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11/07/2024 | FRANCE | N°495792

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 11 juillet 2024, 495792


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler l'arrêté du 24 juin 2024 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a prononcé à son encontre une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance pour une durée de trois mois. Par une ordonnance n° 2409469 du 6 juillet 2024, le juge des référés du tribunal administratif a, d'une part, suspendu l'exécution de l'arrê

té du 24 juin 2024 en tant qu'il limite les déplacements de M. B... aux fins ...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler l'arrêté du 24 juin 2024 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a prononcé à son encontre une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance pour une durée de trois mois. Par une ordonnance n° 2409469 du 6 juillet 2024, le juge des référés du tribunal administratif a, d'une part, suspendu l'exécution de l'arrêté du 24 juin 2024 en tant qu'il limite les déplacements de M. B... aux fins de se rendre sur ses lieux de travail situés à Fresnes et Bourg-la-Reine du lundi au vendredi de 9h00 à 17h30 et, d'autre part, enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de modifier l'article 1er de cet arrêté afin de l'autoriser à se déplacer sur ses lieux de travail du mardi au samedi de 9h00 à 17h30.

Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle ne lui a pas donné pleine satisfaction ;

2°) de faire droit, dans cette mesure, à sa demande en référé ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite et peut être présumée eu égard à l'atteinte grave et manifeste portée à sa situation personnelle et ses libertés fondamentales en ce qu'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance est assimilable à une mesure d'assignation à résidence prise dans le cadre de l'état d'urgence et que cette dernière limite ses déplacements et l'empêche de rendre visite à sa famille à Tours ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir, à sa liberté d'entreprendre et à son droit de mener une vie privée et familiale normale ;

- la décision contestée est illégale en ce qu'il ne constitue pas une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics dès lors qu'il est étudiant, n'a jamais fait l'objet d'une condamnation pénale, n'adopte pas une pratique religieuse radicale et n'a jamais publié de menaces de commettre un crime contre les personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de menaces pouvant constituer une apologie de terrorisme sur les réseaux sociaux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) " En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Il résulte de l'instruction menée par le juge des référés du tribunal administratif que M. B..., ressortissant français né le 29 janvier 2003, a fait l'objet, par arrêté du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 24 juin 2024, d'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance d'une durée de trois mois. Il a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler cet arrêté. Par une ordonnance du 6 juillet 2024, le juge des référés du tribunal administratif en a suspendu l'exécution en tant qu'il limite les déplacements de l'intéressé en vue de se rendre sur ses lieux de travail, situés à Fresnes (Val-de-Marne) et à Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), du lundi au vendredi de 9h00 à 17h30, et a enjoint au ministre de le modifier en ce sens, ce qui a été fait par arrêté du 2 juillet 2024. M. B... fait appel de cette ordonnance en tant qu'elle ne lui a pas donné pleine satisfaction.

3. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre. " Aux termes de l'article L. 228-2 du même code : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer et justifier de son lieu d'habitation ainsi que de tout changement de lieu d'habitation. / L'obligation prévue au 1° du présent article peut être assortie d'une interdiction de paraître dans un ou plusieurs lieux déterminés se trouvant à l'intérieur du périmètre géographique mentionné au même 1° et dans lesquels se tient un événement exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque de menace terroriste. Cette interdiction tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne concernée. Sa durée est strictement limitée à celle de l'événement, dans la limite de trente jours. Sauf urgence dûment justifiée, elle doit être notifiée à la personne concernée au moins quarante-huit heures avant son entrée en vigueur. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites. / (...) La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, ou à compter de la notification de chaque renouvellement lorsqu'il n'a pas été fait préalablement usage de la faculté prévue au huitième alinéa, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine. Ces recours, dont les modalités sont fixées au chapitre III ter du titre VII du livre VII du code de justice administrative, s'exercent sans préjudice des procédures prévues au huitième alinéa du présent article ainsi qu'aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code. "

4. Il appartient au juge des référés de s'assurer, en l'état de l'instruction devant lui, que l'autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public, n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans l'application de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure qui permet de prendre à l'égard d'une personne les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prévues aux articles suivants, dont celles de l'article L. 228-2. Par ailleurs, il résulte de l'article L. 228-1 du même code que ces mesures doivent être prises aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et sont subordonnées à deux conditions cumulatives, la première tenant à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics résultant du comportement de l'intéressé, la seconde aux relations qu'il entretient avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ou, de façon alternative, au soutien, à la diffusion ou à l'adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

5. Pour considérer que le comportement de M. B... constituait une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, d'une part, et participait à la diffusion de thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'est fondé sur une note blanche circonstanciée des services de renseignement.

