Vu 1°/ la requête enregistrée au greffe de la cour le 8 février 2005 sous le n° 05BX00262, présentée pour l'INSTITUT NATIONAL DES APPELLATIONS D'ORIGINE (INAO), dont le siège est 51 rue d'Anjou à Paris (75008), par la SCP Parmentier, Didier, avocat au Conseil d'Etat ;
L'INAO demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 9 décembre 2004, par lequel le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamné à payer la somme de 877 056 € à la SA Les Vins de la Marjolaine, avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 1995 et capitalisation des intérêts, ainsi que la somme de 10 018,59 € au titre des frais d'expertise ;
2°) de condamner la SA Les Vins de la Marjolaine à lui payer une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu 2°/ la requête enregistrée au greffe de la cour le 8 février 2005, sous le n° 05BX00261, présentée pour l'INSTITUT NATIONAL DES APPELLATIONS D'ORIGINE (INAO), dont le siège est 51 rue d'Anjou à Paris (75008), par la SCP Parmentier, Didier, avocat au Conseil d'Etat ;
L'INAO demande à la cour :
1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 9 décembre 2004, le condamnant à payer à la SA Les Vins de la Marjolaine une somme de 877 056 € ;
2°) de condamner la SA Les Vins de la Marjolaine à lui payer une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu le règlement (CEE) n° 822-87 du Conseil du 16 mars 1987 portant organisation commune du marché vitivinicole ;
Vu le code civil ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le décret-loi du 30 juillet 1935 modifié sur les appellations d'origine contrôlée ;
Vu le décret du 10 août 1954 modifié définissant l'appellation d'origine contrôlée « Margaux » ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 février 2007 :
- le rapport de M. Dronneau ;
- et les conclusions de M. Valeins, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes enregistrées sous les numéros 05BX00262 et 05BX00261 présentent à juger la même affaire ; qu'elles ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de statuer par un même arrêt ;
Considérant que, par décret du 7 novembre 1995, des parcelles du vignoble Château d'Arsac, jusqu'alors classées en appellation d'origine « Haut-Médoc », ont été incorporées dans l'aire d'appellation d'origine contrôlée « Margaux » ; que, par décision du 29 juin 1998, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté le recours pour excès de pouvoir du Syndicat viticole de Margaux dirigé contre ce décret ; que l'INAO relève appel et sollicite le sursis à exécution du jugement du 9 décembre 2004, par lequel le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamné à payer à la SA Les Vins de la Marjolaine, exploitante du Château d'Arsac, une somme de 877 056 € avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 1995, ainsi que la capitalisation des intérêts échus aux 12 mars 1999, 31 mars 2001 et 2 avril 2002, en réparation du préjudice à elle causée par les refus illégaux de cet établissement à proposer la révision de l'aire d'appellation contrôlée « Margaux » pour y incorporer les vignobles susmentionnés ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant, en premier lieu, que si, en vertu de l'article 4 d'une transaction du 11 juillet 1996 relative à un litige sur des droits de plantation, passée entre l'INAO et M. X, représentant de la SA Les Vins de la Marjolaine, ce dernier s'engageait, en contrepartie de la délivrance par l'INAO de certificats d'agrément, à renoncer à rechercher la responsabilité de l'INAO et à demander des dommages et intérêts, cet engagement ne concernait que « les plantations de vignes ayant donné lieu à procès-verbal » ; que c'est par une exacte application de ces stipulations que le tribunal administratif de Bordeaux a écarté de la demande de la SA Les Vins de la Marjolaine la parcelle AW 308 pour une superficie de 3 ha 23 a 59 ca, qui avait donné lieu à procès-verbal ; qu'en revanche, il ne résulte pas de l'instruction que le surplus des superficies faisant l'objet de la demande d'indemnisation soit concerné par cette stipulation ; que, par suite, l'INAO n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif aurait dû, sur le fondement de ladite transaction, écarter l'ensemble de la demande de la SA Les Vins de la Marjolaine;
Considérant, en second lieu, qu'en relevant, ainsi qu'il vient d'être dit, que ladite transaction avait pour effet de rendre irrecevable la demande de réparation de la société en ce qu'elle concernait la parcelle AW 308, comprise depuis le décret du 7 novembre 1995, dans l'aire d'appellation d'origine contrôlée « Margaux », le tribunal administratif a écarté le moyen - au demeurant inopérant eu égard à la teneur même de la transaction prévoyant la délivrance d'agréments pour les vins non issus de vignes irrégulièrement plantées - tiré par l'INAO de ce que des vins issus de vignes irrégulièrement plantées auraient été mélangés avec des vins issus de vignes régulièrement plantées de sorte que, en application de la réglementation européenne, et notamment du règlement CEE n° 822-87 du Conseil des communautés européennes portant organisation commune du marché vitivinicole, l'ensemble de la production aurait été impropre à la commercialisation et que, de ce fait, de 1991 à 1994, la SA Les Vins de la Marjolaine ne saurait invoquer un quelconque préjudice quand bien même les refus d'incorporation des vignes en cause dans l'aire d'appellation d'origine contrôlée « Margaux » étaient fautifs ; que, par suite, l'INAO n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé et entaché d'omission à statuer ;
Au fond :
