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18/07/2024 | FRANCE | N°496014

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 18 juillet 2024, 496014


Vu la procédure suivante :

M. C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'autre part, d'enjoindre au conseil départemental de la Seine-Saint-Denis d'accomplir toutes les diligences utiles pour qu'il puisse bénéficier d'une mise à l'abri dans l'attente de son rendez-vous pour l'évaluation de sa situation et de son âge, dans un délai de douze heures à compter de la

notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 eur...

Vu la procédure suivante :

M. C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'autre part, d'enjoindre au conseil départemental de la Seine-Saint-Denis d'accomplir toutes les diligences utiles pour qu'il puisse bénéficier d'une mise à l'abri dans l'attente de son rendez-vous pour l'évaluation de sa situation et de son âge, dans un délai de douze heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2409103 du 11 juillet 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a, d'une part, admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête, enregistrée le 16 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler l'ordonnance du 11 juillet 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Montreuil ;

3°) d'enjoindre au président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis d'organiser l'évaluation de sa situation au titre des articles L. 221-1, L. 221-2-4, L. 222-5 et R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles et de le mettre, dans l'attente, à l'abri, dans le délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge du département de la Seine-Saint-Denis le versement à son avocat de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'ordonnance attaqué est insuffisamment motivée, faute de se prononcer sur sa situation particulière ;

- sa minorité n'est pas contestée ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'il est sans abri, se trouve dans une situation d'extrême précarité et est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé et de sa sécurité ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, du fait de la carence du département dans sa mission d'accueil provisoire et d'évaluation d'urgence des mineurs isolés, en méconnaissance de l'article 375 du code civil et des articles L. 221-1, L. 221-2-4, L. 222-5 et R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2023-1240 du 22 décembre 2023 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique (...) aux mineurs et à leur famille (...) confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs (...) ; / 3° A... en urgence des actions de protection des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / (...). ". Les premier et deuxième alinéas de l'article L. 221-2 du même code disposent que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est placé sous l'autorité du président du conseil départemental. / Le département organise sur une base territoriale les moyens nécessaires à l'accueil et à l'hébergement des enfants confiés à ce service. (...) " Aux termes de l'article L. 221-2-4 de ce code : " I. Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence. / II. En vue d'évaluer la situation de la personne mentionnée au I et après lui avoir permis de bénéficier d'un temps de répit, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. / L'évaluation est réalisée par les services du département. (...) / (...) / Il statue sur la minorité et la situation d'isolement de la personne, en s'appuyant sur les entretiens réalisés avec celle-ci, sur les informations transmises par le représentant de l'Etat dans le département ainsi que sur tous les éléments susceptibles de l'éclairer. / (...) ".

3. Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 221-11 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2023-1240 du 22 décembre 2023, prévoit que : " I.- La durée de l'accueil provisoire d'urgence prévu au I de l'article L. 221-2-4 est de cinq jours à compter du premier jour de la prise en charge de la personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. L'accueil peut être prolongé deux fois pour la même durée. Le président du conseil départemental informe sans délai le procureur de la République de cet accueil et de ses éventuelles prolongations. / II.- L'évaluation de la minorité et de l'isolement prévue au II de l'article L. 221-2-4 est réalisée pendant la période d'accueil provisoire d'urgence et après que la personne accueillie a bénéficié d'un temps de répit. /III.- Au cours du temps de répit, le président du conseil départemental identifie les besoins en santé de la personne accueillie en vue, le cas échéant, d'une orientation vers une prise en charge adaptée. Les éléments obtenus à cette occasion ne peuvent pas être utilisés pour évaluer la minorité et la situation d'isolement de la personne accueillie. /La durée du temps de répit est déterminée par le président du conseil départemental en fonction de la situation de la personne accueillie au moment où elle se présente, en particulier de son état de santé physique et psychique ainsi que du temps nécessaire pour que la personne soit informée, dans une langue qu'elle comprend, des modalités et des enjeux attachés à l'évaluation. / IV.- L'évaluation de la minorité et de l'isolement est organisée selon les modalités précisées dans un référentiel national fixé par arrêté des ministres de la justice et de l'intérieur ainsi que des ministres chargés de l'enfance, des collectivités territoriales et de l'outre-mer./ Les entretiens sont conduits par des professionnels justifiant d'une formation ou d'une expérience définie par arrêté des ministres mentionnés à l'alinéa précédent dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire. Ces entretiens se déroulent dans une langue comprise par la personne accueillie (...)VI.- Au terme du délai mentionné au I ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental rend la décision prévue par le septième alinéa du II de l'article L. 221-2-4 et, le cas échéant, saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 aux fins d'application du deuxième alinéa de l'article 375-5 du code civil. Dans ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge jusqu'à la décision de l'autorité judiciaire./ Si le président du conseil départemental estime que la situation de la personne accueillie ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions de l'article R. 223-2 du code de l'action sociale et des familles. Dans ce cas, l'accueil provisoire d'urgence prend fin. "

