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31/05/2016 | FRANCE | N°14BX02603

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre (formation à 3), 31 mai 2016, 14BX02603


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Bonnie Productions et M. D...M'A... M'A... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Saint-Benoît à leur verser une indemnité de 53 600 euros au titre de leurs préjudices résultant de l'impossibilité de tenir le spectacle qui devait se dérouler le 2 février 2009 dans la salle municipale de La Hune, du fait de l'arrêté du maire du 27 janvier 2009 interdisant ledit spectacle.

Par un jugement n° 1102651 du 26 juin 2014, le tribunal administratif de Poitiers

a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Bonnie Productions et M. D...M'A... M'A... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Saint-Benoît à leur verser une indemnité de 53 600 euros au titre de leurs préjudices résultant de l'impossibilité de tenir le spectacle qui devait se dérouler le 2 février 2009 dans la salle municipale de La Hune, du fait de l'arrêté du maire du 27 janvier 2009 interdisant ledit spectacle.

Par un jugement n° 1102651 du 26 juin 2014, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 août 2014, la SARL Bonnie Productions et M. M'A... M'A..., représentés par MeC..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 juin 2014 ;

2°) de condamner la commune de Saint-Benoît à leur verser les sommes de 21 000 euros au titre du bénéfice qu'ils auraient dû réaliser, 12 600 euros au titre de la perte de bénéfice sur la vente de DVD du spectacle, 10 000 euros au titre du préjudice commercial et 10 000 euros au titre du préjudice moral ;

3°) de condamner la commune de Saint-Benoît à verser leur la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 4 mai 2016 :

- le rapport de M. Olivier Mauny ;

- les conclusions de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, rapporteur public ;

- et les observations de MeB..., représentant la commune de Saint-Benoît.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention en date du 15 décembre 2008, la commune de Saint-Benoît est convenue avec la SARL Bonnie Productions de mettre à disposition de cette dernière, à titre onéreux, la salle de spectacle de La Hune en vue de la représentation le 2 février 2009 du spectacle de M. M'A... M'A... " j'ai fait l'con ". Par décision du 22 janvier 2009, le maire de la commune a informé la SARL de sa décision " d'annuler " la représentation de M. M'A... M'A... en raison de l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de garantir la sécurité du public, du personnel et de l'artiste. Par un arrêté du 27 janvier 2009, le maire de la commune de Saint-Benoît a interdit la tenue du spectacle au regard des dangers qu'il présentait pour l'ordre public, auxquels la commune n'était pas en mesure de faire face par des mesures appropriées. Le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de la société Bonnie Productions et de M. M'A... M'A... tendant à ce qu'il soit enjoint au maire de la commune de Saint-Benoît de mettre à leur disposition la salle de La Hune. Par réclamation du 10 mars 2011, les requérants ont demandé à la commune de les indemniser des préjudices subis du fait de l'arrêté de son maire du 27 janvier 2009. Ils font appel du jugement du 26 juin 2014 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Benoît à leur verser une indemnité en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis.

Sur la régularité du jugement en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions présentées au nom de la SARL Production de la Plume :

2. Le tribunal administratif de Poitiers a rejeté comme irrecevable la demande présentée par la SARL Productions de la Plume au motif qu'elle ne justifiait d'aucun intérêt à agir et n'a pas statué sur les conclusions tendant à la condamnation de la SARL Bonnie Productions. Il ressort toutefois de la demande de première instance que la mention de la SARL Productions de la Plume et de ses coordonnées sur la seule première page de la demande procédait d'une erreur matérielle dès lors que seule était en cause, dans l'ensemble des écritures comme dans les conclusions de la demande, la SARL Bonnie Productions. Ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que la demande émanait de la SARL Productions de la Plume et qu'il n'a pas statué sur les conclusions de la SARL Bonnie Productions. Le tribunal administratif de Poitiers a entaché ce faisant son jugement d'une irrégularité et il y a lieu de statuer sur les conclusions indissociables des requérants, présentées en appel comme en première instance, par la voie de l'évocation.

Sur la responsabilité de la commune de Saint-Benoît :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

3. L'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de réunion. Les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.

