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12/11/2015 | FRANCE | N°15BX01156

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre (formation à trois), 12 novembre 2015, 15BX01156


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme D...ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés en date du 21 octobre 2014 du préfet de la Haute-Garonne portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.

Par deux jugements n° 1405727 et 1405728 du 25 février 2015, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Procédure devant la cour :

I°) Par une requête et des pièces compl

émentaires, enregistrées le 7 avril 2015 et le 11 août 2015 sous le n° 15BX01156, Mme B...E...ép...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme D...ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés en date du 21 octobre 2014 du préfet de la Haute-Garonne portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.

Par deux jugements n° 1405727 et 1405728 du 25 février 2015, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Procédure devant la cour :

I°) Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées le 7 avril 2015 et le 11 août 2015 sous le n° 15BX01156, Mme B...E...épouseD..., représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1405728 en date du 25 février 2015 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne en date du 21 octobre 2014 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi ;

3°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ainsi que les entiers dépens, et en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, le versement à son bénéfice de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

..........................................................................................................

II°) Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées le 7 avril 2015 et le 11 août 2015 sous le n° 15BX01161, M. C...D..., représenté par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1405727 en date du 25 février 2015 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 octobre 2014 du préfet de la Haute-Garonne portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ainsi que les entiers dépens, et en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, le versement à son bénéfice de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Paul-André Braud,

- et les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et MmeD..., de nationalité arménienne, sont, selon leurs déclarations, entrés en France le 9 mai 2013. Leurs demandes d'asile, examinées en procédure prioritaire, du fait de l'inscription de l'Arménie sur la liste des pays d'origine sûrs, ont été rejetées par deux décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 28 novembre 2013. Par deux arrêtés du 21 octobre 2014, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté leurs demandes de titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Ils relèvent appel des jugements n° 1405727 et 1405728 du 25 février 2015 par lesquels le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

2. Les requêtes n° 15BX01156 et 15BX01161 sont dirigées contre deux jugements du même jour ayant statué sur la légalité de deux arrêtés du 21 octobre 2014 par lesquels le préfet de Haute-Garonne a rejeté les demandes de titres de séjour présentées par les épouxD.... Elles présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les demandes d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

3. Par deux décisions du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 7 mai 2015, M. et Mme D...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, les conclusions tendant à ce que soit prononcée leur admission provisoire à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet.

Sur la légalité des arrêtés du 21 octobre 2014 :

En ce qui concerne les refus de titre de séjour :

4. M. et Mme D...se bornent à soutenir que la motivation de ces décisions ne fait pas mention de l'ensemble des éléments afférents à leur situation. Il résulte cependant de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 que le préfet n'est pas tenu de mentionner de manière exhaustive tous les éléments concernant la situation personnelle et familiale des intéressés, mais doit seulement indiquer les circonstances de droit et de fait fondant sa décision. En l'espèce, il ressort de la motivation des arrêtés litigieux qu'ils font mention des circonstances de droit et de fait fondant les refus de titre de séjour. Le moyen tiré du défaut de motivation ne peut dès lors qu'être écarté. Il ressort par ailleurs de cette motivation que le préfet de la Haute-Garonne a procédé à un examen circonstancié de la situation de M. et MmeD....

5. Le refus de titre de séjour n'implique pas, par lui-même, le retour des intéressés dans leur pays d'origine. Dès lors, M. et Mme D...ne peuvent utilement se prévaloir des risques qu'ils encourraient en cas de retour en Arménie pour démontrer l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation du préfet de la Haute-Garonne dans l'appréciation des conséquences qu'emportent les refus de titre de séjour sur leur situation.

En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :

6. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D...ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité des refus de titre de séjour qui leur sont opposés pour contester la légalité des obligations de quitter le territoire français prises à leur encontre.

7. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger présent sur le territoire français dont la demande d'asile entre dans l'un des cas visés aux 2° à 4° de l'article L. 741-4 bénéficie du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet. En conséquence, aucune mesure d'éloignement mentionnée au livre V du présent code ne peut être mise à exécution avant la décision de l'office. (...) ". Aux termes de l'article L. 741-4 de ce code : " (...) l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si : (...) 2° L'étranger qui demande à bénéficier de l'asile a la nationalité (...) d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Garonne a refusé le 27 juin 2013 d'admettre provisoirement au séjour M. et Mme D...au motif que l'Arménie est un pays d'origine sûr, sans toutefois qu'il ressorte des termes de ces décisions que le préfet se serait cru lié par cette circonstance. Dans ces conditions, la situation de M. et Mme D...relevait du 2° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et c'est donc à bon droit que le préfet a fait application de l'article L. 742-6 de ce code. En outre, les requérants ne peuvent utilement invoquer, par voie d'exception, l'illégalité des refus d'admission provisoire au séjour opposés le 27 juin 2013 dans la mesure où ces décisions ne constituent pas la base légale des refus de titre de séjour litigieux et que ces derniers n'ont pas été pris en application des refus opposés le 27 juin 2013.

9. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

10. M. et Mme D...soutiennent qu'il est dans l'intérêt de leur enfant que cette dernière soit soignée en France et qu'ils restent à ses côtés pour subvenir à ses besoins. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des certificats médicaux produits par les requérants, que leur fille souffre d'une forme d'épilepsie partielle due à une anoxie à la naissance nécessitant un traitement médicamenteux à base de deux anti-épileptiques et de deux autres médicaments destinés à en atténuer les effets indésirables, ainsi qu'un suivi neuro-pédiatrique. Il ressort cependant du certificat médical du docteur Doubovetzky qu'il existe en Arménie un centre de neurologie pédiatrique et que les médicaments requis y sont distribués, même si leur disponibilité n'est pas garantie. Il ressort également des pièces du dossier que la fille de M. et Mme D...a été soignée en Arménie jusqu'à son arrivée en France à l'âge de onze ans. Dans ces circonstances, il ne ressort pas des pièces du dossier que le traitement nécessité par l'état de santé de cette enfant n'existerait pas en Arménie. Par suite, M. et Mme D...ne sont pas fondés à soutenir qu'il est dans l'intérêt de leur fille qu'ils restent en France. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation de la situation de leur fille doivent être écartés.

En ce qui concerne les décisions fixant le pays de renvoi :

11. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Ces stipulations et dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de renvoi ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.

12. Les requérants soutiennent que M.D..., qui était opérateur pour une chaîne de télévision, et son beau-frère ont, le 5 mai 2013, réalisé un reportage sur les élections municipales au cours duquel a été filmé un bourrage d'urnes. Après avoir quitté le bureau de vote, ils ont été poursuivis par des individus souhaitant récupérer le film. Le soir même, ces individus, qui seraient des gardes du corps du frère du président de la République d'Arménie, ont fait irruption à son domicile et l'ont battu avec son épouse, alors que son beau-frère s'enfuyait avec le film. Le lendemain le beau-frère de M. D...a été retrouvé sur un terrain de football dans un état critique, avant de décéder le 1er juillet 2013 des suites de ses blessures. Ce récit circonstancié est corroboré par des attestations de voisins, du directeur de la chaîne de télévision, du directeur de l'hôpital où a été soigné le beau-frère de M.D..., de praticiens de l'hôpital Joseph Ducuing précisant que M. et Mme D...présentent des séquelles compatibles avec leur récit. En outre, pour démontrer le caractère actuel et personnel des risques encourus en cas de retour en Arménie, les requérants produisent, pour la première fois en appel, d'une part, deux attestations d'une autorité de police datées du 10 mai et du 7 août 2013 mentionnant qu'une plainte a été déposée pour l'agression du beau-frère de M. D...et que si des mesures ont été mises en place, il est impossible pour la police d'assurer la sécurité de la famille et des proches et, d'autre part, une attestation de la mère de Mme D...indiquant qu'elle est retournée en Arménie le 28 décembre 2014 et qu'elle a été agressée le 3 janvier 2015 par des personnes souhaitant connaître l'endroit où se trouvent M. et MmeD..., et une attestation du directeur de l'hôpital de Kanaz du 4 janvier 2015 confirmant son hospitalisation pour des blessures corporelles engendrées par une bagarre avec commotion cérébrale, fractures aux côtes et fractures traumatiques. Dans ces conditions, la réalité des risques invoqués en cas de retour en Arménie doit être regardée comme suffisamment établie par les pièces du dossier, et notamment par les témoignages nombreux et concordants dont la force probante n'est pas contestée en défense. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne ne pouvait légalement décider le renvoi des intéressés en Arménie.

13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués à l'encontre des décisions fixant le pays de renvoi, que M. et Mme D...sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté les demandes tendant à l'annulation des décisions fixant le pays de renvoi.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Le présent arrêt, qui prononce l'annulation des seules décisions fixant le pays de renvoi, n'implique pas nécessairement que le préfet de la Haute-Garonne délivre à M. et Mme D...un titre de séjour, ni qu'il réexamine leur situation. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées en ce sens doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens :

15. M. et Mme D...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, leur conseil peut utilement se prévaloir de l'application combinée des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que leur conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme globale de 1 500 euros.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. et Mme D...tendant à l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Les arrêtés en date du 21 octobre 2014 du préfet de la Haute-Garonne pris à l'encontre de M. et Mme D...sont annulés en tant qu'ils fixent l'Arménie comme pays de renvoi.

Article 3 : Les jugements n°1405727 et 1405728 du 25 février 2015 du tribunal administratif de Toulouse sont réformés en ce qu'ils sont contraires au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera au conseil de M. et Mme D...une somme globale de 1 500 euros, sous réserve que ce dernier renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. et Mme D...est rejeté.

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Nos 15BX01156, 15BX01161


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre (formation à trois)
Numéro d'arrêt : 15BX01156
Date de la décision : 12/11/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Paul-André BRAUD
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2015-11-12;15bx01156 ?
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