Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 20 août 2001, présentée pour M. et Mme Marc X, demeurant ..., par la SCP Coulombie-Gras, avocat ;
M. et Mme X demandent à la cour :
- d'annuler le jugement en date du 29 juin 2001 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à la condamnation du département de Tarn-et-Garonne à réparer le préjudice qu'ils ont subi en raison de la perte d'accès à la voie départementale n°999 des terrains leur appartenant sis à Montauban ;
- de condamner le département de Tarn-et-Garonne à leur verser la somme de 1 000 000 F HT en réparation de ce préjudice, si mieux n'aime rétablir un accès à la route départementale en cause ainsi que la somme de 10 000 F HT en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mai 2005 :
- le rapport de Mme Texier,
- les observations de Me Juffroy, avocat pour le département de Tarn-et-Garonne,
- et les conclusions de Mme Boulard, commissaire du gouvernement ;
Considérant que sauf dispositions législatives contraires, la qualité de riverain d'une voie publique confère à celui-ci le droit d'accéder à cette voie ; que ce droit est au nombre des aisances de voirie dont la suppression donne lieu à réparation au profit de la personne qui en est privée ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'antérieurement à la modification du tracé de la route départementale n° 999, consécutive aux travaux de construction de la rocade de Montauban, les parcelles appartenant à M. et Mme X, anciennement cadastrées EL 2, 4, 81, 82, 232 et 234, étaient desservies par la voie communale n° 12 et la route départementale n° 999, reliées par le chemin rural n° 590 dit de Mallet ; qu'il résulte également de l'instruction que la réalisation de ces travaux a eu notamment pour effet de créer un délaissé entre le nouveau tracé de la route départementale et l'ancienne parcelle EL 234, actuellement cadastrée 356 et de priver ainsi d'accès à la route départementale n° 999 l'ensemble de l'îlot foncier appartenant aux requérants ;
Considérant que M. et Mme X sont fondés à mettre en cause la responsabilité du département de Tarn-et-Garonne en sollicitant sa condamnation à réparer les préjudices qu'ils ont subis, soit que l'accès à la route départementale n° 999 leur soit définitivement interdit, soit qu'ils doivent exécuter des travaux pour recouvrer les issues ; que si le département de Tarn-et-Garonne fait valoir qu'aucun refus d'accès n'a été opposé à M. et Mme X, il résulte de l'instruction que l'accès supprimé n'a pas été rétabli et qu'il a seulement été indiqué aux intéressés, par courrier du 9 octobre 1992, que sous réserve de la décision qui sera prise par la Commission permanente, le département serait disposé à aliéner ... ce délaissé aux conditions suivantes : prix de vente : 10 F le m2 ; prise en charge par l'acquéreur des frais notariés (rédaction de l'acte) et de géomètre (établissement du document d'arpentage). - Par ailleurs, j'attire votre attention sur le fait que si ce délaissé devait servir à autre chose que la simple desserte de terrains agricoles (par exemple, desserte d'une activité commerciale ou industrielle), l'augmentation du trafic d'entrée et de sortie sur la RD 999 qui en résulterait nécessiterait, pour des raisons de sécurité, un aménagement spécifique dudit accès. - En conséquence, la permission de voirie conditionnant l'accès à la route départementale serait délivrée sous les réserves suivantes : - aménagement d'un carrefour aux frais du bénéficiaire, le projet devant être inclus dans la demande de permis de construire. - L'ensemble des activités implantées sur ce terrain ne devra pas générer un trafic supérieur à 100 véhicules par jour dont 15% de poids lourds ; qu'une telle réponse, subordonnant ainsi le rétablissement de l'accès à la route départementale n° 999 à la prise en charge par M. et Mme X du coût de l'acquisition des terrains et des travaux, doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme constitutive d'un refus de rétablir un accès similaire à celui dont les requérants bénéficiaient antérieurement ; que ce refus engage la responsabilité du département de Tarn-et-Garonne ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme X sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a écarté la responsabilité du département de Tarn-et-Garonne et a rejeté leur demande ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la privation du droit d'accès à la route départementale n° 999 dont bénéficiait l'ensemble de l'îlot foncier appartenant à M. et Mme X a entraîné une diminution de la valeur vénale des parcelles qui le composent ; que si lesdites parcelles ont été classées en zone ND par le plan d'occupation de sols de la commune de Montauban, il résulte également de l'instruction que leur classement en zone non constructible, alors qu'elles étaient initialement classées en zone NA, résulte d'une modification du plan d'occupation des sols intervenue postérieurement à la