Vu l'arrêt n°05BX01297 en date du 31 décembre 2007 par lequel la Cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté la requête de la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n°00370 du 14 avril 2005 par lequel le Tribunal administratif de Cayenne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une indemnité de 4 922 221,02 francs (750 387,75 euros), en réparation du préjudice résultant des carences manifestées par le préfet de la Guyane dans l'exercice du contrôle financier de la commune de Roura et, d'autre part, à ce que l'Etat soit condamné à lui payer cette indemnité et à lui rembourser les frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu la décision n°314779 en date du 16 juillet 2010 par laquelle le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux du 31 décembre 2007 et a renvoyé l'affaire à la Cour administrative d'appel de Bordeaux ;
Vu le mémoire enregistré au greffe de la cour, le 31 décembre 2010, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration qui conclut au rejet de la requête de la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mai 2011 :
le rapport de M. Cristille, premier conseiller,
et les conclusions de M. Lerner, rapporteur public ;
Considérant que la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE, qui appartient au groupe de travaux publics Chambard, a réalisé, entre 1990 et 1994, divers travaux de voirie pour le compte de la commune de Roura (Guyane) dans le cadre de marchés publics ; que n'ayant pu obtenir de cette collectivité, qui connaît de graves difficultés financières, le paiement des sommes qui lui étaient dues, la société a présenté devant le Tribunal administratif de Cayenne une demande tendant à condamnation de l'Etat à lui payer une indemnité de 4 922 221,02 francs (750 387,75 euros) sur le fondement, d'une part, de diverses fautes qui auraient été commises par le préfet de la Guyane dans l'exercice du contrôle financier de la commune et de la mise en oeuvre de la procédure de mandatement d'office prévue par l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public et, d'autre part, subsidiairement, de la rupture d'égalité devant les charges publiques résultant du préjudice anormal et spécial qu'elle aurait ainsi subi ; que, par un jugement du 14 avril 2005, le Tribunal administratif de Cayenne a rejeté la demande de la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE ; que, par un arrêt du 31 décembre 2007, contre lequel la société s'est pourvue en cassation, la Cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé ce jugement ; que par décision du 16 juillet 2010, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt au motif, d'une part, que la cour avait regardé, à tort, comme irrecevables les conclusions de la société tendant à la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat à raison de la faute commise par le préfet de la Guyane, pour s'être abstenu d'exercer les pouvoirs qu'il tient de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980, en vue de faire exécuter une décision de justice et, d'autre part, que l'arrêt était insuffisamment motivé dans sa réponse au moyen tiré par la société requérante de la saisine tardive de la chambre régionale des comptes par le préfet ; que le Conseil d'Etat a renvoyé l'affaire devant la cour pour qu'il y soit statué au fond ;
Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du II de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public : Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale (...) au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement dans ce délai, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle, procède au mandatement d'office./ En cas d'insuffisance de crédits, le représentant de l'Etat dans le département, ou l'autorité de tutelle, adresse à la collectivité (...) une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ; si l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement n'a pas dégagé ou créé ces ressources, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle y pourvoit et procède, s'il y a lieu, au mandatement d'office ;
Considérant que, par ces dispositions, le législateur a entendu donner au représentant de l'Etat, en cas de carence d'une collectivité territoriale à assurer l'exécution d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée, et après mise en demeure à cet effet, le pouvoir de se substituer aux organes de cette collectivité afin de dégager ou de créer les ressources permettant la pleine exécution de cette décision de justice ; qu'à cette fin, il lui appartient, sous le contrôle du juge, de prendre, compte tenu de la situation de la collectivité et des impératifs d'intérêt général, les mesures nécessaires ; qu'au nombre de ces mesures, figure la possibilité de procéder à la vente de biens appartenant à la collectivité dès lors que ceux-ci ne sont pas indispensables au bon fonctionnement des services publics dont elle a la charge ; que si le préfet s'abstient ou néglige de faire usage des prérogatives qui lui sont ainsi conférées par la loi, le créancier de la collectivité territoriale est en droit de se retourner contre l'Etat en cas de faute lourde commise dans l'exercice du pouvoir de tutelle ; qu'en outre, dans l'hypothèse où, eu égard à la situation de la collectivité, notamment à l'insuffisance de ses actifs, ou en raison d'impératifs d'intérêt général, le préfet a pu légalement refuser de prendre certaines mesures en vue d'assurer la pleine exécution de la décision de justice, le préjudice qui en résulte pour le créancier de la collectivité territoriale est susceptible d'engager la responsabilité de la puissance publique s'il revêt un caractère anormal et spécial ;
