harcèlement moral commis à son encontre.
Par un jugement n° 1100816 du 17 décembre 2014, le tribunal administratif de bordeaux a condamné l'Etat à verser à M. C...la somme de 60 730,75 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2010, et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 février 2015, et des mémoires enregistrés les 9 décembre 2015 et 20 janvier 2016, M. A... C..., représenté par le Cabinet Gonelle etB..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1100816 du 17 décembre 2014 en tant que le tribunal administratif de Bordeaux n'a fait que partiellement droit à sa demande ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 361 000 euros au titre des préjudices subis ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le préjudice de carrière prend bien naissance en 2001 lors de son déplacement d'office déguisé, et se renforce en 2004 avec son exclusion temporaire de fonctions qui anéantit toute possibilité de réhabilitation avant son départ en retraite ;
- le préjudice moral lié à l'illégalité de ces sanctions disciplinaires ne peut être dissocié du contexte de harcèlement moral qui les a accompagnées ;
- les mutations d'office et l'exclusion de fonctions irrégulières, le harcèlement moral continuel, le contrôle fiscal abusif et les poursuites pénales infondées se rattachent au même grief, celui du détournement de pouvoir permanent ;
- la motivation du jugement attaqué repose sur une erreur de fait manifeste : en effet les mémoires et pièces annexes produits par le requérant mentionnent bien son grade ainsi que son accession au douzième et dernier échelon le 16 février 1998 ;
- ses chances d'avancement sont suffisamment établies, mais leur concrétisation a été subordonnée à l'abandon de la dénonciation des dysfonctionnements de son administration, en contradiction notamment avec l'article 40 du code de procédure pénale ;
- le jugement doit être réformé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions tendant à l'actualisation de l'indemnisation du préjudice financier au titre de l'année d'exclusion sans traitement : il a droit aux intérêts intercalaires afférents à la période écoulée depuis la date de rattachement des traitements perdus jusqu'à la date du jugement pour un montant de 4 551,31 euros. Les retenues fiscales et sociales indues, l'allocation complémentaire de fonctions (ACF2) ainsi que les primes de rendement 2004 et 2005 doivent produire des intérêts dans les mêmes conditions, pour un montant de 7 000 euros ;
- l'obstruction systématique de sa hiérarchie au fonctionnement contradictoire et normal des instances paritaires ou juridictionnelles relève aussi d'une stratégie de harcèlement moral ;
- le comportement de l'administration à son égard remplit tous les critères du harcèlement moral tel que l'a défini l'article 6 quinquiès de la loi no83-634 du 13 juillet 1983 ; il commence par un piège, se poursuit par d'infamantes sanctions officielles ou déguisées, jusqu'au moment où il est exclu de fonctions et sans traitement. Dès juillet 2005, à la veille de sa reprise d'activité, ses directeurs engagent des poursuites pénales abusives, programment un invraisemblable contrôle fiscal et l'accablent de notations discriminatoires. Hors l'année effective d'exclusion, il est réduit à l'isolement dans trois " placards "successifs, depuis le 12 novembre 2001, jusqu'à son départ en retraite le 2 juillet 2010 ;
- le lien de causalité directe entre les frais de contentieux et les mesures répressives engagées depuis 2001 à son encontre M. C...ne saurait être contesté.
Par mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les conclusions tendant au versement d'intérêts complémentaires sont irrecevables, et qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 45-1753 du 6 août 1945 ;
- le décret n° 2002-710 du 2 mai 2002 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Antoine Bec,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de Me B...et de M.C.dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement
Considérant ce qui suit :
1. M. C...demande à la cour de réformer le jugement du 17 décembre 2014 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser diverses indemnités en réparation des préjudices subis, et de porter la condamnation à 361 000 euros.
Sur le versement d'indemnités intercalaires :
2. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent.dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement
3. Les conclusions par lesquelles M. C...demande, au titre de l'année d'exclusion du service, le bénéfice d'intérêts complémentaires pour un montant de 7 000 euros en sus de la condamnation de première instance, demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugementeuros. Par suite, et même si les intérêts alloués au requérant par le tribunal administratif lui ont été versés par l'administration, ces conclusions ne sont pas irrecevables, et la fin de non-recevoir opposée en défense doit par suite être écartée.
Toutefois le point de départ de ces intérêts ne saurait être antérieur à la date du 4 janvier 2010, date de réception de sa réclamation préalable du 31 décembre 2009.
Les conclusions de M. C...sur ce point doivent donc être écartées.
