Vu I le recours, enregistré au greffe de la Cour le 3 mai 2005 sous le numéro 05BX00855, présenté par le MINISTRE DES SOLIDARITES, DE LA SANTE ET DE LA FAMILLE ;
LE MINISTRE DES SOLIDARITES, DE LA SANTE ET DE LA FAMILLE demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement du 9 mars 2005 par lequel le Tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à verser à Mme X une indemnité de 241.284 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 août 1999, qu'il estime trop élevée, en réparation des préjudices que l'intéressée a subis du fait de l'illégalité fautive de la décision du 22 juillet 1992 par laquelle le préfet de la Corrèze avait autorisé l'ouverture d'une officine de pharmacie par voie dérogatoire à Brive-la-Gaillarde ;
2°) de condamner l'Etat à verser à Mme X une indemnité de 2.250 euros, du seul chef du préjudice moral subi par l'intéressée ;
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Vu II la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 12 mai 2005 sous le numéro 05BX00920, présentée pour Mme Françoise , demeurant ..., par Me Aubert, avocat, qui demande à la Cour que l'indemnité qui lui a été allouée par jugement du Tribunal administratif de Limoges en date du 9 mars 2005, en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité fautive de la décision du 22 juillet 1992 par laquelle le préfet de la Corrèze avait autorisé l'ouverture d'une officine de pharmacie par voie dérogatoire à Brive, soit portée à la somme de 1.744.815 euros, de laquelle sera déduite la somme de 241.284 euros allouée en première instance, augmentée des intérêts au taux légal, avec capitalisation des intérêts ;
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Vu le code de la santé publique ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 janvier 2008,
le rapport de M. Verguet, premier conseiller;
et les conclusions de Mme Viard, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes n°05BX00855-05BX00920 sont dirigées contre un même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Considérant que Mme , qui exploitait une pharmacie à Brive-La-Gaillarde sur le fondement d'autorisations d'ouverture de cette officine délivrées, par voie de dérogation aux règles posées par l'article L.571 du code de la santé publique, par arrêtés du préfet de la Corrèze en dates du 28 mars 1986, 9 janvier 1990 et 22 juillet 1992, a cessé l'exploitation de cette pharmacie le 18 novembre 1995, après que ces arrêtés ont été successivement annulés par le Tribunal administratif de Limoges ; que par un jugement du 9 mars 2005, le Tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à verser à Mme une indemnité d'un montant de 241.284 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 août 1999 en réparation des conséquences dommageables de l'illégalité fautive de l'arrêté préfectoral du 22 juillet 1992 ; que le MINISTRE DE LA SANTE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS demande à la Cour que cette indemnité soit ramenée à la somme de 2.250 euros ; que Mme demande que cette indemnité soit portée à la somme de 1.744.815 euros, augmentée des intérêts au taux légal ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que les premiers juges ont relevé, en s'appuyant sur le rapport de l'expertise prescrite en première instance, que les pertes financières alléguées par Mme , soit n'étaient pas établies faute de justificatifs, soit devaient être prises en considération, ainsi que la perte de son outil de travail, au titre de la diminution de valeur vénale de l'officine ; qu'ils ont relevé que la demande d'indemnisation de la perte patrimoniale présentée par Mme faisait obstacle à ce que celle-ci présente également une demande tendant à l'indemnisation de la perte de revenus et qu'en tout état de cause, le lien de causalité entre les pertes de revenus escomptées et la faute commise par l'administration n'était pas établi ; que Mme n'est ainsi pas fondée à soutenir que le jugement attaqué a omis de statuer sur les conclusions relatives à ces chefs de préjudice ;
Sur la responsabilité :
Considérant que l'illégalité de la décision d'ouverture d'une officine de pharmacie étant de nature à engager la responsabilité de l'administration, Mme est en droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice en ayant effectivement résulté pour elle et dont il lui appartient d'établir la réalité et le montant ;
Sur le préjudice :