4. Il résulte de l'instruction que pour interdire la représentation de M. M'A... M'A..., le maire de la commune de Saint-Benoît s'est fondé sur les risques de troubles à l'ordre public susceptibles de se produire lors de son spectacle, et notamment sur l'organisation d'une manifestation et le risque d'actions menées par des " éléments particulièrement déterminés ", auxquels les moyens de la commune ne permettaient pas de faire face. Toutefois, ces allégations ne sont étayées par aucun élément circonstancié et probant. Par ailleurs, si la commune évoque la teneur du même spectacle qui s'était tenu le 26 décembre 2008 au Zénith de Paris ainsi que le risque que des propos attentatoires à la dignité de la personne humaine soient tenus lors de la représentation, il ne résulte pas de l'instruction que la mise en scène du spectacle " j'ai fait l'con " et sa trame impliquaient la tenue de tels propos. Ainsi, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens et fondements invoqués par les requérants, en l'absence de justification de la réalité des troubles à l'ordre public qu'elle évoque, et alors qu'il appartient au maire de concilier l'exercice de ses pouvoirs de police avec la préservation des libertés fondamentales, au nombre desquelles figure la liberté d'expression, la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en interdisant ledit spectacle.

En ce qui concerne la réparation des préjudices de la SARL Bonnie Productions et de M. M'A... M'A... :

5. Si l'illégalité fautive de l'arrêté du 27 janvier 2009 est de nature à engager la responsabilité de la commune de Saint-Benoît, il appartient toutefois aux requérants de justifier des préjudices, dans leur principe et dans leur montant, dont ils demandent l'indemnisation.

6. En premier lieu, si les requérants évoquent le contrat conclu avec une société pour assurer la sécurité du spectacle, ils ne sollicitent aucune indemnisation à ce titre et ne justifient pas qu'ils auraient payé une quelconque somme au titre de ce contrat.

7. En deuxième lieu, si les requérants demandent l'indemnisation du manque à gagner résultant de ce que 290 places encore disponibles à la date de l'annulation du spectacle de même que les DVD du spectacle n'ont pu être vendus alors que M. M'A... M'A... fait généralement salle comble et que 70 % des spectateurs achètent un DVD, aucune de ces deux allégations n'est justifiée. En particulier, il n'est nullement établi que les places qui n'avaient pas encore été vendues le 27 janvier 2009 l'auraient été avant le 2 février 2009. Les requérants n'établissent donc pas la réalité du préjudice dont ils se prévalent.

8. En troisième lieu, les requérants ne sont pas fondés à demander une indemnisation à raison du prix des 310 places vendues moyennant la somme de 9 412 euros, qui a été remboursé aux spectateurs, dès lors que ce montant ne représente pas le bénéfice dont la société de production a été privée, mais uniquement le chiffre d'affaires tiré de la vente des billets. Or, la société ne peut prétendre qu'à l'indemnisation du bénéfice dont elle a été privée après déduction des charges inhérentes au spectacle. En l'absence d'éléments précis apportés par les requérants sur ce point, il sera fait une juste appréciation de ce bénéfice en le fixant à 2 000 euros, et il y a lieu, par voie de conséquence, de condamner la commune de Saint-Benoît à payer cette somme à la SARL Bonnie Productions. En revanche, en l'absence au demeurant de toute précision sur la répartition du préjudice allégué entre la SARL Bonnie Productions et M. M'A... M'A..., la demande de ce dernier, qui ne justifie, s'agissant de cette perte de bénéfice, d'aucun préjudice distinct de celui de la société de production dont il est associé, ne peut qu'être rejetée.

9. En quatrième lieu, la SARL Bonnie Productions et M. M'A... M'A... ne justifient pas de la réalité d'un préjudice commercial et moral résultant de l'interdiction de la tenue de ce spectacle.

10. Il résulte de ce qui précède que la SARL Bonnie Productions et M. M'A... M'A... sont fondés à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Poitiers et la condamnation de la commune de Saint-Benoît à verser à la SARL Bonnie Productions la somme de 2 000 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative:

11. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Saint-Benoît la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la SARL Bonnie Productions et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter la demande de M. M'A... M'A... présentée sur le même fondement. La SARL Bonnie Productions et M. M'A... M'A... n'étant pas la partie perdante à l'instance, il y a lieu de rejeter les conclusions de la commune de Saint-Benoît présentées sur le même fondement.

DECIDE

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : La commune de Saint-Benoît versera la somme de 2 000 euros à la SARL Bonnie Productions en réparation de son préjudice.

Article 3 : La commune de Saint-Benoît versera la somme de 1 000 euros à la SARL Bonnie Productions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

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N° 14BX02603


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 14BX02603
Date de la décision : 31/05/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-03-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Services de police. Police municipale. Police de la sécurité.


Composition du Tribunal
Président : Mme POUGET
Rapporteur ?: M. Olivier MAUNY
Rapporteur public ?: Mme MUNOZ-PAUZIES
Avocat(s) : VERDIER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-05-31;14bx02603 ?
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