Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 juillet et 16 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 14 mai 2024 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a suspendu pour une durée de dix-huit mois son droit d'exercer sa profession et subordonné la reprise de son activité professionnelle à une obligation de formation ;
2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la décision contestée :
- la prive de tout revenu et l'expose au risque de perdre définitivement sa patientèle ;
- a été prise par une autorité incompétente, en l'absence de preuve que la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins aurait reçu délégation à cette fin par une délibération du Conseil national de l'ordre dûment publiée ;
- n'est pas suffisamment motivée ;
- est entachée d'une erreur de fait, dès lors que, contrairement à ce qui y est énoncé, les experts n'ont pas indiqué qu'elle reconnaissait ses insuffisances professionnelles, mais seulement ses insuffisances ;
- repose sur une erreur manifeste d'appréciation, aucun élément du dossier ne permettant de caractériser une insuffisance professionnelle ;
- procède d'une erreur de droit, faute de caractériser la dangerosité supposée de sa pratique professionnelle ;
- est manifestement disproportionnée, eu égard, en premier lieu, à l'étendue de la mesure d'interdiction, en deuxième lieu, à sa durée, et, en troisième lieu, à l'obligation de formation subordonnant la reprise de son activité professionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 août 2024, le Conseil national de l'ordre des médecins conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B..., et, d'autre part, le Conseil national de l'ordre des médecins ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 16 août 2024, à 15 heures :
- Me Posez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;
- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 20 août 2024 à 12 heures ;
Vu le mémoire, enregistré le 19 août 2024, présenté par Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Aux termes du I de l'article L. 4124-11 du code de la santé publique, le conseil régional de l'ordre des médecins " peut décider la suspension temporaire du droit d'exercer en cas d'infirmité du professionnel ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession, ainsi que la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer en cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de sa profession ". Aux termes du II du même article : " Les décisions des conseils régionaux (...) en matière (...) de suspension temporaire totale ou partielle du droit d'exercer en cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession peuvent faire l'objet d'un recours hiérarchique devant le Conseil national. Le Conseil national peut déléguer ses pouvoirs à une formation restreinte qui se prononce en son nom ". Aux termes de l'article R. 4124-3-5 du même code : " I.- En cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional (...) pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. / Le conseil régional (...) est saisi à cet effet soit par le directeur général de l'agence régionale de santé, soit par une délibération du conseil départemental ou du conseil national. (...) / II.- La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional (...) dans les conditions suivantes : / 1° Pour les médecins, le rapport est établi par trois médecins qualifiés dans la même spécialité que celle du praticien concerné désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts. (...) Pour la médecine générale, le troisième expert est choisi parmi les personnels enseignants titulaires ou les professeurs associés ou maîtres de conférences associés des universités ; (...) / (...) / V.- Avant de se prononcer, le conseil régional (...) peut, par une décision non susceptible de recours, décider de faire procéder à une expertise complémentaire dans les conditions prévues aux II, III et IV du présent article. / VI.- Si le conseil régional (...) n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre. / VII.- La décision de suspension temporaire du droit d'exercer pour insuffisance professionnelle définit les obligations de formation du praticien. / La notification de la décision mentionne que la reprise de l'exercice professionnel par le praticien ne pourra avoir lieu sans qu'il ait au préalable justifié auprès du conseil régional (...) avoir rempli les obligations de formation fixées par la décision. (...) ". En application des articles R. 4124-3-3 et R. 4124-3-7 de ce code, la décision du Conseil national de l'ordre relative à la suspension temporaire d'un praticien pour insuffisance professionnelle est susceptible d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat dans le délai de deux mois.
3. Il ressort des pièces du dossier que, saisi par le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins d'une demande de mise en œuvre, à l'encontre de Mme A... B..., médecin spécialiste en médecine générale, des dispositions relatives à la suspension temporaire d'un praticien pour insuffisance professionnelle, citées au point 2, le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre, n'ayant pas statué dans le délai de deux mois imparti par ces dispositions, a renvoyé l'affaire au Conseil national de l'ordre. Le 14 mai 2024, le Conseil national de l'ordre des médecins, siégeant en formation restreinte, au vu de la nouvelle expertise, réalisée le 5 mars 2024, décidée par la formation restreinte le 20 juillet 2022 en complément de la première expertise réalisée le 31 mai 2022, après avoir relevé les insuffisances constatées par les experts, a décidé de suspendre Mme B... du droit d'exercer pour une durée de dix-huit mois, et subordonné la reprise de son exercice à ce qu'elle justifie s'être conformée aux obligations de formation définies par la même décision. Mme B... a saisi le Conseil d'Etat d'un recours tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cette décision. Mme B... demande en outre au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, citées au point 1, de suspendre l'exécution de la même décision.
4. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article 5.1 du titre IV du règlement intérieur du Conseil national de l'ordre des médecins, adopté par délibération du 13 décembre 2018, dans sa rédaction issue, en dernier lieu, de la délibération du 13 décembre 2023 et publiée sur le site Internet de cette autorité, que le Conseil national de l'ordre a institué, pour exercer par délégation ses pouvoirs en matière de suspension temporaire d'un praticien pour insuffisance professionnelle, la formation restreinte prévue au II de l'article L. 4124-11 du code de la santé publique. En deuxième lieu, la décision contestée énonce les circonstances de droit et de fait sur lesquelles elle est fondée. En troisième lieu, en indiquant que Mme B... reconnaissait ses insuffisances, les auteurs de l'expertise complémentaire ordonnée par la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins, qui ne pouvait avoir pour objet que d'évaluer l'aptitude professionnelle de ce médecin, n'ont pu désigner que ses insuffisances professionnelles, ainsi que l'énonce la décision contestée. En quatrième lieu, eu égard aux approximations, insuffisances ou ignorances relevées par cette expertise dans les réponses de Mme B... aux questions thérapeutiques relatives aux cas cliniques qui lui ont été soumis, il n'apparaît pas que l'appréciation portée par la décision contestée sur l'insuffisance professionnelle de ce médecin serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. En cinquième lieu, en relevant une telle insuffisance, la décision contestée caractérise suffisamment, sans erreur de droit, la dangerosité de l'exercice de sa profession par Mme B.... En sixième et dernier lieu, il n'apparaît pas que, ni par sa durée, ni par son étendue, notamment en ce qu'elle n'exclut pas de l'interdiction d'exercice qu'elle prononce " la pratique de la nutrition ", dont il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, qu'elle puisse être distinguée de l'ensemble de l'activité d'un médecin spécialisé en médecine générale, ni en ce qu'elle subordonne la reprise d'activité de Mme B... à la mise en œuvre des obligations de formation qu'elle définit, la décision contestée serait manifestement disproportionnée.
5. Il résulte de ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés, tirés de l'incompétence des auteurs de la décision contestée, de son insuffisance de motivation, de l'erreur de fait, de l'erreur manifeste d'appréciation, de l'erreur de droit et de la disproportion manifeste qui l'entacheraient, n'est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, et que la requête de Mme B... doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du Conseil national de l'ordre des médecins présentées sur le même fondement.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du Conseil national de l'ordre des médecins présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... B... et au Conseil national de l'ordre des médecins.
Copie en sera adressée à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Fait à Paris, le 26 août 2024
Signé : Nicolas Polge