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16/07/2024 | FRANCE | N°494780

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 16 juillet 2024, 494780


I. Sous le n° 494780, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juin et 8 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des professionnels du CBD, la société CMCMRS DISTRIBUTION, la société MYBUD, la société CBD'EAU, la société HOPE PET FOOD, la société UPRISING DISTRI, la société CALADE CBD, la société COMPTOIR BIEN-ETRE DISTRIBUTION, la société C2VI, la société THERAP'CBD demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) à titre principal, de suspendre l'exécution de la décision de la directri...

I. Sous le n° 494780, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juin et 8 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des professionnels du CBD, la société CMCMRS DISTRIBUTION, la société MYBUD, la société CBD'EAU, la société HOPE PET FOOD, la société UPRISING DISTRI, la société CALADE CBD, la société COMPTOIR BIEN-ETRE DISTRIBUTION, la société C2VI, la société THERAP'CBD demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, de suspendre l'exécution de la décision de la directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) du 22 mai 2024 portant modification de la liste des substances classées comme stupéfiants ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre cette décision en ce qu'elle classe comme stupéfiants les cannabinoïdes hémi-synthétiques tels que le H2-CBD, le H4-CBD et toutes les substances dérivées du noyau benzo[c]chromène ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles justifient d'un intérêt pour agir et que leur requête est recevable ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'application immédiate de la décision contestée entraîne, d'une part, des conséquences économiques irréversibles sur leur activité et, d'autre part, des conséquences pénales graves et irrémédiables ;

- il existe un doute quant à la légalité de la décision contestée ;

- la décision contestée porte atteinte au doit de commercialiser du chanvre dès lors qu'elle interdit de façon générale sans seuil de tolérance toute activité agricole et commerciale des cannabinoïdes hémi-synthétiques présents naturellement dans la plante de cannabis en violation de l'article 38 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ;

- la décision contestée porte atteinte au principe de libre circulation des marchandises dès lors qu'elle n'est pas justifiée au regard d'un objectif de santé publique conformément aux articles 34 et 36 du TFUE ;

- elle porte atteinte au droit de propriété, à la liberté d'entreprendre et à la liberté d'aller et venir en ce que, d'une part, elle vise un ensemble de molécules extrêmement vaste défini par une référence difficilement compréhensible et, d'autre part, elle ne démontre pas la dangerosité sanitaire des produits classés mais procède par postulats.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2024, l'ANSM conclut au non-lieu à statuer sur la demande de suspension de l'exécution de la décision contestée en ce qu'elle interdit toute substance cannabinoïde dérivée du noyau benzo[c]chromène et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les requérantes ne justifient pas d'un intérêt pour agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

II. Sous le n° 494974, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juin et 8 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des professionnels du CBD, la société CMCMRS DISTRIBUTION, la société MYBUD, la société CBD'EAU, la société HOPE PET FOOD, la société UPRISING DISTRI, la société CALADE CBD, la société COMPTOIR BIEN ETRE DISTRIBUTION, la société C2VI, la société THERAP'CBD demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, de suspendre l'exécution de la décision de la directrice générale de l'ANSM du 3 juin 2024 portant modification de la liste des substances classées comme stupéfiants ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre cette décision en ce qu'elle classe comme stupéfiants les cannabinoïdes hémi-synthétiques tels que le H2-CBD, le H4-CBD et toutes les substances dérivées du noyau benzo[c]chromène ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles justifient d'un intérêt pour agir et que leur requête est recevable ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'application de la décision contestée entraîne, d'une part, des conséquences économiques irréversibles sur leur activité et, d'autre part, des conséquences pénales graves et irrémédiables ;

- il existe un doute quant à la légalité de la décision contestée ;

