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25/07/2024 | FRANCE | N°496244

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 25 juillet 2024, 496244


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés le 23 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution de la décision du 14 mai 2024 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a suspendu pour une durée de dix-huit mois son droit d'exercer sa profession et subordonné la reprise de son activité profession

nelle à une obligation de formation ;



2°) de mettre à la charg...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés le 23 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 14 mai 2024 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a suspendu pour une durée de dix-huit mois son droit d'exercer sa profession et subordonné la reprise de son activité professionnelle à une obligation de formation ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la décision contestée :

- la prive de tout revenu et l'expose au risque de perdre définitivement sa patientèle ;

- porte une atteinte grave à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie, au libre exercice d'une profession et à la liberté du travail ;

- a été prise par une autorité incompétente, en l'absence de preuve que la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins aurait reçu délégation à cette fin par une délibération du Conseil national de l'ordre dûment publiée ;

- n'est pas suffisamment motivée ;

- est entachée d'une erreur de fait, dès lors que, contrairement à ce qui y est énoncé, les experts n'ont pas indiqué qu'elle reconnaissait ses insuffisances professionnelles, mais seulement ses insuffisances ;

- repose sur une erreur manifeste d'appréciation, aucun élément du dossier ne permettant de caractériser une insuffisance professionnelle ;

- procède d'une erreur de droit, faute de caractériser la dangerosité supposée de sa pratique professionnelle ;

- est manifestement disproportionnée, eu égard, d'une part, à l'étendue de la mesure d'interdiction prononcée et, d'autre part, à l'obligation de formation à laquelle est subordonnée la reprise de son activité professionnelle.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Aux termes du I de l'article L. 4124-11 du code de la santé publique, le conseil régional de l'ordre des médecins " peut décider la suspension temporaire du droit d'exercer en cas d'infirmité du professionnel ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession, ainsi que la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer en cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de sa profession ". Aux termes du II du même article : " Les décisions des conseils régionaux (...) en matière (...) de suspension temporaire totale ou partielle du droit d'exercer en cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession peuvent faire l'objet d'un recours hiérarchique devant le Conseil national. Le Conseil national peut déléguer ses pouvoirs à une formation restreinte qui se prononce en son nom ". Aux termes de l'article R. 4124-3-5 du même code : " I.- En cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional (...) pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. / Le conseil régional (...) est saisi à cet effet soit par le directeur général de l'agence régionale de santé, soit par une délibération du conseil départemental ou du conseil national. (...) / II.- La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional (...) dans les conditions suivantes : / 1° Pour les médecins, le rapport est établi par trois médecins qualifiés dans la même spécialité que celle du praticien concerné désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts. (...) Pour la médecine générale, le troisième expert est choisi parmi les personnels enseignants titulaires ou les professeurs associés ou maîtres de conférences associés des universités ; (...) / (...) / V.- Avant de se prononcer, le conseil régional (...) peut, par une décision non susceptible de recours, décider de faire procéder à une expertise complémentaire dans les conditions prévues aux II, III et IV du présent article. / VI.- Si le conseil régional (...) n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre. / VII.- La décision de suspension temporaire du droit d'exercer pour insuffisance professionnelle définit les obligations de formation du praticien. / La notification de la décision mentionne que la reprise de l'exercice professionnel par le praticien ne pourra avoir lieu sans qu'il ait au préalable justifié auprès du conseil régional (...) avoir rempli les obligations de formation fixées par la décision. (...) ". En application des articles R. 4124-3-3 et R. 4124-3-7 de ce code, la décision du Conseil national de l'ordre relative à la suspension temporaire d'un praticien pour insuffisance professionnelle est susceptible d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat dans le délai de deux mois.

3. Il ressort des pièces du dossier que, saisi par le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins d'une demande de mise en œuvre, à l'encontre de Mme A... B..., des dispositions relatives à la suspension temporaire d'un praticien pour insuffisance professionnelle, citées au point 2, le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre, n'ayant pas statué dans le délai de deux mois imparti par ces dispositions, a renvoyé l'affaire au Conseil national de l'ordre. Le 14 mai 2024, le Conseil national de l'ordre des médecins, siégeant dans la formation restreinte prévue au II de l'article L. 4124-11 du code de la santé publique cité au point 2 ci-dessus et au paragraphe 5.1 du titre IV du règlement intérieur de l'ordre des médecins, au vu de la nouvelle expertise, réalisée le 5 mars 2024, décidée par la formation restreinte le 20 juillet 2022 en complément de la première expertise réalisée le 31 mai 2022, après avoir relevé les insuffisances constatées par les experts, a décidé de suspendre Mme B... du droit d'exercer pour une durée de dix-huit mois, et subordonné la reprise de son exercice à ce qu'elle justifie s'être conformée aux obligations de formation définies par la même décision. Mme B... a saisi le Conseil d'Etat d'un recours tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cette décision, ainsi que d'une requête tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de son exécution. Par une autre requête, sur laquelle statue la présente décision, Mme B... demande également au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, citées au point 1, de suspendre l'exécution de la même décision.

4. En vue d'établir que la décision du Conseil national de l'ordre des médecins porte à sa liberté d'exercer sa profession une atteinte grave et manifestement illégale, Mme B... soutient, en premier lieu, qu'il n'est établi ni que le Conseil national de l'ordre des médecins aurait délégué à sa formation restreinte ses pouvoirs en matière de suspension temporaire d'un praticien pour insuffisance professionnelle, ni qu'une telle délégation aurait été publiée ; en deuxième lieu, que cette décision ne serait pas suffisamment motivée ; en troisième lieu, qu'elle serait entachée d'une erreur de fait, dès lors que contrairement à ce qui y est énoncé, les experts n'auraient pas indiqué qu'elle reconnaissait ses insuffisances professionnelles, mais seulement ses insuffisances ; en quatrième lieu, qu'elle reposerait sur une " erreur manifeste d'appréciation ", dès lors qu'aucun élément du dossier ne permettrait de caractériser une insuffisance professionnelle ; en cinquième lieu, qu'elle procèderait d'une erreur de droit, faute de rechercher si sa pratique professionnelle présente un caractère dangereux ; en dernier lieu, qu'elle serait " manifestement disproportionnée ", eu égard, d'une part, à l'étendue de la mesure d'interdiction prononcée et, d'autre part, à l'obligation de formation à laquelle est subordonnée la reprise de son activité professionnelle.

5. Il apparaît manifeste, dans les circonstances de l'espèce, que ces moyens ne sont pas de nature à caractériser une atteinte manifestement illégale à la liberté de Mme B... d'exercer sa profession. Il s'ensuit que sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... B....

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.

Fait à Paris, le 25 juillet 2024

Signé : Nicolas Polge


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 496244
Date de la décision : 25/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2024, n° 496244
Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:496244.20240725
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