Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 30 octobre 2019 par lequel la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a prononcé à son encontre une sanction de déplacement d'office ainsi que la décision implicite par laquelle elle a rejeté le recours administratif préalable qu'il avait formé contre cette décision. Par un jugement n° 2005162 du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22PA04002 du 15 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. A..., annulé ce jugement mais, statuant par la voie de l'évocation, a rejeté sa demande ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 février et 15 mai 2024 et 29 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge solidairement de l'Etat et de l'université ... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Goyet, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. A... et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'université ... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 février 2025, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A..., ingénieur de recherche de deuxième classe du ministère chargé de l'enseignement supérieur, a exercé les fonctions de directeur de la recherche à l'université ... à compter du 1er décembre 2015. Par un arrêté du 30 octobre 2019, la ministre chargée de l'enseignement supérieur a prononcé à son encontre la sanction du déplacement d'office. M. A... a alors demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'annuler cet arrêté ainsi que la décision implicite par laquelle la ministre a rejeté le recours administratif préalable qu'il avait formé contre cette décision. Par un jugement du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. M. A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 décembre 2023 en tant que la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement et évoqué l'affaire, a rejeté ses conclusions de première instance et le surplus de ses conclusions d'appel.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... n'avait pas soulevé devant la cour administrative d'appel le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique et de l'incomplétude de son dossier individuel. Il ne peut, par suite, utilement soutenir que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt en s'abstenant de répondre à un tel moyen.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En ce qui concerne la régularité de la procédure disciplinaire :
3. En premier lieu, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.
4. L'article 67 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat dispose que : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination qui l'exerce après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline et dans les conditions prévues à l'article 19 du titre Ier du statut général ". L'article 8 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat prévoit que : " Le conseil de discipline, au vu des observations écrites produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations orales de l'intéressé et des témoins ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée. / (...) / La proposition ayant recueilli l'accord de la majorité des membres présents doit être motivée et être transmise par le président du conseil de discipline à l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. (...) / Dans l'hypothèse où aucune des propositions soumises au conseil de discipline, y compris celle consistant à ne pas prononcer de sanction, n'obtient l'accord de la majorité des membres présents, le conseil est considéré comme ayant été consulté et ne s'étant prononcé en faveur d'aucune de ces propositions. Son président informe alors de cette situation l'autorité ayant pouvoir disciplinaire (...) ".
5. En premier lieu, il ressort des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué que la cheffe de service adjointe au directeur général des ressources humaines du ministère chargé de l'enseignement supérieur, qui disposait par délégation du pouvoir disciplinaire et qui a signé la décision de sanction en litige, a présidé la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline durant laquelle a été examinée la situation de M. A.... Elle avait ainsi nécessairement connaissance de la délibération du conseil de discipline avant de prononcer la sanction contestée, conformément à ce que prévoient les dispositions de l'article 8 du décret du 25 octobre 1984 citées au point précédent. Ce motif, qui était invoqué devant les juges du fond et qui a été retenu à titre surabondant par la cour, dont l'examen n'implique aucune appréciation supplémentaire des circonstances de fait, justifie sur ce point le dispositif de l'arrêt attaqué et doit être substitué au motif retenu à tort par la cour à titre déterminant, selon lequel la circonstance que l'autorité disciplinaire n'aurait pas été informée avant de prendre la sanction en litige de ce qu'aucune des propositions soumises au conseil de discipline n'avait obtenu l'accord de la majorité des membres présents n'était pas de nature à avoir eu une influence sur le sens de sa décision.
6. En second lieu, si le requérant soutient que la cour administrative d'appel aurait commis une erreur de droit faute de relever que la présence au sein du conseil de discipline de l'autorité investie du pouvoir de sanction avait nécessairement privé l'intéressé d'une garantie et entaché la procédure d'irrégularité, ce moyen est nouveau en cassation et ne peut, dès lors, qu'être écarté comme inopérant.
En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction :
S'agissant des moyens tirés de l'application des dispositions relatives aux lanceurs d'alerte :
7. Aux termes de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique : " Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. ". Selon les dispositions des 2ème et 3ème alinéas de l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans leur rédaction applicable au litige et qui ont été reprises en substance à l'article L. 135-4 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. / Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit. " Enfin, aux termes du 5ème alinéa du même article, dans sa rédaction applicable au litige et dont les dispositions ont été reprises en substance au A du III de l'article 10-1 de la loi du 9 décembre 2016 : " En cas de litige relatif à l'application des quatre premiers alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit, d'un crime, d'une situation de conflit d'intérêts ou d'un signalement constitutif d'une alerte au sens de l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles (...) ".
