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18/02/2025 | FRANCE | N°490792

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 18 février 2025, 490792


Vu la procédure suivante :



La société anonyme (SA) Legrand a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution, à concurrence d'un montant de 1 029 472 euros à majorer d'intérêts moratoires, d'une fraction de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés qu'elle a acquittée en sa qualité de société mère d'un groupe fiscalement intégré, au titre de l'exercice clos en 2015, correspondant à la réintégration dans son résultat fiscal d'une quote-part de frais et charges calculée sur les produits de participation perçus

de filiales établies au Chili. Par un jugement n° 1908285 du 3 décembre 2020, ce t...

Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Legrand a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution, à concurrence d'un montant de 1 029 472 euros à majorer d'intérêts moratoires, d'une fraction de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés qu'elle a acquittée en sa qualité de société mère d'un groupe fiscalement intégré, au titre de l'exercice clos en 2015, correspondant à la réintégration dans son résultat fiscal d'une quote-part de frais et charges calculée sur les produits de participation perçus de filiales établies au Chili. Par un jugement n° 1908285 du 3 décembre 2020, ce tribunal a fait droit à sa demande, sauf en ce qui concerne l'attribution d'intérêts moratoires.

Par un arrêt n° 21PA01640 du 10 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance, a annulé les articles 1er et 2 de ce jugement et remis à la charge de la société la somme dont le tribunal administratif avait prononcé la restitution.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 janvier, 8 avril et 5 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Legrand demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention signée le 7 juin 2004 entre la France et le Chili en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la société Legrand ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Legrand France, qui est membre d'un groupe fiscalement intégré dont la tête est la société Legrand, a perçu en 2015 des dividendes en provenance de filiales établies au Chili, qu'elle a placés sous le régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts. Conformément aux dispositions du I de ce dernier article, elle a exclu le montant de ces dividendes de son bénéfice net, à l'exception d'une quote-part de frais et charges de 5 %. Par une réclamation du 23 février 2018, la société Legrand a demandé la restitution de la fraction de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015 correspondant à la réintégration de cette quote-part. Après le rejet de cette réclamation, elle a porté le litige devant le tribunal administratif de Montreuil, lequel, par un jugement du 3 décembre 2020, a fait droit à sa demande de restitution, à hauteur d'une somme de 1 029 472 euros. La société Legrand se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 novembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance, annulé les articles 1er et 2 de ce jugement et remis à sa charge l'imposition en litige.

2. D'une part, aux termes du I de l'article 216 du code général des impôts : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visés à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations (...) ". Compte tenu du caractère forfaitaire de la quote-part des produits de participations qu'une société mère doit réintégrer à son bénéfice en application du I de l'article 216 du code général des impôts, sans possibilité pour cette dernière de limiter cette réintégration au montant réel des frais et charges de toute nature exposés par elle au cours de la période d'imposition en vue de l'acquisition ou de la conservation des revenus correspondants, ces dispositions doivent être regardées non comme ayant pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de ses frais généraux, des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d'impôt sur les sociétés, mais comme visant à soumettre à cet impôt, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères.

3. D'autre part, aux termes de l'article 223 A du même code, relatif aux conditions d'accès au régime de l'intégration fiscale, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe (...) / III. - Seules peuvent être membres du groupe les sociétés ou les établissements stables qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l'article 214 (...) ". Aux termes de l'article 223 B du même code, également dans sa rédaction applicable au litige : " Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l'article 214. / Le résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société intermédiaire, d'une société étrangère ou de l'entité mère non résidente pour lesquels la société mère apporte la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et n'ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa ".

4. Enfin, aux termes des stipulations de l'article 2 de la convention conclue entre la France et le Chili le 7 juin 2004 en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune : " 3. Les impôts auxquels s'applique la Convention sont notamment : / a) En ce qui concerne la France : / (...) ii) l'impôt sur les sociétés (...) ". Aux termes de l'article 22 de cette même convention : " 1. En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont éliminées de la manière suivante : (...) / b) les dividendes payés par une société qui est un résident de Chili à une société qui est un résident de France sont exonérés d'impôt en France dans les mêmes conditions que si la société qui paye les dividendes était un résident de France ou d'un autre Etat membre de l'Union européenne ".

