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31/03/2025 | FRANCE | N°501683

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 31 mars 2025, 501683


Vu la procédure suivante :



La société civile immobilière Les Marchés méditerranéens a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée d'interrompre immédiatement tous travaux sur les parcelles cadastrées section 901 A nos 95 et 98, situées 130 chemin de la Madrague-ville à Marseille (Bouches-du-Rhône) et de se voir interdire d'y procéder jusqu'à ce que le juge de l'expropria

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Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière Les Marchés méditerranéens a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée d'interrompre immédiatement tous travaux sur les parcelles cadastrées section 901 A nos 95 et 98, situées 130 chemin de la Madrague-ville à Marseille (Bouches-du-Rhône) et de se voir interdire d'y procéder jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit définitivement prononcé sur ses demandes, sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2500965 du 4 février 2025, le juge des référés du tribunal administratif a, d'une part, enjoint à l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée d'interrompre, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance, les travaux de toute nature sur le bâti des parcelles en cause jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé sur la requête de la société Les Marchés méditerranéens et, d'autre part, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 18 février et les 13 et 24 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 4 février 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de rejeter la demande de première instance de la société Les Marchés méditerranéens ;

3°) de mettre à la charge de la société Les Marchés méditerranéens la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, d'une part, la société Les Marchés méditerranéens a elle-même procédé à des destructions de nature à rendre définitivement inutilisables les biens dont la restitution est sollicitée et, d'autre part, il ne poursuit pas de travaux de démolition du bien affectant le caractère restituable du bâtiment ;

- il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif tendant à la restitution du bien de la société Les Marchés méditerranéens dès lors que, d'une part, les travaux de mise en sécurité qu'il a commandés n'ont pas pour objet de démolir le bien dont la restitution est sollicitée devant le juge de l'expropriation mais de le préserver et ne sont pas susceptibles de rendre irréversible l'appropriation de fait des parcelles en cause et, d'autre part, le bien a été antérieurement dégradé par la société Les Marchés méditerranéens, démantelé par les sociétés du groupe Moustapha Slimani et l'état matériel du bâtiment s'oppose à sa restitution puisqu'il ne permet plus d'y réaliser les activités auxquelles il était affecté préalablement à l'expropriation ;

- l'ordonnance attaquée est source d'insécurité juridique en ce qu'elle entre en contradiction avec l'ordonnance du 6 février 2025 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, a considéré que les travaux d'étanchéité et de maçonnerie préalables à l'interruption des travaux de mise en sécurité ne correspondent pas aux " travaux de toute nature " qu'il a dû interrompre en urgence et a rejeté la requête pour défaut d'objet ;

- l'immeuble présente un risque immédiat pour la sécurité du voisinage ainsi qu'il résulte d'un constat d'huissier du 10 mars 2025, qui montre que des débris provenant du vitrage du bâtiment ont été projetés dans la rue par le vent, et sont probablement à l'origine des blessures graves subies par deux passants le 9 mars 2025.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2025, la société civile immobilière Les Marchés méditerranéens conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la commune de Marseille et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée, la société Les Marchés méditerranéens, la commune de Marseille et le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 25 mars 2025, à 15 heures :

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée ;

- le représentant de l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée ;

- Me Bouniol-Brochier, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de la société Les Marchés méditerranéens ;

- la représentante de la société Les Marchés méditerranéens ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".

2. Aux termes de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " (...) en cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation. / Après avoir constaté l'absence de base légale de l'ordonnance portant transfert de propriété, le juge statue sur les conséquences de son annulation ". Aux termes de l'article R. 223-6 du même code : " Le juge constate, par jugement, l'absence de base légale du transfert de propriété et en précise les conséquences de droit. / I. - Si le bien exproprié n'est pas en état d'être restitué, l'action de l'exproprié se résout en dommages et intérêts. / II. S'il peut l'être, le juge désigne chaque immeuble ou fraction d'immeuble dont la propriété est restituée. (...) "