8. En premier lieu, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a retenu que si M. A... pouvait être regardé comme ayant signalé de bonne foi et de manière désintéressée une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement par un courrier du 31 août 2017 à la présidente de l'université ..., la sanction litigieuse était fondée sur des faits d'entrave au fonctionnement du service et de manquements à ses obligations de loyauté et d'obéissance hiérarchique, commis au cours des années 2018 et 2019, qui étaient étrangers aux signalements qu'il avait précédemment effectués. A cet égard, la cour a relevé, d'une part, qu'il ressortait des pièces du dossier que M. A... avait reçu, à la suite du signalement effectué en 2017, le soutien de sa hiérarchie et que l'organisation d'un audit avait été décidée pour en tirer les conséquences et que, d'autre part, la procédure disciplinaire avait été engagée plus de dix-huit mois après le signalement, alors que le fonctionnement du service s'était fortement dégradé et que M. A... avait commis plusieurs manquements à ses obligations caractérisant l'existence de fautes disciplinaires susceptibles de justifier le prononcé d'une sanction. En jugeant, au vu des circonstances de l'espèce, que l'autorité administrative établissait que la décision attaquée était justifiée par des motifs étrangers au signalement effectué le 31 août 2017, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation. En en déduisant que M. A... n'avait pas été sanctionné pour avoir signalé une alerte le 31 août 2017 dans le respect de la loi du 9 décembre 2016, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce et n'a pas commis d'erreur de droit.
9. En second lieu, la cour administrative d'appel a relevé que M. A... avait, par un courriel du 20 décembre 2018, communiqué en copie à la cheffe du service de la valorisation de la recherche et à la directrice générale des services, accusé le vice-président de la commission de la recherche et son adjoint de " complicité " avec les actes irréguliers d'un laboratoire et qu'il a, par un courriel du 9 mars 2019 envoyé à de nombreux membres de l'université, mis en cause la probité de la présidente et des deux vice-présidents de la commission de la recherche, accusant la première de protéger ses plus proches collaborateurs et les seconds d'être " au-dessus des lois ". En jugeant, en l'état de ses constatations souveraines, exemptes de dénaturation, que l'envoi de ces courriels n'avait pas consisté à rendre publique une alerte au sens des dispositions citées au point 7 mais à dénigrer les vice-présidents de la commission de la recherche et la présidente de l'université et en en déduisant que M. A... n'était pas fondé à se prévaloir à leur égard des dispositions de l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n'a pas commis d'erreur de droit.
S'agissant des autres moyens relatifs au bien-fondé de la sanction :
10. En premier lieu, en jugeant que M. A... n'avait pas de motif raisonnable de penser qu'il se trouvait dans une situation de travail présentant un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé justifiant l'exercice du droit de retrait, la cour administrative d'appel s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction applicable au litige et dont les dispositions ont été reprises en substance aux articles L. 133-2 et L. 133-3 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés ".
12. En jugeant que M. A... n'apportait aucun élément de nature à faire présumer de l'existence d'un harcèlement moral, la cour administrative d'appel a, sans les dénaturer, porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier qui lui étaient soumises.
13. En troisième lieu, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour administrative d'appel a jugé que les faits reprochés à M. A..., qualifiés d'entrave au bon fonctionnement du service et de manquements à son obligation de loyauté et d'obéissance hiérarchique, étaient établis et a retenu que l'intéressé avait eu une attitude vindicative à l'égard des vice-présidents de la commission de la recherche de l'université.
14. Enfin, en jugeant, eu égard à la nature des fautes commises par M. A... et à leur incidence sur le fonctionnement du service, que la sanction du déplacement d'office prononcée par la ministre chargée de l'enseignement supérieur n'était pas disproportionnée, la cour n'a pas retenu, dans son appréciation du caractère adapté de la sanction, une solution hors de proportion avec les fautes commises.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par M. A... au même titre, ainsi qu'à celles de l'association Maison des lanceurs d'alerte qui n'a pas la qualité de partie dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par l'université ... et par l'association Maison des lanceurs d'alerte sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à l'université ... et à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Copie en sera adressée à la Défenseure des droits et à l'association Maison des lanceurs d'alerte.