5. Il résulte de la lettre même des stipulations citées au point 4 que les dividendes distribués par une société établie au Chili à une société établie en France doivent faire l'objet, entre les mains de la société bénéficiaire, d'une exonération d'impôt équivalente à celle qui serait applicable si la distribution était opérée par une société établie en France ou dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Dès lors, d'une part, que la réintégration dans les bénéfices soumis à l'impôt de la société qui reçoit le dividende de la quote-part de frais et charge prévue par le I de l'article 216 du code général des impôts a, lorsque cette quote-part excède le montant des charges effectivement exposées par cette société pour l'acquisition et la conservation du revenu correspondant et dans la limite d'une assiette égale à cet excédent, la nature d'une imposition du dividende reçu et, d'autre part, que cette réintégration est neutralisée lorsque la distribution provient d'une filiale établie en France appartenant au même groupe fiscalement intégré ou, en vertu de l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne dans sa décision du 2 septembre 2015 Société Steria (aff. C-386/14), d'une filiale établie dans un autre Etat membre de l'Union européenne détenue à plus de 95 %, ces stipulations imposent qu'une neutralisation de la quote-part soit opérée dans la même mesure pour ce qui concerne les dividendes distribués par une filiale établie au Chili et qui, si elle était établie en France, satisferait aux conditions subordonnant l'appartenance au groupe fiscalement intégré.

6. Par suite, en se fondant, pour accueillir l'appel du ministre, sur ce que les stipulations du b) du 1 de l'article 22 de la convention franco-chilienne n'avaient en aucun cas pour objet de permettre à la société-mère française, en application du régime d'intégration fiscale applicable à certaines sociétés françaises, de défalquer la quote-part pour frais et charges de son bénéfice consolidé, alors que ces stipulations sont susceptibles d'avoir un tel effet lorsque et dans la mesure où la réintégration de la quote-part entraîne une taxation partielle du dividende reçu, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Legrand est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Legrand, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 10 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Etat versera à la société Legrand la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Legrand et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 janvier 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillères d'Etat, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, conseillers d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.

Rendu le 18 février 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Benjamin Duca-Deneuve

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 490792
Date de la décision : 18/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-01-05 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - GÉNÉRALITÉS. - TEXTES FISCAUX. - CONVENTIONS INTERNATIONALES. - CONVENTION FRANCO-CHILIENNE DU 7 JUIN 2004 – STIPULATIONS PRÉVOYANT L’EXONÉRATION DES DIVIDENDES DE SOURCE CHILIENNE DANS LES MÊMES CONDITIONS QUE SI LA SOCIÉTÉ QUI LES PAYE ÉTAIT RÉSIDENTE DE FRANCE OU D’UN AUTRE ETAT MEMBRE DE L’UE (B DU 1 DE L’ART. 22) – PORTÉE – DIVIDENDES PERÇUS SOUS LE RÉGIME DES SOCIÉTÉS MÈRES (ART. 145 ET 216 DU CGI) – NEUTRALISATION DE LA QUOTE-PART DE FRAIS ET CHARGES – CONDITIONS [RJ1].

19-01-01-05 Il résulte de la lettre même des stipulations du b du 1 de l’article 22 de la convention conclue entre la France et le Chili le 7 juin 2004 que les dividendes distribués par une société établie au Chili à une société établie en France doivent faire l’objet, entre les mains de la société bénéficiaire, d’une exonération d’impôt équivalente à celle qui serait applicable si la distribution était opérée par une société établie en France ou dans un autre Etat membre de l’Union européenne (UE). ...Dès lors, d’une part, que la réintégration dans les bénéfices soumis à l’impôt de la société qui reçoit le dividende de la quote-part de frais et charge prévue par le I de l’article 216 du code général des impôts (CGI) a, lorsque cette quote-part excède le montant des charges effectivement exposées par cette société pour l’acquisition et la conservation du revenu correspondant et dans la limite d’une assiette égale à cet excédent, la nature d’une imposition du dividende reçu et, d’autre part, que cette réintégration est neutralisée lorsque la distribution provient d’une filiale établie en France appartenant au même groupe fiscalement intégré ou, en vertu de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans sa décision du 2 septembre 2015 Société Steria (aff. C-386/14), d’une filiale établie dans un autre Etat membre de l’UE détenue à plus de 95 %, ces stipulations imposent qu’une neutralisation de la quote-part soit opérée dans la même mesure pour ce qui concerne les dividendes distribués par une filiale établie au Chili et qui, si elle était établie en France, satisferait aux conditions subordonnant l’appartenance au groupe fiscalement intégré.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 fév. 2025, n° 490792
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Benjamin Duca-Deneuve
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SARL CABINET BRIARD, BONICHOT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:490792.20250218
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