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11/07/2024 | FRANCE | N°495842

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 11 juillet 2024, 495842


Vu la procédure suivante :

M. C... A... et Mme D... E..., agissant en qualité de représentants légaux de leur fille mineure, B... A..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Caen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'agence régionale de santé (ARS) de Normandie, au ministre de la santé et de la prévention et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse de prendre toute disposition pour l'admission immédiate de leur fille, B... A..., au sein d'une structure déte

rminée par décision de la maison départementale des personnes handicap...

Vu la procédure suivante :

M. C... A... et Mme D... E..., agissant en qualité de représentants légaux de leur fille mineure, B... A..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Caen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'agence régionale de santé (ARS) de Normandie, au ministre de la santé et de la prévention et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse de prendre toute disposition pour l'admission immédiate de leur fille, B... A..., au sein d'une structure déterminée par décision de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir et de mettre à la charge de l'ARS de Normandie et de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 2401568 du 25 juin 2024, la juge des référés du tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par une requête, enregistrée le 9 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à leur demande en référé ;

3°) de mettre à la charge de l'ARS de Normandie et de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- B... est actuellement scolarisée dans une classe de CE2, alors qu'elle ne sait ni tenir un crayon, ni lire, ni écrire, et qu'elle subit, du fait du trouble du spectre de l'autisme avec éléments psychotiques qu'elle présente depuis l'enfance, un retard de développement important tant psychomoteur que langagier et cognitif et connaît des épisodes hétéro et auto-agressifs ; cette prise en charge inadaptée entraîne une dégradation continue de son état mental et présente un risque pour les autres et pour elle-même, qui crée une situation d'urgence justifiant l'intervention du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

- la MDPH de l'Eure a préconisé à deux reprises une prise en charge en institut médico-éducatif (IME), sans que cela soit suivi d'effet, aucune place n'étant disponible dans les différents instituts qu'ils ont contactés ; B... attend depuis 2019, alors qu'elle a aujourd'hui 10 ans, de pouvoir bénéficier d'une scolarité adaptée à sa situation ;

- la carence de l'Etat dans la mise en œuvre, au profit de B..., des responsabilités qui lui incombent en matière d'insertion et d'éducation des personnes handicapées, et tout particulièrement de celles qui présentent un trouble du spectre de l'autisme, est constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- il y a lieu, en conséquence, d'enjoindre à l'Etat d'exécuter les décisions de la MDPH de l'Eure en permettant à B... d'intégrer l'une des institutions qui y sont désignées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de la santé publique ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction menée par le juge des référés du tribunal administratif que M. et Mme A... sont parents de trois filles dont l'une, B..., née le 3 janvier 2014, présente, selon un compte-rendu d'hospitalisation de jour à l'hôpital Necker à Paris le 15 janvier 2021, " un trouble du spectre de l'autisme avec des éléments psychotiques prévalents, associé à un retard global de développement. (...) Ce trouble évoluant depuis la petite enfance a provoqué un retard développemental global, psychomoteur, langagier et cognitif. (...) " Par une délibération du 23 septembre 2019 de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de l'Eure, siégeant au sein de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de l'Eure, B... a été orientée vers un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), puis, par délibération du 9 juillet 2020, confirmée le 2 mai 2022, vers un semi-internat en institut médico-éducatif (IME). Faute de place disponible, elle n'a toutefois pas pu être prise en charge en IME, et a suivi une scolarité difficile en école maternelle puis en école primaire, avec l'appui d'accompagnants, et bénéficié d'un suivi en hôpital de jour pour deux demi-journées par semaine environ. Ses parents, agissant en qualité de représentants légaux de B..., ont saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Caen afin qu'il enjoigne à l'Etat et à l'Agence régionale de santé (ARS) de Normandie, sous astreinte, de mettre en œuvre les décisions de la MDPH en ordonnant l'admission de B... dans l'un des IME cités par la délibération du 9 juillet 2020, à savoir l'IME Castel des Bruyères à Tilly (Eure) ou l'IME René Coutant à Evreux (Eure). Ils font appel de l'ordonnance du 25 juin 2024 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif a rejeté leur demande.