Considérant que l'indemnité susceptible d'être allouée à la victime d'un dommage causé par la faute de l'administration a pour seule vocation de replacer la victime, autant que faire se peut, dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s'était pas produit, c'est ;à-dire, lorsque la faute résulte d'une décision illégale, si celle-ci n'était pas intervenue ; que l'annulation de l'arrêté du 22 juillet 1992 au motif que les besoins réels de la population, au sens des dispositions de l'article L. 571 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors en vigueur, ne justifiaient pas la délivrance d'une autorisation d'ouverture d'une nouvelle pharmacie à Brive-la-Gaillarde, faisait obstacle à ce que, à cette date, l'intéressée ait pu légalement prétendre à la délivrance d'une telle autorisation ; que, dans ces conditions, Mme ne peut prétendre à être indemnisée du préjudice résultant de la perte de toute valeur du fonds de commerce créé au bénéfice de l'autorisation illégale ; que le MINISTRE DE LA SANTE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont condamné l'Etat à indemniser Mme de la perte de valeur de son fonds de commerce ;
Considérant que, du fait de l'annulation de l'autorisation d'ouverture d'une officine de pharmacie, Mme doit être regardée comme n'ayant jamais obtenu le droit d'exploiter cette officine ; que, par suite, elle ne peut prétendre à être indemnisée des revenus qui auraient été générés si l'exploitation irrégulière de celle-ci avait continué ; que si Mme fait valoir que, privée de revenus du fait de la fermeture de sa pharmacie, elle n'a pu verser de cotisations de retraite à compter de l'année 1996, la perte de ses droits à retraite ne résulte pas de la faute commise par l'administration ;
Considérant que Mme peut en revanche prétendre à l'indemnisation des frais qu'elle a engagés en pure perte à la suite de l'autorisation d'ouverture ; que la dépréciation des terrains et constructions du fait d'un classement en zone inconstructible au plan d'occupation des sols de la commune n'est pas liée à l'illégalité fautive entachant la décision du préfet de la Corrèze ; que, contrairement à ce qu'elle soutient, Mme n'a pas supporté de frais de licenciement d'un pharmacien assistant ; que le capital restant dû des emprunts contractés antérieurement à l'autorisation d'ouverture n'est pas de nature à donner lieu à indemnisation ; qu'en l'absence de toute précision quant à l'emploi des sommes correspondant au capital restant dû des emprunts contractés postérieurement à l'autorisation d'ouverture, il n'est pas établi que ces sommes auraient été exposées en pure perte ; que si Mme a inutilement supporté des frais d'agencement de l'officine pour un montant de 13.130 euros, ainsi qu'une perte du fait de la péremption des médicaments stockés, à hauteur de 27.489 euros, ces frais ne sont pas supérieurs aux bénéfices qu'elle a tirés pendant plusieurs années de l'exploitation illégale de son officine, évalués par l'expert à 146.256 euros ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, Mme a subi un préjudice moral directement lié à la faute commise par le préfet de la Corrèze en prenant l'arrêté illégal, dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à 25.000 euros, tous intérêts compris ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE LA SANTE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à verser à Mme une indemnité excédant un montant de 25.000 euros, intérêts compris ; qu'il y a lieu de réformer, dans cette mesure, le jugement du 9 mars 2005 ; que, par voie de conséquence, la requête de Mme tendant à l'augmentation de l'indemnité qui lui a été allouée par le tribunal administratif ne peut qu'être rejetée ;
Considérant que Mme a demandé la capitalisation des intérêts le 9 septembre 2005 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
DECIDE :
Article 1er : La somme de 241.284 euros que l'Etat a été condamné à verser à Mme par le jugement du Tribunal administratif de Limoges du 9 mars 2005 est ramenée à 25.000 euros, intérêts compris. Les intérêts échus le 5 décembre 2001 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Limoges du 9 mars 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du MINISTRE DE LA SANTE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS et la requête de Mme sont rejetés.
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05BX00855-05BX00920