3. Il résulte de l'instruction que la société Les Marchés Méditerranéens était propriétaire à Marseille de parcelles cadastrées section 901 A n°s 95 et 98 supportant plusieurs bâtiments au sein desquels étaient exercées diverses activités, notamment l'abattage d'animaux. Dans le cadre de la première phase de l'opération d'aménagement globale dénommée " Euromed 2 ", qui appelait la réalisation d'une zone d'aménagement concerté (ZAC) dite " Littorale ", le préfet des Bouches-du-Rhône a, par deux arrêtés nos 2017-05 et 2017-06 du 27 février 2017, déclaré d'utilité publique les travaux de réalisation de cette ZAC sur le territoire de la commune de Marseille et déclaré ces parcelles cessibles au bénéfice de l'établissement public d'aménagement (EPA) Euroméditerranée. Les parcelles dont il s'agit ont fait l'objet d'une ordonnance d'expropriation le 30 juin 2017, les indemnités de dépossession ont été fixées par un jugement rendu le 27 juin 2018 et celles-ci ont été payées le 11 décembre 2018. Avec l'accord de l'expropriant, les sociétés exploitantes des installations présentes sur le site se sont maintenues dans les lieux jusqu'au 30 septembre 2019. Par un arrêt n° 19MA05604 du 22 février 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé l'arrêté de cessibilité, au motif que l'arrêté déclarant les travaux d'utilité publique était entaché d'un vice de légalité externe. La société requérante a alors saisi le juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Marseille, en application de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, cité au point 2, en vue d'obtenir l'annulation de l'ordonnance d'expropriation et la restitution de l'ensemble immobilier dont elle était antérieurement propriétaire. Le 16 février 2022, l'EPA Euroméditerranée a notifié l'ordre de service du démarrage de l'exécution des travaux de démolition des bâtiments concernés. Saisi par la société Les Marchés Méditerranéens, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, par une ordonnance du 29 mars 2022, enjoint à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai ces travaux jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé ou jusqu'à l'intervention d'un nouvel arrêté de cessibilité portant sur les parcelles en cause, si celle-ci se produit en premier lieu. Par une ordonnance n° 463341 du 17 juin 2022, le juge des référés du Conseil d'Etat a confirmé l'injonction prononcée par le premier juge mais en précisant qu'elle prendrait fin notamment si l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille était annulé. Le 25 juillet 2022, par une décision n°s 462681, 462773, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Marseille. Saisi de nouveau par la société Les Marchés Méditerranéens, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, par une ordonnance du 29 juillet 2022, de nouveau enjoint à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause. Par une ordonnance n° 466421 du 25 août 2022, le juge des référés du Conseil d'Etat a annulé cette ordonnance et rejeté les demandes de la société requérante. Par un jugement du 4 janvier 2023, le juge de l'expropriation a décidé de surseoir à statuer sur les demandes de celle-ci tendant à la restitution des biens dont elle a été expropriée dans l'attente que le juge administratif se soit définitivement prononcé sur la légalité de l'arrêté de cessibilité. Saisi de nouveau par la société Les Marchés Méditerranéens, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, par une ordonnance du 26 janvier 2023, confirmée par une ordonnance du 13 février 2023 du juge des référés du Conseil d'Etat, rejeté sa demande tendant à l'interruption des travaux. Par un arrêt n° 22MA02201 du 5 juin 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a confirmé l'annulation de l'arrêté de cessibilité. Cet arrêt est passé en force de chose jugée après le rejet des pourvois en cassation formés à son encontre par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux n°s 475559, 475560, 476986 du 14 juin 2024. Le juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Marseille a fixé au 25 mars 2025 l'audience au cours de laquelle doit être appelée la requête de la société Les Marchés Méditerranéens tendant à faire constater que l'ordonnance d'expropriation est dépourvue de base légale et statuer sur les conséquences à tirer. La société a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu'il enjoigne à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre immédiatement les travaux sur les parcelles litigieuses jusqu'à ce que le juge de l'expropriation ait statué définitivement sur sa demande. Par l'ordonnance du 4 février 2025 dont l'EPA Euroméditerranée relève appel, le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à cette demande.

4. Le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et par les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale. Ainsi que le rappelle régulièrement la Cour européenne des droits de l'homme, l'effectivité d'un recours ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant mais suppose que ce recours puisse empêcher l'exécution des mesures contraires à la Convention et dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, telles que l'atteinte aux biens.

5. Il résulte de l'instruction que l'arrêté déclarant cessibles les parcelles appartenant à la société Les Marchés Méditerranéens a été annulé pour excès de pouvoir par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille passé en force de chose jugée, et que l'instance engagée par la société en vue de faire constater que l'ordonnance d'expropriation est dépourvue de base légale et statuer sur les conséquences à tirer est actuellement pendante devant le juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Marseille. Il résulte des dispositions citées au point 2 que cette instance est susceptible d'aboutir à la restitution à la société de tout ou partie des immeubles expropriés. Si l'EPA Euroméditerranée soutient que les travaux en cours sont dans l'intérêt du propriétaire des immeubles, il n'appartient qu'à la société Les Marchés Méditerranéens de déterminer ce qu'elle entend faire des immeubles en question dans l'hypothèse où ils lui seraient restitués, sans avoir à en justifier dans la présente instance en référé. L'établissement public requérant ne saurait, enfin, se prévaloir d'une ordonnance postérieure à l'ordonnance attaquée, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a refusé de modifier l'injonction ordonnée par celle-ci, pour soutenir qu'elle est entachée de contradiction de motifs. Il en résulte que c'est à bon droit que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a retenu que la poursuite des travaux engagés porterait une atteinte grave et manifestement illégale au droit de la société Les Marchés Méditerranéens à un recours effectif devant le juge de l'expropriation et serait de nature à constituer une atteinte irréversible à son droit au respect de ses biens, caractérisant ainsi une situation d'urgence au sens des dispositions citées au point 1 de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

6. Toutefois, il résulte également de l'instruction, que, postérieurement à l'ordonnance dont appel, des débris de vitrage provenant de la toiture de l'immeuble en cause ont été projetés jusque dans la rue par des rafales de vent et qu'il n'est pas exclu que de tels débris aient occasionné des blessures à deux passants le 9 mars 2025. Par conséquent, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'immeuble, dont l'accès est interdit au public, présenterait, à bref délai, d'autres menaces directes pour la sécurité du voisinage, il convient d'autoriser l'EPA Euroméditerranée à mettre en œuvre, dans l'attente du jugement du juge de l'expropriation concernant la restitution éventuelle de l'immeuble, les travaux provisoires et urgents strictement nécessaires à la mise en sécurité des vitrages. Il y a lieu de réformer en ce sens l'ordonnance attaquée du juge des référés du tribunal administratif de Marseille.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de chaque partie la somme que l'autre demande à ce titre.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'établissement public d'aménagement Euroméditerranée est autorisé à mettre en œuvre, dans l'attente du jugement du juge de l'expropriation concernant la restitution éventuelle de l'immeuble, les travaux provisoires et urgents strictement nécessaires à la mise en sécurité des vitrages.

Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 4 février 2025 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée et à la société civile immobilière Les Marchés Méditerranéens.

Copie en sera adressée à la commune de Marseille et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Fait à Paris, le 31 mars 2025

Signé : Alain Seban


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 501683
Date de la décision : 31/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mar. 2025, n° 501683
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER, LASSALLE-BYHET ; SARL GURY & MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:501683.20250331
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