- la décision contestée est entachée d'irrégularités dès lors que, d'une part, elle n'a pas été préalablement notifiée à la Commission européenne en méconnaissance des dispositions de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 et, d'autre part, le pouvoir de modification des dispositions de l'arrêté du 30 décembre 2021 relève de la compétence exclusive du ministre du travail, de la santé et des solidarités conformément à l'article R. 5132-86-1 du code de la santé publique ;

- elle classe plusieurs phytocannabinoïdes dans la catégorie des stupéfiants en se fondant sur des taux et des méthodes arbitraires.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2024, l'ANSM conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les requérantes ne justifient pas d'un intérêt pour agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

III. Sous le n° 495487, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 juin et 8 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société CBD'EAU demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, de suspendre l'exécution des décisions de l'ANSM des 22 mai et 3 juin 2024 portant classement comme stupéfiants des cannabinoïdes de synthèse et des cannabinoïdes hémi-synthétiques ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution des décisions de l'ANSM des 22 mai et 3 juin 2024 en ce qu'elles classent comme stupéfiants des cannabinoïdes hémi-synthétiques tels que le H2-CBD, le H4-CBD et toutes les substances dérivées du noyau benzo[c]chromène ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie d'un intérêt pour agir et que sa requête est recevable ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, l'application de la décision contestée entraîne des conséquences économiques irréversibles sur son activité ainsi que des conséquences pénales graves et irrémédiables, en deuxième lieu, l'adoption des décisions contestées est soudaine et n'a pas été assortie d'un régime transitoire et, en dernier lieu, la destruction nécessaire des produits stupéfiants est rigoureusement encadrée et nécessite l'obtention d'autorisations administratives préalables dont la délivrance prend plusieurs mois ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- la décision du 3 juin 2024 est entachée d'irrégularités dès lors que, d'une part, le pouvoir de modification des dispositions de l'arrêté du 30 décembre 2021 relève de la compétence exclusive du ministre du travail, de la santé et des solidarités conformément à l'article R. 5132-86 du code de la santé publique et, d'autre part, elle n'a pas fait l'objet d'une notification à la Commission européenne conformément aux dispositions de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;

- les décisions contestées portent atteinte au droit de commercialiser du chanvre dès lors qu'elles interdisent de façon générale sans seuil de tolérance toute activité agricole et commerciale des cannabinoïdes hémi-synthétiques présents naturellement dans la plante de cannabis en violation de l'article 38 du TFUE ;

- les décisions contestées portent atteinte au principe de libre circulation des marchandises dès lors qu'elles ne sont pas justifiées au regard d'un objectif de santé publique conformément aux article 34 et 36 du TFUE ;

- les décisions contestées portent atteinte au droit de propriété, à la liberté d'entreprendre et à la liberté d'aller et venir et doivent être entendues comme contraires à la loi dès lors que les examens cliniques effectués ne permettent pas de s'assurer que les produits classés sont effectivement psychotropes et créent un risque de dépendance ou pour la santé.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 et 10 juillet 2024, l'ANSM conclut au non-lieu à statuer sur la demande de suspension de l'exécution des décisions contestées et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la requérante ne justifie pas d'un intérêt pour agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive (UE) n° 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;

- la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 ;

- le code pénal ;

- le code de la consommation ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Union des professionnels du CBD, la société CMCMRS DISTRIBUTION, la société MYBUD, la société CBD'EAU, la société HOPE PET FOOD, la société UPRISING DISTRI, la société CALADE CBD, la société COMPTOIR BIEN ETRE DISTRIBUTION, la société C2VI, la société THERAP'CBD et, d'autre part, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 juillet 2024, à 10 heures 30 :

- Me Pizarro, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Union des professionnels du CBD et autres et de la société CBD'EAU ;

- les représentants de l'Union des professionnels du CBD, de la société CMCMRS DISTRIBUTION et de la société CBD'EAU ;

- Me Gouz-Fitoussi, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de l'ANSM ;

- les représentants de l'ANSM ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes en référé enregistrées sous les n° 494780, 494974 et 495487 ont le même objet. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