6. Cette note indique, en premier lieu, que l'intéressé a posté sur le réseau social TikTok, le 10 décembre 2023, une vidéo, dont il ne conteste d'ailleurs pas être l'auteur, dans laquelle il apparaît circulant à moto dans Paris, revêtu d'un casque intégral et portant un maillot de football aux couleurs du drapeau palestinien. Alors que la tour Eiffel est illuminée aux couleurs du drapeau israélien, après l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023, M. B... se filme faisant le signe Tawhid, consistant à lever l'index vers le ciel pour affirmer l'unité de l'islam, puis faisant un doigt d'honneur à l'étoile de David, symbole universel du judaïsme, dans un geste à la portée injurieuse évidente. Si le requérant indique que le maillot de football qu'il portait est celui d'un club chilien, il ne soutient pas être un supporter de ce club ni avoir choisi ce vêtement pour une raison autre que son rapport visuel avec le drapeau palestinien. Il affirme, d'autre part, que ses gestes ont été mal interprétés sans en donner, pour autant, d'autre explication convaincante.

7. La même note indique, en second lieu, que M. B... a partagé sur un compte sur le réseau social Rave.watch une vidéo de décapitation aux cris d'" Allahu Akbar " (" Allah est plus grand ") et déclaré, dans le commentaire oral de cette vidéo, qu'il était " prêt à aller en Syrie, juste pour tuer des gens comme ça ", dans une référence apparente, eu égard au contexte, aux personnes homosexuelles. Si M. B... affirme que le compte sur lequel ces propos ont été tenus n'est pas le sien, il y a lieu de relever que la photo de profil, prise avec un téléphone portable dans un ascenseur, montre un individu vêtu de noir, coiffé d'un casque intégral et porteur d'une sacoche, très proche des images qu'il utilisait alors comme photos de profil sur TikTok, Twitter, Instagram et Threads. La simple circonstance que M. B... a déposé une plainte pour usurpation d'identité le 16 avril 2024, soit postérieurement au signalement au Procureur de la République dont il a fait l'objet le 9 février 2024 au sujet de ces propos, ne suffit pas, en l'absence de tout autre élément probant de nature à démontrer que le compte Rave.watch aurait été créé, ainsi qu'il est allégué, en utilisant sans l'autorisation de l'intéressé des contenus provenant pour partie de ses autres profils sur les réseaux sociaux, ni à permettre de comprendre les raisons pour lesquelles une telle falsification aurait été commise et par qui, à remettre en cause le faisceau d'indices concordants qui a conduit le ministre de l'intérieur et des outre-mer à retenir qu'il en était bien l'auteur.

8. Il résulte de l'instruction menée en première instance que l'arrêté contesté, tel qu'il a été modifié le 2 juillet 2024, en prenant en compte, de manière anticipée, l'injonction adressée par l'ordonnance dont appel, est aménagé de manière à permettre à l'intéressé de se rendre à son travail à la Banque Populaire de Rives, avec laquelle il a conclu un contrat d'apprentissage. Si le requérant fait valoir que cet arrêté le prive de contact avec sa famille, résidant dans la région de Tours (Indre-et-Loire), il y a lieu de considérer, eu égard à la durée des mesures résultant de l'arrêté contesté, à leurs autres modalités, concernant notamment leur contrôle, le périmètre dans lequel M. B... est astreint à demeurer, et la possibilité d'obtenir un sauf-conduit sur demande motivée, dont il a d'ailleurs été fait usage afin de lui permettre de se rendre à l'audience tenue par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, et compte tenu, d'autre part, des faits énoncés aux points 6 et 7, qui caractérisent, dans le contexte de menace terroriste élevée liée notamment aux événements du Proche-Orient ainsi qu'à l'ouverture des Jeux olympiques, une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ainsi qu'une apologie du terrorisme, l'arrêté contesté ne peut être regardé, en l'état de l'instruction, comme portant une atteinte excessive et manifestement illégale à la liberté d'aller et de venir de M. B..., à son droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi que, en tout état de cause, à sa liberté d'entreprendre.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qu'il attaque. Sa requête doit, dès lors, être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce qu'il y a lieu de faire selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 495792
Date de la décision : 11/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2024, n° 495792
Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495792.20240711
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