Sur le cadre juridique du litige et l'office du juge des référés :

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) " En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

3. D'une part, l'égal accès à l'instruction est garanti par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958. Ce droit, confirmé par l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est en outre rappelé à l'article L. 111-1 du code de l'éducation, qui énonce que : " le droit à l'éducation est garanti à chacun ". L'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction est mise en œuvre par les dispositions de l'article L. 131-1 de ce code, aux termes desquelles : " L'instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans ", ainsi que par celles de l'article L. 112-1 du même code qui prévoient : " Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant (...) ". L'article L. 112-2 de ce code prévoit qu'afin que lui soit assuré un parcours de formation adapté, chaque enfant handicapé se voit proposer un projet personnalisé de formation, l'article L. 351-1 du même code désigne les établissements dans lesquels sont scolarisés les enfants présentant un handicap, et l'article L. 351-2 de ce code prévoit que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées désigne les établissements correspondant aux besoins de l'enfant en mesure de l'accueillir et que sa décision s'impose aux établissements. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le droit à l'éducation étant garanti à chacun, quelles que soient les différences de situation et, d'autre part, que l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants en situation de handicap ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation. Ainsi, il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires afin que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif.

4. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article L. 114-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. " Aux termes de l'article L. 114-1-1 du même code : " La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. / Cette compensation consiste à répondre à ses besoins, qu'il s'agisse (...) de la scolarité, de l'enseignement, de l'éducation, de l'insertion professionnelle (...) de places en établissements spécialisés, des aides de toute nature à la personne ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté, ou encore en matière d'accès aux procédures et aux institutions spécifiques au handicap (...) ". Aux termes de l'article L. 246-1 de ce code : " Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques. / Adaptée à l'état et à l'âge de la personne, cette prise en charge peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social (...) ". Ces dispositions imposent à l'Etat et aux autres personnes publiques chargées de l'action sociale en faveur des personnes handicapées d'assurer, dans le cadre de leurs compétences respectives, une prise en charge effective dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée à l'état comme à l'âge des personnes atteintes du syndrome autistique.

5. Si une carence dans l'accomplissement de ces missions est de nature à engager la responsabilité des autorités compétentes, elle n'est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, que si elle est caractérisée, au regard notamment des pouvoirs et des moyens dont disposent ces autorités, et si elle entraîne des conséquences graves pour la personne atteinte d'un syndrome autistique, compte tenu notamment de son âge et de son état. En outre, le juge des référés ne peut intervenir, en application de cet article, que pour prendre des mesures justifiées par une urgence particulière et de nature à mettre fin immédiatement ou à très bref délai à l'atteinte constatée.

Sur la requête en appel de M. et Mme A... :

6. Il résulte de l'instruction menée en première instance que la poursuite d'une scolarité à l'école primaire n'est pas adaptée au handicap de la jeune B... A... et conduit à une dégradation de son état de santé, tout en présentant des risques avérés pour les autres et pour elle-même. Il est constant que la solution la mieux adaptée consiste dans une admission en IME, ainsi qu'il été préconisé par la MDPH de l'Eure les 9 juillet 2020 et 2 mai 2022. B... est sur liste d'attente pour l'IME René Coutant d'Evreux et l'IME Cour de Venise à Paris. Pour autant, cette situation perdure depuis plusieurs années, aucune place n'étant disponible dans les IME de l'Eure. Les mesures que M. et Mme A... demandent au juge des référés de prendre, qui se limitent à ordonner que B... soit admise dans l'un des IME désignés par la MDPH de l'Eure, appellent soit la création d'une place nouvelle qui, si elle est incontestablement au nombre des mesures qu'il est du ressort de l'ARS de Normandie de prendre, excède en revanche l'office du juge des référés, qui ne peut prescrire que des mesures à caractère provisoire et susceptibles d'être mises en œuvre à très bref délai. Il n'entre pas davantage dans son office d'ordonner l'admission de B... dans un IME qui est au maximum de sa capacité d'accueil, sauf à prendre le risque de dégrader la qualité du service rendu aux personnes handicapées d'ores et déjà accueillies dans cet établissement et à créer un passe-droit vis-à-vis des autres enfants en liste d'attente. Par suite, leurs conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies. Les requérants doivent être invités à reprendre l'attache des services compétents pour rechercher, quitte à élargir leurs souhaits géographiques, une solution globale permettant, dans l'attente de la libération d'une place en IME, d'assurer la meilleure prise en charge possible de B... eu égard à son handicap.

7. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'ordonnance qu'ils attaquent. Leur requête doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce qu'il y a lieu de faire selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C... A..., premier dénommé, et à l'agence régionale de santé de Normandie.

Copie en sera adressée à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 495842
Date de la décision : 11/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2024, n° 495842
Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495842.20240711
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