Considérant qu'aux termes de l'article 21 du décret du 30 juillet 1935 relatif à la défense du marché du vin, dans sa rédaction issue de la loi du 16 novembre 1984 : « après avis des syndicats de défense intéressés, l'institut national des appellations d'origine délimite les aires de production donnant droit à appellation (...). Les propositions de l'institut sont approuvées par décret (...) » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en l'absence de proposition de classement de l'Institut, la délimitation des aires de production donnant droit à appellation ne peut être approuvée par décret ; que les éventuelles fautes de l'Institut dans l'exercice de ses compétences sont de nature à engager sa responsabilité, notamment dans les cas où, comme en l'espèce, celui-ci n'a pas cru utile de donner suite à une demande de délimitation dans une aire de production déterminée ; qu'il résulte de l'instruction que la décision implicite de rejet opposée par l'INAO à la demande du 14 juin 1988 par laquelle la Sarl Château d'Arsac a notamment sollicité la révision de la délimitation parcellaire de l'aire d'appellation contrôlée « Margaux » pour y inclure tout ou partie des terres du château d'Arsac, a été annulée le 20 septembre 1993 par une décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, au motif qu'elle était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; que l'INAO ne s'est résolu à exécuter cette décision que sous astreinte, prononcée le 28 juillet 1995 par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux ; qu'une nouvelle décision de refus, opposée le 3 novembre 1994 par l'INAO à la demande de la société, a également été annulée le 2 octobre 1996 par une nouvelle décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, pour violation de l'autorité de la chose jugée ; que, par décret du 7 novembre 1995 devenu définitif, pris en application des dispositions précitées sur proposition du comité national de l'Institut national des appellations d'origine en date des 6 et 7 septembre 1995, l'Etat a inclus dans l'aire de production de l'appellation d'origine « Margaux » plusieurs parcelles appartenant à la société Château d'Arsac ; que c'est à raison des refus illégaux antérieurs de l'Institut et de son mauvais vouloir à exécuter les décisions de justice que les parcelles en cause de cette société n'ont pas été incluses avant le 7 novembre 1995 dans l'aire de production d'origine dont s'agit ; que, par suite, la SA Les Vins de la Marjolaine, exploitante du « Château d'Arsac », est fondée à demander la condamnation de l'INAO à l'indemniser des conséquences dommageables desdites décisions pour les années 1989 à 1994 ;
Considérant que, sur la période 1989 à 1994, la SA Les Vins de la Marjolaine a commercialisé 384 tonneaux de vin en appellation « Haut-Médoc » issu des parcelles en litige depuis lors incluses dans l'aire d'appellation « Margaux » ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que, notamment pour la période 1991 à 1994, des vins issus des parcelles irrégulièrement plantées auraient été mélangés à des vins issus de parcelles régulièrement plantées et auraient été commercialisés en méconnaissance de l'article 7§4 du règlement n° 822-87 du Conseil du 16 mars 1987 portant organisation commune du marché vitivinicole ; que les fautes de l'INAO ont privé la SA Les Vins de la Marjolaine de la possibilité de commercialiser ces vins sous l'appellation « Margaux », dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ces vins n'auraient pas pu obtenir l'agrément nécessaire à leur commercialisation sous cette appellation ; que l'INAO ne saurait soutenir utilement que le délai d'instruction de la demande d'incorporation des parcelles en cause dans l'aire d'appellation « Margaux », formulée en 1988, n'aurait pu aboutir dès 1989 à la commercialisation des vins issus de ces parcelles sous l'appellation « Margaux », dès lors qu'il résulte de ce qui précède, d'une part, que les vignes de ces parcelles produisaient déjà des vins commercialisés sous l'appellation « Haut-Médoc » et, d'autre part, que le retard de la SA Les Vins de la Marjolaine à obtenir le droit de pouvoir commercialiser ces mêmes vins sous l'appellation « Margaux » est dû à la seule attitude fautive dudit organisme ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment des éléments du rapport d'expertise, qui ont pris en compte les prix de revient différentiels entre les appellations « Haut-médoc » et « Margaux » et sur lesquels le tribunal a pu se fonder pour faire une juste appréciation du préjudice de la société, sans que l'INAO - présent à l'expertise - puisse invoquer utilement en l'espèce l'article L. 122 du livre des procédures fiscales, que son manque à gagner s'élève, pour les 384 tonneaux, à la somme de 877 056 € ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'INAO n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamné à payer cette somme majorée des intérêts capitalisés ainsi que les frais d'expertise;
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de l'INAO tendant au sursis à exécution du jugement attaqué sont devenues sans objet ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la SA Les Vins de la Marjolaine, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à l'INAO la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, l'INAO versera à la SAS Philippe Raoux, venant aux droits de la SAS Marjolaine venant aux droits de la SA Les Vins de la Marjolaine, une somme de 1 500 € au titre des mêmes frais ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'INAO est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de l'INAO tendant au sursis à exécution du jugement attaqué.
Article 3 : L'INAO versera à la SAS Philippe Raoux venant aux droits de la SAS Marjolaine, venant aux droits de la SA Les Vins de la Marjolaine, une somme de 1 500 € sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Nos 05BX00262 - 05BX00261