Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution du décret n° NOR : IOMN2415802D du 7 août 2024 portant déchéance de sa nationalité française.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'il fait l'objet d'une procédure d'expulsion, qu'il est convoqué devant le comité d'expulsion le 29 janvier 2025 et que cette expulsion menace directement sa vie familiale et personnelle ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la précipitation dans laquelle a été engagée une procédure d'expulsion manifeste une instrumentalisation de la procédure de déchéance de nationalité ;
- la décision contestée porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que, en premier lieu, sa famille est exclusivement composée de ressortissants français, en deuxième lieu, il subvient entièrement aux besoins de son épouse et de ses deux enfants âgés de 3 et 7 ans et, en dernier lieu, son expulsion vers la Tunisie l'exposerait à des poursuites ;
- la sanction de déchéance de nationalité est disproportionnée et n'est pas légalement justifiée en ce que, en premier lieu, les faits qui lui sont reprochés ne sont pas d'une exceptionnelle gravité ainsi qu'en témoigne son absence d'incarcération immédiate à son retour de Syrie, en deuxième lieu, aucun groupe terroriste n'était impliqué dans le cadre de son départ en Syrie, en troisième lieu, il a respecté ses obligations judiciaires durant sa liberté sous contrôle judiciaire et ne représente pas un risque grave ou immédiat pour la société française, en quatrième lieu, il s'est réinséré dans la vie sociale et économique de la France après sa sortie de prison et justifie depuis lors d'un comportement exemplaire et, en dernier lieu, son dossier ne comporte aucune preuve d'une implication dans des actions violentes ou dans des projets dangereux en France, en Syrie ou ailleurs ;
- la déchéance de nationalité prononcée alors qu'il a purgé sa peine d'emprisonnement constitue une seconde peine prononcée pour les mêmes faits.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., et d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 4 février 2025, à 11 heures :
- M. B... ;
- le représentant de M. B... ;
- les représentantes du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle la juge des référés a différé la clôture de l'instruction au jeudi 6 février à 14h, puis au 7 février à 12h00.
Par un mémoire après audience, enregistré le 6 février 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, persiste dans ses conclusions tendant au rejet de la requête.
Par un mémoire après audience, enregistré le 7 février 2025, M. B... maintient ses conclusions et demande en outre au juge des référés du Conseil d'Etat, d'une part, d'ordonner la suspension immédiate de son expulsion et, d'autre part, d'enjoindre la restitution de ses documents d'identité. Il soutient que l'impossibilité pratique d'exercer un recours avant l'exécution de la mesure d'expulsion dont il est menacé à la suite de sa déchéance de la nationalité française, alors en outre que celle-ci fait l'objet d'un recours contentieux, méconnaît son droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code pénal ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur les conclusions tendant à la suspension du décret du 7 août 2024 :
2. Aux termes de l'article 25 du code civil : " L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : / 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme (...) ". L'article 25-1 de ce code ne permet la déchéance de la nationalité dans ce cas qu'à la condition que les faits aient été commis moins de quinze ans auparavant et qu'ils aient été commis soit avant l'acquisition de la nationalité française, soit dans un délai de quinze ans à compter de cette acquisition. L'article 421-2-1 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme " mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du code pénal.
3. M. B..., de nationalité tunisienne, a acquis la nationalité française par déclaration de nationalité souscrite le 15 septembre 2006 devant le juge d'instance de Pantin, en application de l'article 21-11 du code civil. Par un jugement du 17 janvier 2017 du tribunal correctionnel de Paris, devenu définitif après l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 octobre 2017 ayant constaté le désistement réciproque de M. B... et du procureur de la République et l'extinction de l'instance d'appel, M. B... a été condamné à une peine de six ans d'emprisonnement pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits prévus par l'article 421-2-1 du code pénal. Il demande la suspension du décret du 7 août 2024, pris sur le fondement des articles 25 et 25-1 du code civil, par lequel il a été déchu de la nationalité française.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été condamné à une peine de six ans d'emprisonnement par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 17 janvier 2017 pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits commis du 1er juillet 2012 au 31 octobre 2012, sur l'ensemble du territoire national, en Turquie et en Syrie. Il ressort des constatations de fait auxquelles a procédé le juge pénal dans son jugement que M. B..., de concert avec d'autres individus, est parti en Turquie le 12 août 2012 afin de se rendre de façon clandestine en Syrie dans le but de rejoindre les rangs de factions combattantes ayant pour objectif d'établir un état islamique et qu'il y a été blessé aux combats, avant de regagner la France le 18 octobre 2012. Il ressort également des constatations de fait opérées par ce juge que M. B... a continué d'avoir, après son retour, des contacts avec des personnes connues pour être radicalisées.
5. D'une part, si M. B... fait notamment valoir qu'il s'est réinséré socialement et professionnellement depuis sa sortie de prison, le moyen tiré de ce que la sanction de déchéance de la nationalité française ne serait pas légalement justifiée et revêtirait un caractère disproportionné n'est, eu égard à la nature et à la gravité des faits commis par le requérant qui ont conduit à sa condamnation pénale et à l'ensemble des circonstances de l'espèce, y compris le comportement de l'intéressé postérieur à ces faits, pas propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté.
6. D'autre part, un décret portant déchéance de la nationalité française est par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité. Si, en revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée, le moyen tiré de ce que le décret litigieux aurait porté une atteinte disproportionnée au respect de ce droit n'est, au cas présent, pas davantage propre à créer, en l'état de l'instruction, un tel doute.
7. Aucun des autres moyens de la requête de M. B... tendant à la suspension de ce décret n'est de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que les conclusions de la requête de M. B... tendant à la suspension du décret du 7 août 2024 prononçant sa déchéance de la nationalité française, ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction dont elles sont assorties, doivent être rejetées.
Sur les autres conclusions de la requête :
9. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative citées au point 1 que, comme la requête en annulation dont l'existence conditionne leur recevabilité, les conclusions à fin de suspension ne peuvent être dirigées que contre une décision administrative. Par suite, les conclusions de M. B... tendant, dans le dernier état de ses écritures, à la suspension immédiate de la mesure future d'expulsion susceptible d'être prononcée à son encontre, qui ne sont dirigées contre aucune décision administrative, ne peuvent qu'être rejetées comme manifestement irrecevables car excédant les pouvoirs conférés au juge des référés statuant sur le fondement de cet article.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Fait à Paris, le 7 février 2025
Signé : Emilie Bokdam