Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Axa Corporate Solutions et la société Sadeco ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à leur verser respectivement des indemnités de 390 579 euros et 723 932 euros en réparation des préjudices subis du fait des barrages établis du 9 février au 11 mars 2009 par des manifestants.
Par un jugement n° 1201128 du 13 février 2014, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ces demandes et a mis les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés pour moitié à la charge de l'Etat et pour moitié à la charge des sociétés requérantes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 12 mars 2014, 9 juillet 2014 et 28 juillet 2014, les sociétés Axa Corporate Solutions et Sadeco, représentées par MeB..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser respectivement des indemnités de 390 579 euros et 723 932 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 2012 et capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, d'une part, les dépens et frais d'expertise, d'autre part, une somme de 15 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
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Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code des assurances ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 29 septembre 2015 :
- le rapport de Mme C...A...,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
1. La société Sadeco exploite en Martinique un hypermarché sous l'enseigne " Carrefour Dillon " dans la zone industrielle " La Lézarde " au Lamentin. Cette société et son assureur, la société d'assurances Axa Corporate Solutions, font appel du jugement du 13 février 2014 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat, d'une part, à réparer le préjudice commercial subi par la société Sadeco du fait du blocage de l'accès à son établissement par les barrages installés par des manifestants du 6 février 2009 au 11 mars 2009, d'autre part, à indemniser la société Axa Corporate Solutions, subrogée dans les droits de la société Sadeco, à raison du préjudice lié au cambriolage du magasin survenu dans la nuit du 25 au 26 février 2009.
Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
En ce qui concerne les conclusions de la société Sadeco :
2. L'obligation incombant au préfet de faire lever les obstacles qui s'opposent à l'utilisation normale du domaine public trouve sa limite dans les nécessités de l'ordre public. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à l'ampleur des troubles à l'ordre public que ce type d'intervention pouvait entraîner dans un contexte exceptionnel de graves conflits sociaux généralisés dans les deux départements des Antilles françaises, le préfet de la Martinique n'a, en s'abstenant d'utiliser la force publique pour rompre les barrages établis en février et mars 2009 par les manifestants dans le cadre d'un mouvement de grève générale contre la vie chère, pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
En ce qui concerne les conclusions de la société Axa Corporate Solutions :
3. La société Axa Corporate Solutions fait valoir en appel que le cambriolage du magasin exploité par la société Sadeco n'aurait pas eu lieu si les barrages mis en place par les manifestants avaient été levés par une intervention policière. Il résulte cependant de ce qui a été dit au point 2 que l'abstention d'utilisation de la force publique n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, présenté de caractère fautif. En tout état de cause, il n'est pas établi que cette abstention serait la cause directe et certaine du préjudice lié au cambriolage en cause. Les conclusions de société Axa Corporate Solutions ne peuvent ainsi être accueillies sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'Etat.
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales alors applicable, désormais repris à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ".
En ce qui concerne les conclusions de la société Sadeco :
5. Il est établi, notamment par les nombreux constats d'huissiers dressés à compter du 6 février 2009 décrivant les barrages installés à l'entrée de la zone industrielle de la Lézarde où se trouve l'établissement de la société Sadeco, que ces agissements sont constitutifs des délits d'entrave à la circulation et à la liberté du travail commis à force ouverte par un rassemblement précisément identifié composé de manifestants qui avaient lancé un mouvement de grève générale contre la vie chère. Toutefois, à supposer que la totalité du préjudice commercial subi par la société requérante résulte de manière directe et certaine des agissements en cause, ceux-ci ne peuvent, dans les circonstances de l'espèce, être regardés, eu égard à leur caractère prémédité et organisé révélé par la concertation et les mesures de surveillance qu'impliquait le maintien des barrages pendant une telle durée, comme ayant été le fait d'un attroupement ou d'un rassemblement au sens de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales.
En ce qui concerne les conclusions de la société Axa Corporate Solutions :
6. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il résulte de l'instruction que le cambriolage du magasin " Carrefour " survenu dans la nuit du 25 au 26 février 2009 a été commis par un petit groupe de personnes opérant en marge des actions de maintien des barrages et selon des méthodes révélant leur caractère prémédité et organisé. Il n'est dès lors pas établi que ce cambriolage ait été en relation avec un attroupement ou un rassemblement au sens de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales.
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques :
En ce qui concerne les conclusions de la société Sadeco :
7. Les dommages résultant de l'abstention de l'autorité administrative compétente de prendre les mesures nécessaires pour rétablir l'ordre ne peuvent, lorsque cette abstention n'est pas fautive, engager la responsabilité de cette autorité que si cette abstention a été directement à l'origine d'un dommage anormal et spécial. Si la société Sadeco fait valoir qu'elle a subi du fait de l'interruption de son activité du 6 février au 11 mars 2009 une perte d'exploitation évaluée à 723 932 euros par l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, elle n'établit pas, eu égard au caractère général du blocage qui, contrairement à ce qu'elle soutient, a nécessairement affecté la quasi-totalité des entreprises implantées en Martinique, avoir subi un préjudice spécial susceptible d'être indemnisé sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques.
En ce qui concerne les conclusions de la société Axa Corporate Solutions :
8. Ainsi qu'il a été dit au point 3, il n'est pas établi que l'abstention du préfet de la Martinique à prendre les mesures nécessaires pour rompre les barrages installés par les manifestants serait la cause directe et certaine du préjudice lié au cambriolage du magasin exploité par la société Sadeco.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Sadeco et Axa Corporate Solutions ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande.
Sur les dépens et les frais de procès non compris dans les dépens :
10. Dans les circonstances particulières de l'espèce, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte application des dispositions de l'article R.761-1 du code de justice administrative en répartissant de façon égale entre l'Etat et les sociétés requérantes les frais de l'expertise ordonnée le 11 juin 2010 par le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique. Les conclusions des sociétés Sadeco et Axa Corporate Solutions tendant à ce que la totalité de ces frais soit mis à la charge de l'Etat doivent donc être rejetées.
11. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné au versement de quelque somme que ce soit. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances, de faire droit aux conclusions présentées par le préfet de la Martinique sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des sociétés Sadeco et Axa Corporate Solutions est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du préfet de la Martinique tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 14BX00797