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22/01/2025 | FRANCE | N°499739

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 22 janvier 2025, 499739


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution de la décision du 4 novembre 2024 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à participer aux épreuves du premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature ;



2°) de suspendre l'exécution de la décision du 6 novembre 2024 par laquelle la présidente...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 4 novembre 2024 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à participer aux épreuves du premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision du 6 novembre 2024 par laquelle la présidente du jury a établi la liste des candidats admis à l'issue des épreuves du premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature au titre de la session 2024 en tant que son nom n'y figure pas ou, à titre subsidiaire, en son intégralité ;

3°) d'enjoindre au directeur des services judiciaires de l'autoriser à participer au premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature au titre de la session 2024 et à la présidente du jury d'inscrire à titre provisoire son nom sur la liste des candidats admis, dans l'attente du jugement de son recours en annulation, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la formation de la promotion admise au titre de la session 2024 débute le 17 février 2025, que la décision du 4 novembre 2024 fait obstacle, compte tenu de sa motivation, à toute nouvelle candidature à la magistrature et que l'exécution des décisions qu'il conteste compromet gravement et immédiatement sa situation financière puisque, n'étant plus inscrit dans une formation de l'enseignement supérieur, il ne bénéficie plus de la bourse sur critères sociaux qu'il percevait ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- la décision du 4 novembre 2024 est entachée d'irrégularité, d'une part, en ce qu'elle n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire et, d'autre part, en ce qu'elle a été prise après la consultation irrégulière d'un fichier, sa condamnation à une mesure éducative en 2017 alors qu'il était mineur devant être effacée du bulletin n°1 de son casier judiciaire au terme de trois années et l'article 48-1 du code de procédure pénale excluant l'usage du fichier " Cassiopée " dans les enquêtes administratives de moralité ;

- cette décision est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle se fonde sur une appréciation de la condition de bonne moralité à la date du jugement du 11 janvier 2017 et non à la date de sa candidature, si bien qu'elle ne tient pas compte de son comportement irréprochable depuis lors, ni des avis unanimement favorables émis en connaissance de cause par l'ensemble des autorités consultées en 2024 ;

- elle est entachée d'une erreur de fait en ce qu'elle relève qu'il minimise les faits ayant conduit à sa condamnation ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation en ce qu'elle en déduit qu'il ne remplit pas la condition de bonne moralité exigée pour exercer les fonctions de magistrat ;

- par voie de conséquence, la décision du 6 novembre 2024 relative à la liste des candidats admis, avec laquelle elle forme une opération complexe, est illégale en tant qu'elle ne comporte pas son nom.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2025, l'Ecole nationale de la magistrature conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la présidente du jury avait compétence liée pour ne pas inclure dans la liste des candidats admis le nom du requérant, en exécution de la décision du 4 novembre 2024 du garde des sceaux, ministre de la justice, et s'en rapporte par suite aux moyens soulevés en défense par le ministre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 janvier 2025, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le code de la justice pénale des mineurs ;

- le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 ;

- l'arrêté du 5 mai 1972 fixant les modalités d'inscription des candidats aux concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ainsi que l'Ecole nationale de la magistrature ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 17 janvier 2025, à 11 heures :

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- M. B... ;

- les représentantes du garde des sceaux, ministre de la justice ;

- Me Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Ecole nationale de la magistrature ;

à l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Les auditeurs de justice sont recrutés par voie de concours dans les conditions fixées à l'article 17 ". L'article 16 de la même ordonnance précise que " Les candidats à l'auditorat doivent : (...) 3° Jouir de leurs droits civiques et être de bonne moralité (...) ". Aux termes de l'article 9-1 de l'arrêté du 5 mai 1972 fixant les modalités d'inscription des candidats aux concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature : " Dès que le jury a arrêté la liste des candidats déclarés admissibles pour chaque concours, le directeur de l'Ecole nationale de la magistrature communique aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires et aux procureurs de la République près les tribunaux de première instance, par l'intermédiaire des procureurs généraux près les cours d'appel et des procureurs de la République près les tribunaux supérieurs d'appel, l'identité de ceux résidant dans leur ressort. / Le procureur de la République recueille, pour chaque candidat déclaré admissible, les pièces suivantes : 1° Bulletin n° 2 du casier judiciaire ; 2° Avis de l'autorité administrative, assorti du rapport établi par les services chargés de l'enquête. / Le procureur de la République, après avoir recueilli, le cas échéant, tous renseignements complémentaires utiles, transmet ces éléments au procureur général ou au procureur de la République près le tribunal supérieur d'appel qui les adresse au directeur de l'Ecole nationale de la magistrature, dans le délai prescrit par ce dernier, avec un rapport contenant son avis motivé. (...) ". L'article 9-2 de cet arrêté précise que : " Dès réception des éléments relatifs à la moralité du candidat, le directeur de l'Ecole les transmet avec son avis motivé au garde des sceaux, ministre de la justice. / (...) Les candidats qui ne satisfont pas aux conditions requises pour concourir reçoivent notification de la décision prise à leur égard par le garde des sceaux, ministre de la justice ".