4. L'Union des professionnels du CBD et autres demandent, à titre principal, la suspension, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de l'exécution des décisions des 22 mai et 3 juin 2024 de la directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) portant modification de la liste des substances classées comme stupéfiants fixée par l'arrêté du 22 février 1990 pour y ajouter, d'une part, les cannabinoïdes synthétiques, d'autre part, les cannabinoïdes hémisynthétiques tels que le H4-CBD, le H2-CBD, les dérivés de cannabinoïdes formés à partir du noyau benzo[c]chromène tels que l'hexahydrocannabinol ou HHC, l'hexahydrocannabinol acétate ou HHC-acétate, l'hexahydrocannabiphorol ou HHCP, l'hexahydrocannabiphorol acétate ou HHCP acétate, le tétrahydrocannabiphorol ou THCP et l'acide tétrahydrocannabinolique ou THCA. Les requérantes demandent, à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de ces mêmes décisions en ce qu'elles classent comme stupéfiants des cannabinoïdes hémi-synthétiques tels que le H2-CBD, le H4-CBD et toutes les substances dérivées du noyau benzo[c]chromène.

5. Pour solliciter la suspension de l'exécution des décisions litigieuses sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'Union des professionnels du CBD et autres soutiennent que l'urgence est caractérisée par les conséquences économiques irrémédiables et inéluctables que la décision litigieuse occasionne pour les opérateurs économiques, qui doivent gérer leurs stocks de produits, décider de l'exécution des contrats en cours, et dont la pérennité de l'activité peut dans certains cas être menacée, ainsi que par les graves conséquences pénales qui découleraient de son application immédiate et sans régime transitoire et enfin par la gravité des atteintes portées aux libertés fondamentales.

6. Toutefois, en premier lieu, il résulte de l'instruction que l'Union des professionnels du CBD et les autres sociétés requérantes se bornent à produire des attestations d'experts-comptables retraçant pour plusieurs sociétés commercialisant du CBD une baisse du chiffre d'affaires de 25 à 37 % en juin 2024 par rapport à celui réalisé en juin 2023. Si les requérantes soutiennent que cette diminution des ventes est directement imputable à la décision de l'ANSM de classer sur la liste des produits stupéfiants les marchandises comportant un taux de THCV, de THCVA ou de THCA supérieur à 0,3 % ainsi que les cannabinoïdes synthétiques et hémi-synthétiques, les éléments produits, qui ne concernent qu'un faible nombre de sociétés et sont peu étayés, ne permettent pas d'établir que cette baisse de chiffre d'affaire serait en lien direct avec les décisions contestées, par le retrait de la commercialisation des marchandises contenant de telles substances dans des proportions supérieures à celles autorisées. En l'état du dossier soumis au juge des référés du Conseil d'Etat, les éléments produits ne sont donc pas de nature à établir la gravité de l'atteinte que l'Union des professionnels du CBD et autres invoquent à leurs intérêts économiques particuliers. En deuxième lieu, s'il est exact que la méconnaissance des décisions litigieuses est susceptible de donner lieu à une action pénale, l'entrée en vigueur de ces décisions n'a, par elle-même, aucune conséquence sur l'engagement d'une telle action. En troisième et dernier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que les décisions litigieuses porteraient atteinte à certaines libertés fondamentales ne saurait caractériser une situation d'urgence.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des requêtes ni sur l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sur la légalité des décisions contestées, il y a lieu de rejeter les conclusions des requêtes, y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par l'ANSM.

O R D O N N E :

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Article 1er : Les requêtes de l'Union des professionnels du CBD et autres sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'ANSM en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Union des professionnels du CBD, première requérante dénommée sous les numéros 494780 et 494974, à la société CBD'EAU et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Fait à Paris, le 16 juillet 2024

Signé : Benoît Bohnert


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 494780
Date de la décision : 16/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 jui. 2024, n° 494780
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GOUZ-FITOUSSI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:494780.20240716
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