réalisation des travaux qui sont à l'origine de la privation d'accès et que d'ailleurs un certificat d'urbanisme positif avait été délivré en 1995 aux époux X en vue de la construction d'un atelier d'enseignes sur les parcelles en cause ; que le département de Tarn-et-Garonne n'est donc pas fondé à soutenir que la diminution de valeur vénale subie par les terrains appartenant aux consorts X serait exclusivement consécutive à la modification des règles d'urbanisme ; que, compte tenu des indications résultant du rapport d'expertise produit par les requérants, dont rien ne s'oppose à ce qu'il puisse être utilisé à titre d'information, nonobstant l'absence de caractère contradictoire, et eu égard à la circonstance que les consorts X ne bénéficiaient, antérieurement aux travaux, d'aucun droit à une desserte autre qu'une simple desserte de terrains agricoles, il sera fait une juste appréciation de la diminution de valeur résultant de la privation d'accès desdites parcelles en la fixant à 80 000 euros ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant, d'une part, que lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine ; que par suite, M. et Mme X ont droit aux intérêts au taux légal afférents à la somme de 80 000 euros à compter du 15 octobre 1992, date à laquelle ils ont saisi initialement le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à la condamnation du département de Tarn-et-Garonne à réparer le préjudice qu'ils ont subi ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que pour l'application des dispositions précitées la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que M. et Mme X ont demandé par un mémoire du 24 juin 2002 la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande tant à cette date que, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que M. et Mme X n'ont pas ensuite formulé de nouvelles demandes de capitalisation, à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur l'appel en garantie dirigé par le département de Tarn-et-Garonne contre l'Etat :
Considérant que, dans les observations qu'il a présentées au tribunal administratif en réponse à la communication qui lui a été faite des conclusions de M. et Mme X dirigées contre lui, le département de Tarn-et-Garonne a conclu, à titre principal, au rejet desdites conclusions et, à titre subsidiaire, à ce que l'Etat soit condamné à le garantir de toute condamnation qui serait mise à sa charge ; qu'en rejetant, par le jugement attaqué, les conclusions de M. et Mme X dirigées contre le département de Tarn-et-Garonne, le tribunal administratif a fait droit aux conclusions principales de ce dernier et n'avait, par suite, pas eu à se prononcer sur ses conclusions subsidiaires ;
Considérant que le jugement susvisé devant, comme conséquence de ce qui a été dit ci-dessus, être annulé, et les conclusions de la demande de M. et Mme X dirigées contre le département de Tarn-et-Garonne être accueillies, la cour se trouve saisie, par l'effet dévolutif de l'appel, des conclusions subsidiaires du département de Tarn-et-Garonne tendant à ce que l'Etat soit condamné à le garantir de toute condamnation qui serait mise à sa charge ;
Considérant que le préjudice subi par M. et Mme X résulte, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, du refus opposé par le département de Tarn-et-Garonne au rétablissement d'un accès de leurs parcelles à la route départementale n° 999 et ne peut être regardé comme la conséquence directe des travaux réalisés par l'Etat ; que par suite, et nonobstant la circonstance que le transfert effectif dans le domaine départemental des terrains nécessaires au rétablissement des accès supprimés à la suite de la modification du tracé de la route départementale n° 999 n'ait pas été effectué immédiatement, l'appel en garantie du département de Tarn-et-Garonne dirigé contre l'Etat n'est pas fondé ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. et Mme X, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, soient condamnés à verser au département de Tarn-et-Garonne la somme qu'il réclame sur le fondement dudit article ;
Considérant, d'autre part, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le département de Tarn-et-Garonne à payer à M. et Mme X la somme de 1 000 euros qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 29 juin 2001 est annulé.
Article 2 : Le département de Tarn-et-Garonne est condamné à verser à M. et Mme X une somme de 80 000 euros qui portera intérêts à compter du 15 octobre 1992. Les intérêts échus à la date du 24 juin 2002 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme X est rejeté.
Article 4 : Le département de Tarn-et-Garonne versera à M. et Mme X la somme de 1000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions du département de Tarn-et-Garonne tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et son appel en garantie dirigé contre l'Etat sont rejetés.
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N° 01BX01988