Vu la requête enregistrée le 24 juillet 2006, présentée pour la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS, établissement public à caractère industriel et commercial, représentée par le président en exercice, dont le siège est 34 rue du Commandant Mouchotte à Paris (75014) ;
la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (SNCF) demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 01 / 4248 du 6 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Toulouse l'a condamnée, d'une part, à verser la somme de 12 500 euros à M. Guidéon X, ainsi que la somme de 7 500 euros aux ayants droit de M. Georges BZY, soit Mme Colette BZY, M. Alain BZY, Mme Catherine C et Mme Hélène BZY, avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable du 6 septembre 2001 et capitalisation des intérêts échus à la date du 14 septembre 2002, d'autre part, à payer aux intéressés une somme de 1 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. Guidéon X et M. Georges BZY devant le Tribunal administratif de Toulouse ;
3°) de condamner M. Guidéon X et les ayants droit de M. Georges BZY à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du CJA ;
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Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 mars 2007,
le rapport de M. Vié, premier conseiller ;
les observations de Me Baudelot de la SCP Baudelot-Cohen-Richelet-Poitvin, de Me Guénaire du cabinet Gide Loyrette Nouel pour la SNCF et de Me Rouquette du cabinet d'avocats A.C.A.C.C.I.A. pour M. X et les consorts BZY ;
et les conclusions de M. Péano, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (SNCF) demande l'annulation du jugement en date du 6 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Toulouse l'a condamnée à verser aux ayants droit de M. BZY et à M. X les sommes respectives de 7 500 et 12 500 euros, en réparation du préjudice subi du fait des conditions dans lesquelles les intéressés ont été transportés, les 10 et 11 mai 1944, de la gare de Toulouse à celle de Paris-Austerlitz ; que les défendeurs concluent au rejet de la requête en faisant valoir que les graves dommages subis par MM. BZY et X résultent des conditions inhumaines et dégradantes dans lesquelles ils ont été transportés dans des wagons à marchandises ou à bestiaux plombés, pendant plus de trente heures, privés d'hygiène, d'eau et de nourriture, sans que la SNCF n'ait en rien tenté de s'y opposer ni d'atténuer leurs souffrances ;
Considérant que M. BZY et son demi-frère, M. X, alors âgés de 21 et 16 ans, ont été arrêtés à Pau le 8 mai 1944 comme étant des personnes « de race juive », puis conduits à Toulouse par deux soldats allemands, où ils ont fait l'objet d'une mesure d'internement administratif prise par le préfet de la Haute-Garonne ; qu'ils ont été embarqués, sous escorte militaire, le 10 mai 1944, à la demande du préfet, dans un train de déportés partant de la gare de Toulouse-Matabiau à destination de la gare de Paris-Austerlitz, où ils sont arrivés dans la soirée du 11 mai 1944 ; qu'ils ont ensuite été acheminés, par un autocar de la société de transport en commun de la région parisienne, au camp de transit de Drancy, où ils ont été maintenus jusqu'à leur libération, intervenue le 17 août 1944 ;
Sur la compétence :
Considérant qu'il est constant que la SNCF, société d'économie mixte qui exploitait le service public industriel et commercial des transports ferroviaires dans le cadre de la convention approuvée par le décret-loi du 31 août 1937 portant réorganisation du régime des chemins de fer, était, à ce titre, à la disposition des autorités d'occupation allemandes entre 1940 et 1944 et qu'elle était chargée par les autorités de l'Etat, qui ont organisé à la demande et sous l'autorité des forces d'occupation la déportation des personnes d'origine juive, d'assurer le transport de ces personnes depuis les gares proches des centres de détention administrative jusqu'aux gares desservant les camps de transit à partir desquels elles devaient être transférées dans les camps de concentration ; que chaque opération de transport était réalisée par la SNCF sur demande de « mise à disposition » ou sur « réquisition » d'une autorité administrative de l'Etat, moyennant le versement d'un prix déterminé en fonction du trajet parcouru et du nombre de personnes transportées ;
Considérant que, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que ces transports aient donné lieu à la conclusion par la SNCF d'une convention spéciale les organisant dans leur ensemble ; que, d'autre part, et alors même que des agents de la SNCF ont participé à des réunions techniques destinées à coordonner l'exécution de ces transports, les conditions dans lesquelles ceux-ci devaient être réalisés, soit notamment la détermination de la composition des trains, du type des wagons utilisés, de leur aménagement intérieur et de leur dispositif de fermeture, de même que le nombre des personnes transportées et les modalités de leur traitement, étaient fixées par l'occupant et mises en oeuvre par les autorités de l'Etat ; qu'enfin, les représentants allemands exerçaient le commandement et la surveillance armée des convois avec, parfois, le concours des forces de sécurité publique ; qu'ainsi, eu égard aux conditions sus-rappelées dans lesquelles ces transports étaient effectués, la SNCF ne peut être regardée comme ayant, par les prestations requises, assuré l'exécution d'un service public administratif, ni davantage comme ayant disposé de prérogatives de puissance publique dont l'exercice serait à l'origine des dommages allégués ; que, dès lors, le présent litige, qui met en cause la responsabilité d'une personne morale de droit privé, relève de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ; que, par suite, la SNCF est fondée à demander l'annulation du jugement en date du 6 juin 2006 par lequel le Tribunal administratif de Toulouse s'est reconnu compétent pour connaître de la demande de MM. BZY et X et l'a condamnée à verser aux intéressés des indemnités ainsi qu'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la SNCF, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à payer aux ayants droit de M. BZY et à M. X la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'affaire, de condamner les ayants droit de M. BZY et M. X à verser à la SNCF la somme qu'elle demande sur le même fondement ;
D E C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement du Tribunal administratif de Toulouse du 6 juin 2006, ensemble son article 4 en ce qui concerne la SNCF, sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par MM. BZY et X devant le Tribunal administratif de Toulouse à l'encontre de la SNCF est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Les conclusions des ayants droit de M. BZY et de M. X ainsi que celles de la SNCF, présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
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06BX01570