3. M. A... B..., né en janvier 2000, admissible aux épreuves du premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature ouvert pour la session 2024, a obtenu à l'issue des épreuves orales d'admission des résultats lui permettant d'être admis. Toutefois, par une décision du 4 novembre 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de l'autoriser à se porter candidat à ce concours, estimant qu'il ne remplissait pas la condition de bonne moralité exigée par le 3° de l'article 16 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Par suite, son nom ne figure pas dans la liste des candidats déclarés admis établie le 6 novembre 2024 par la présidente du jury de ce concours. Il demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette décision du 4 novembre 2024 et de la liste des candidats déclarés admis établie le 6 novembre 2024 en tant que son nom n'y figure pas.

4. D'une part, au vu de la nature et de l'ancienneté des faits pour lesquels M. B... a été condamné, alors qu'il était mineur, à une mesure éducative de réparation dans l'intérêt de la collectivité, du compte-rendu établi par l'officier de policier judiciaire ayant mené un entretien avec lui dans le cadre de l'enquête de moralité, de l'absence d'aucun autre élément défavorable susceptible de mettre en cause sa bonne moralité à la date de sa candidature, enfin des avis unanimement favorables émis par les autorités consultées dans le cadre de cette enquête et par la directrice de l'Ecole nationale de la magistrature, le moyen tiré de ce que la décision du 4 novembre 2024 est entachée d'une erreur d'appréciation est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision ainsi que, par voie de conséquence, dès lors qu'il n'est pas contesté que le requérant remplissait par ailleurs toutes les conditions pour être admis, sur la légalité de l'omission de son nom dans la liste des candidats admis établie le 6 novembre 2024.

5. D'autre part, l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que l'exécution de la décision soit suspendue sans attendre le jugement de la requête au fond.

6. Il résulte de l'instruction et des échanges à l'audience que M. B..., qui a consacré une année d'études, à l'issue de sa formation en droit à l'université, à la préparation du premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature, se trouve privé, à la date de la présente ordonnance et compte tenu de l'avancement de l'année universitaire, de la possibilité de s'inscrire dans une formation de l'enseignement supérieur, si bien qu'il ne peut plus prétendre au bénéfice de la bourse sur critères sociaux qui représentait l'essentiel de ses moyens de subsistance. Il a en outre été confirmé à l'audience qu'à compter du 17 février 2025, date du début de la formation des auditeurs admis au premier concours de la session 2024, l'Ecole nationale de la magistrature ne pourra plus l'intégrer dans cette promotion, même en cas d'annulation des décisions contestées. Dans ces conditions, M. B... fait état d'une situation qui justifie l'urgence à suspendre l'exécution de ces décisions en tant qu'elles le concernent, sans attendre le jugement de sa requête au fond.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de la décision du 4 novembre 2024 du garde des sceaux, ministre de la justice refusant d'autoriser M. B... à participer au premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature. Par suite, et même s'il est constant que la liste des candidats admis à l'issue de ce concours a un caractère indivisible, il y a lieu, dans l'attente du jugement de la requête en annulation, de suspendre l'exécution de la décision du 6 novembre 2024 établissant cette liste en tant seulement qu'elle ne mentionne pas le nom de M. B... et d'enjoindre à la présidente du jury de statuer, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sur l'inscription à titre provisoire, le cas échéant en surnombre, de M. B... sur la liste des candidats admis au premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature au titre de la session 2024. Il appartiendra ensuite au garde des sceaux, ministre de la justice, en conséquence de cette inscription, d'inscrire à titre provisoire M. B... sur la liste des auditeurs de justice nommés à l'issue du premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature pour la session 2024.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter le surplus des conclusions de sa requête.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de la décision du 4 novembre 2024 du garde des sceaux, ministre de la justice refusant d'autoriser M. B... à participer au premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature est suspendue.

Article 2 : L'exécution de la décision du 6 novembre 2024 de la présidente du jury est suspendue en tant seulement qu'elle ne mentionne pas le nom de M. B... dans la liste des candidats admis à l'issue des épreuves du premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature au titre de la session 2024.

Article 3 : Il est enjoint à la présidente du jury de statuer, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sur l'inscription à titre provisoire, le cas échéant en surnombre, de M. B... sur la liste des candidats admis au premier concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature au titre de la session 2024.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à l'Ecole nationale de la magistrature.

Fait à Paris, le 22 janvier 2025

Signé : Suzanne von Coester


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 499739
Date de la décision : 22/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jan. 2025, n° 499739
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:499739.20250122
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