Considérant que la société requérante reproche au préfet une faute dans la mise en oeuvre des dispositions de l'article 1er de loi n°80-539 du 16 juillet 1980 relatives à l'exécution des décisions juridictionnelles de condamnation pécuniaire, passées en force de chose jugée, pour ne pas avoir pris les mesures afin d'assurer une exécution complète du jugement du Tribunal administratif de Cayenne du 7 décembre 1999 mettant à la charge de la commune de Roura la somme de 256 653,92 euros, destinée à réparer le préjudice né de l'exécution des travaux de revêtement d'une route ayant fait l'objet d'un marché ;
Considérant que si, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la société requérante a effectivement demandé au préfet de la Guyane par lettre du 17 octobre 2002, de procéder au mandatement d'office de la somme de 256 653,92 euros assortie des intérêts moratoires, pour obtenir la pleine exécution du jugement rendu en sa faveur, il résulte de l'instruction que ladite créance avait fait l'objet d'un mandatement par le maire de la commune de Roura, resté sans effet dès lors que la commune ne disposait pas de crédits suffisants pour honorer sa dette ; que conformément à l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980, la procédure de mandatement d'office n'est déclenchée qu'à défaut de mandatement d'une dépense obligatoire par l'ordonnateur de la collectivité territoriale ; que, dès lors, le préfet de la Guyane ne pouvait légalement utiliser la procédure du mandatement d'office à l'encontre de la commune de Roura ; que le refus du préfet de la Guyane de mandater d'office cette dépense obligatoire ne peut être regardé comme fautif ;
Considérant, toutefois, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, pour assurer l'exécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée condamnant une collectivité territoriale au paiement d'une somme d'argent, les dispositions de la loi du 16 juillet 1980 permettent au préfet, après mise en demeure, et compte-tenu de la situation de la collectivité et des nécessités de l'intérêt général, de se substituer à ses organes afin de pourvoir à la création des ressources nécessaires et procéder si besoin à la vente de biens lui appartenant ; qu'en l'espèce, il n'est ni soutenu ni établi que le préfet de la Guyane n'aurait pu faire procéder à l'aliénation de biens communaux et qu'il lui était impossible, par ce moyen, de procéder au paiement de la somme due ; qu'en s'abstenant de faire usage des prérogatives qui lui étaient ainsi conférées par les dispositions de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 pour se substituer aux organes de la commune de Roura afin de créer les ressources permettant la pleine exécution du jugement du Tribunal administratif de Cayenne du 7 décembre 1999, le préfet a commis une faute lourde dans l'exercice de son pouvoir de tutelle sur cette commune qui est de nature à engager la responsabilité de l'Etat envers la société requérante ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L.1612-14 du code général des collectivités territoriales : Lorsque l'arrêté des comptes des collectivités territoriales fait apparaître dans l'exécution du budget, après vérification de la sincérité des inscriptions de recettes et de dépenses, un déficit égal ou supérieur à 10 p. 100 des recettes de la section de fonctionnement s'il s'agit d'une commune de moins de 20 000 habitants et à 5 p. 100 dans les autres cas, la chambre régionale des comptes, saisie par le représentant de l'Etat, propose à la collectivité territoriale les mesures nécessaires au rétablissement de l'équilibre budgétaire, dans le délai d'un mois à compter de cette saisine./ Lorsque le budget d'une collectivité territoriale a fait l'objet des mesures de redressement prévues à l'alinéa précédent, le représentant de l'Etat dans le département transmet à la chambre régionale des comptes le budget primitif afférent à l'exercice suivant. / Si, lors de l'examen de ce budget primitif, la chambre régionale des comptes constate que la collectivité territoriale n'a pas pris de mesures suffisantes pour résorber ce déficit, elle propose les mesures nécessaires au représentant de l'Etat dans le département dans un délai d'un mois à partir de la transmission prévue à l'alinéa précédent. Le représentant de l'Etat règle le budget et le rend exécutoire après application éventuelle, en ce qui concerne les communes, des dispositions de l'article L.2335-2. ( ...) ; qu'aux termes de l'article L.1612-2 du même code : Si le budget n'est pas adopté avant le 31 mars de l'exercice auquel il s'applique, ou avant le 15 avril de l'année du renouvellement des organes délibérants, le représentant de l'Etat dans le département saisit sans délai la chambre régionale des comptes qui, dans le mois, et par un avis public, formule des propositions pour le règlement du budget. ; qu'aux termes de l'article L.1612-15 de ce code : Ne sont obligatoires pour les collectivités territoriales que les dépenses nécessaires à l'acquittement des dettes exigibles et les dépenses pour lesquelles la loi l'a expressément décidé. / La chambre régionale des comptes saisie, soit par le représentant de l'Etat dans le département, soit par le comptable public concerné, soit par toute personne y ayant intérêt, constate qu'une dépense obligatoire n'a pas été inscrite au budget ou l'a été pour une somme insuffisante. Elle opère cette constatation dans le délai d'un mois à partir de sa saisine et adresse une mise en demeure à la collectivité territoriale concernée. / Si, dans un délai d'un mois, cette mise en demeure n'est pas suivie d'effet, la chambre régionale des comptes demande au représentant de l'Etat d'inscrire cette dépense au budget et propose, s'il y a lieu, la création de ressources ou la diminution de dépenses facultatives destinées à couvrir la dépense obligatoire. Le représentant de l'Etat dans le département règle et rend exécutoire le budget rectifié en conséquence. S'il s'écarte des propositions formulées par la chambre régionale des comptes, il assortit sa décision d'une motivation explicite. ;