4. Il résulte de ces dispositions que, sous réserve des cas où la condition de minorité ne serait à l'évidence pas remplie, il incombe aux autorités du département de mettre en place un accueil provisoire d'urgence pour toute personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, confrontée à des difficultés risquant de mettre en danger sa santé, sa sécurité ou sa moralité, en particulier parce qu'elle est sans abri. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

5. Si l'article R. 211-1 prévoit que, pendant cet accueil provisoire, il est procédé à une évaluation portant notamment sur l'âge de cette personne et que, au vu des résultats de cette évaluation, le président du conseil départemental peut opposer à l'intéressé un refus de prise en charge et mettre fin à l'accueil provisoire d'urgence dont il bénéficiait, les contraintes inhérentes à l'organisation de cette évaluation ne sauraient justifier que le département se soustraie à l'obligation d'accueil prévue par le législateur. La délivrance à une personne se disant mineure, privée de la protection de sa famille et sans abri se présentant aux services du département d'un rendez-vous à échéance de plusieurs semaines pour qu'il soit procédé à cette évaluation préalablement à son accueil constitue une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission d'accueil du département et porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il y a lieu, toutefois, comme il a été dit au point précédent, pour le juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

6. Il résulte de l'instruction conduite par la juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, qui a été tant écrite qu'orale, une audience s'étant tenue le 5 juillet 2024, que M. B..., qui se dit de nationalité guinéenne et âgé de seize ans et demi, s'est présenté le 17 juin 2024 auprès du Pôle Evaluation des Mineurs G... D... (E...) de F...), où une date de rendez-vous, en vue de l'évaluation de sa situation et de son âge, fixée au 24 juillet 2024, lui a été remise, sans qu'il ne soit, dans l'attente, mis à l'abri. Par son ordonnance du 11 juillet 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de M. B... tendant à ce qu'il soit mis à l'abri dans l'attente du rendez-vous lui ayant été donné le 24 juillet 2024, au motif qu'il n'était pas contesté que le E... avait pris en compte l'âge et l'état de santé de M. B... pour la fixation de la date de son évaluation et que si l'absence de mise à l'abri de ce dernier constituait une carence dans l'accomplissement de la mission d'accueil et d'évaluation d'urgence du département de la Seine-Saint-Denis, cette situation ne portait pas, en l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée justifiant que l'injonction sollicitée doive être prononcée, compte tenu, d'une part, de la saturation actuelle du dispositif départemental d'accueil des mineurs étrangers isolés, malgré de nouveaux moyens déployés par le département, résultant d'un afflux très important de jeunes non accompagnés depuis plusieurs semaines en Seine-Saint-Denis et, d'autre part, des perspectives réalistes d'augmentation à court terme de la capacité d'accueil et d'évaluation dans le département, dans le contexte notamment d'une saturation conjoncturelle de toutes les capacités d'hébergement, même en prenant en compte des locaux non habituellement dédiés à l'hébergement, occasionnée par la tenue, en particulier en Seine-Saint-Denis, des jeux Olympiques à compter du 26 juillet prochain.

7. Au soutien de sa requête d'appel contre l'ordonnance attaquée, M. B... se borne à soutenir que la carence du département de la Seine-Saint-Denis à le prendre en charge sans délai, avant le rendez-vous fixé pour l'évaluation de sa situation et de son âge, constitue, par elle-même, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale invoquée justifiant que l'injonction qu'il sollicite soit prononcée, sans apporter d'éléments concrets et circonstanciés, qui ne figuraient, d'ailleurs, pas davantage dans ses écritures de première instance ou dans les pièces du dossier du tribunal administratif, quant à son état de santé et à sa situation, tant avant le 17 juin 2024 qu'après cette date, et sans contester les mentions de l'ordonnance attaquée selon lesquelles le service en charge des mineurs étrangers isolés dans le département de la Seine-Saint-Denis, alors même que les moyens alloués à l'accueil et la prise en charge de ces personnes avaient été sensiblement accrus, était temporairement confronté à une situation exceptionnelle qui le conduisait à déterminer les dates des rendez-vous, à échéance de quelques jours à quelques semaines, pour l'évaluation de la situation des mineurs étrangers isolés et leur prise en charge, en fonction de leur âge, de leur sexe et de leur état de santé et qu'en l'espèce, son âge et son état de santé avaient été effectivement pris en compte le 17 juin 2024 pour lui attribuer une date de rendez-vous, fixée au 24 juillet suivant.

8. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, qui est suffisamment motivée, la juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

9. Dans les circonstances de l'espèce, et sans qu'il y ait lieu d'admettre M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, il y a lieu de rejeter les conclusions qu'il présente au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C... B....

Fait à Paris, le 18 juillet 2024

Signé : Maud Vialettes


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 496014
Date de la décision : 18/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2024, n° 496014
Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:496014.20240718
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