Sur le préjudice de carrière :
4. Il résulte des pièces du dossier que les compétences professionnelles de M. C...lui permettaient de prétendre à une promotion au grade d'inspecteur départemental des impôts, que sa hiérarchie ne lui a accordée que le 13 février 2014, avec effet au 2 janvier 2010, après l'annulation par la juridiction administrative des différentes poursuites disciplinaires exercées à son encontre, et à une date trop proche de la retraite pour avoir une effectivité réelle. Le retard avec lequel est intervenue cette promotion revêt ainsi un caractère fautif de nature à engager la responsabilité de l'administration.
5. Il appartient néanmoins aux autorités investies du pouvoir de notation de tenir compte de l'ensemble des éléments relatifs au comportement de l'agent et notamment de faits extérieurs à l'exercice proprement dit de ses fonctions professionnelles, si ces faits traduisent un manquement au devoir de réserve.
En l'espèce, les raisons pour lesquelles M. C...a été dessaisi d'un contrôle fiscal en cours, et les conditions dans lesquelles ce dessaisissement est intervenu, ne pouvaient justifier la virulence de sa réaction, la teneur polémique des propos tenus sur sa hiérarchie, et la publicité qu'il a données à cet incident puis à la succession de litiges qui l'a opposé à son administration, et qui sont constitutives d'un manquement grave à l'obligation de discrétion et de réserve qui s'impose à tout fonctionnaire quelle que soit la nature du comportement de la hiérarchie à son égard.
Ainsi, la perte de chance de M. C...d'accéder au grade supérieur ne saurait être regardée comme étant exclusivement imputable aux agissements de l'administration. Eu égard aux comportements respectifs de M. C...et de l'administration, il y a lieu de laisser à la charge de M. C...la moitié des conséquences dommageables résultant du retard apporté à sa promotion.
6. Le préjudice de carrière subi par M. C...est constitué par la perte de traitement qui s'élève à un montant de 43 000 euros. Le préjudice né de la différence de taux de la prime de rendement et de l'allocation complémentaire de fonction, liée à la manière de servir de l'agent, présente un caractère éventuel et ne peut donner lieu à indemnisation.
Les effets sur la retraite de M. C...du retard mis à son avancement entre sa mise à la retraite et le présent arrêt doit être évalué à la somme de 7 200 euros. Le préjudice ultérieur revêt un caractère éventuel.
7. Il résulte de ce qui précède que le préjudice de M. C...mis à la charge de l'Etat au titre de son préjudice de carrière s'élève à 25 100 euros.
Sur le harcèlement moral :
8. S'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement, et à l'administration de démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, la qualification des faits litigieux dépend des comportements respectifs de l'administration et de l'agent.
En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui et le préjudice causé à l'agent par ces agissements doit alors être intégralement réparé.
9. En l'espèce si les pièces du dossier établissent un comportement excessif de la part de M.C..., celui-ci a suscité de la part de l'administration une suite d'agissements qui ont donné lieu à des annulations par le juge administratif et qui, par leur nature, leur intensité et leur fréquence, constituent une réponse abusive à ce comportement, et caractérisent ainsi une situation de harcèlement.
Ainsi, tant le déplacement d'office, que l'affectation, à trois reprises, dans des postes dépourvus de réalité, et l'engagement à trois reprises de poursuites disciplinaires annulées par le juge administratif, révèlent de la part de l'administration un acharnement à l'égard de son agent, à l'origine directe des débordements de ce dernier.
10. Ces faits, qui ont duré pendant dix années, ont causé à M. C...un trouble dans ses conditions d'existence dont il sera fait une juste appréciation en fixant à 40 000 euros la somme destinée à le réparer.
Sur le remboursement des frais engagés au titre des différentes instances judiciaires :
11. Le remboursement des frais et honoraires d'avocat engagés devant différentes juridictions ont été exposés pour des procédures autres que la présente requête. Il relève de l'application, au cours de chacune de ces instances, des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et ne saurait constituer un chef de préjudice distinct au titre de la présente instance.
12. Il résulte de ce qui précède que M. C... est seulement fondé à demander que la condamnation de l'Etat soit portée de 60 730,75 à 125 830,75 euros.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La somme que l'Etat est condamné à payer à M. C...en réparation des préjudices de toutes natures qu'il lui a causé est portée à 125 830 euros.
Article 2 : .Le jugement n° 1100816 du tribunal administratif de Bordeaux du 17 décembre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C...et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
M. Antoine Bec, président,
M. Pierre Bentolila, premier conseiller,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 5 décembre 2016.
L'assesseur le plus ancien dans le tableau,
Pierre BentolilaLe président,
Antoine BecLe greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 15BX00424