Considérant que la société requérante reproche au préfet de la Guyane de ne pas avoir pris les mesures qui auraient pu rétablir l'équilibre budgétaire de la commune de Roura et permettre le paiement effectif de sa créance ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, d'une part, le préfet de la Guyane n'a pas mis en oeuvre les procédures de contrôle budgétaire fixées les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales avec toute la rigueur qu'imposait la dégradation de la situation financière de la commune, pourtant connue du préfet depuis 1989 ; qu'ainsi, malgré les délais contraignants et brefs qui lui sont imposées par les articles susmentionnés, il n'a saisi que le 23 juillet 1996 la chambre régionale des comptes pour un budget communal voté en déséquilibre le 13 juin 1996 ; qu'en 1997, le préfet a saisi la chambre régionale des comptes seulement le 5 août pour un compte administratif adopté hors délais et en déficit le 20 juin ; qu'en 1998, la chambre régionale des comptes a été saisie le 11 septembre du compte administratif adopté, dans les mêmes conditions, le 12 juin, en 1999, le 10 août pour une compte administratif adopté le 28 juin et en 2000, le 4 septembre pour un compte administratif adopté le 21 juin ; que, d'autre part, si au cours de la période allant de 1995 à 2000, le budget de la commune a été réglé d'office par le préfet suivant avis de la chambre régionale des comptes et s'il en a assuré l'exécution, il est dans l'impossibilité de justifier de mesures concrètes destinées à rétablir l'équilibre des comptes de la commune de Roura malgré le caractère urgent que présentait le rétablissement de la solvabilité de la commune et les préconisations détaillées de la chambre régionale des comptes, qui auraient permis de préserver l'avenir de la commune en engageant une politique d'apurement de ses dettes ; que le préfet s'est abstenu de prendre des mesures significatives pour remédier à l'endettement de la commune et contenir le déficit croissant de la commune, dont le fonctionnement courant n'est assuré qu'au prix d'un volume croissant de factures impayées ; qu'ainsi, l'avis rendu par la chambre régionale des comptes en 1990 faisait Etat d'un déficit de 89,98 % des recettes réelles de la section de fonctionnement mais en 1996, la même chambre régionale des comptes constatait un déficit représentant, cette fois, 150 % des recettes tandis que le 17 octobre 2000, ce déficit atteignait 121 % des recettes de fonctionnement ; qu'il suit de là que les conditions dans lesquelles le contrôle budgétaire et financier de la commune de Roura a été exercé par le préfet de la Guyane pendant plus de 5 ans, qui ont abouti à aggraver le déficit des comptes de la commune, empêchant le règlement de ses fournisseurs dont fait partie la société requérante, doivent être regardées comme révélant l'existence d'une autre faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Considérant que la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cayenne a rejeté ses conclusions tendant à engager la responsabilité pour faute de l'Etat ;
Sur le préjudice :
Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre, eu égard à l'ancienneté de sa créance qui est supérieure à 16 ans et à l'ampleur du déficit de la commune de Roura qui rend cette créance difficilement recouvrable, la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE peut se prévaloir d'un préjudice certain lui ouvrant droit à réparation ;
Considérant que les fautes du préfet ne sauraient impliquer que la dette de la commune de Roura au titre d'un marché conclu par elle et pour des travaux exécutés à son bénéfice soit transférée à l'Etat ; que, toutefois, en ne prenant pas les mesures nécessaires au rétablissement des comptes de la commune, l'Etat est directement à l'origine de l'augmentation de la charge des intérêts moratoires dus par la commune sur le principal de la créance et non réglés à l'entreprise ; que l'Etat devra, en conséquence, être condamné à verser à la société une somme équivalente au montant des intérêts de la dette de la commune de Roura, calculés à partir du 1er janvier de l'année qui a suivi le premier avis de la chambre régionale des comptes, après saisine par la société pour faire constater que sa créance constituait une dépense obligatoire, soit le 1er janvier 1996, et jusqu'au 20 octobre 2000, date d'introduction de sa requête devant le Tribunal administratif de Cayenne ;
Considérant que les éléments nécessaires à la liquidation de la somme due à la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE telle qu'elle vient d'être fixée ne figurent pas au dossier, il y a lieu de renvoyer la requérante devant l'administration aux fins de liquidation de l'indemnité ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement du 14 avril 2005 du Tribunal administratif de Cayenne, la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE est fondée à demander l'annulation du jugement ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 14 avril 2005 du Tribunal administratif de Cayenne est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE une somme équivalente au montant des intérêts de la dette de la commune de Roura calculés à partir du 1er janvier de l'année qui a suivi le premier avis de la chambre régionale des comptes après saisine par la société pour faire constater que sa créance constituait une dépense obligatoire, soit le 1er janvier 1996, et jusqu'au 20 octobre 2000, date d'introduction de sa requête devant le Tribunal administratif de Cayenne . La SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE est renvoyée devant l'administration pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité qui lui est due.
Article 3 : L'Etat versera à la SOCIETE LA ROUTIERE GUYANAISE une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 10BX02249