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08/07/2024 | FRANCE | N°495363

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 08 juillet 2024, 495363


Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation inclusive (INSEI), et plus particulièrement au conseil d'administration et à la directrice de l'INSEI, de suspendre l'exécution de la procédure de recrutement de professeur des universités au sein de l'INSEI sur le poste n°4131, section CNU 70 (Sciences de l'éducation et de la f

ormation) et d'en informer la ministre de l'enseignement supérieur e...

Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation inclusive (INSEI), et plus particulièrement au conseil d'administration et à la directrice de l'INSEI, de suspendre l'exécution de la procédure de recrutement de professeur des universités au sein de l'INSEI sur le poste n°4131, section CNU 70 (Sciences de l'éducation et de la formation) et d'en informer la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Par une ordonnance n° 2404594 du 5 juin 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 21 et 30 juin et 1er juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l'exécution de la procédure de recrutement au poste de professeur des université n° 4134 section CNU 70 ;

3°) d'en informer la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et de lui enjoindre de suspendre la transmission de sa proposition de nomination au Président de la République du candidat sur le poste de professeur des universités n° 4131 section CNU 70 ;

4°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution du décret qui procéderait à la nomination et à la titularisation du candidat retenu.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, la nomination officielle du candidat n'a pas eu lieu et, d'autre part, si cette nomination est intervenue, elle porte une atteinte grave et manifestement illégale au principe d'indépendance des enseignants chercheurs ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au principe d'indépendance des enseignants-chercheurs ;

- en premier lieu, des membres non représentants-élus des enseignants-chercheurs et des membres qui ne sont pas des professeurs des universités ont, en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 952-6-1 du code de l'éducation, participé à la délibération du 29 mars 2024 par laquelle le conseil d'administration en formation restreinte a créé le comité de sélection en vue du recrutement en litige et fixé sa composition ;

- en deuxième lieu, le conseil scientifique et pédagogique ne s'est pas réuni en formation restreinte afin d'examiner la demande de dispense d'habilitation à diriger des recherches (HDR) alors qu'une telle formation est exigée ;

- en dernier lieu, la directrice de l'INSEI a, en méconnaissance des dispositions du 3ème alinéa de l'article L. 952-6-1 du code de l'éducation, présidé la séance du conseil d'administration réuni en formation restreinte pour rendre son avis sur la liste de candidats que lui avait transmise le comité de sélection et exercé une influence sur le sens de son avis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2024, l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation inclusive (INSEI) conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2024, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 ;

- le code de l'éducation ;

- le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 ;

- le décret n° 2005-1754 du 30 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B... et, d'autre part, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et l'INSEI ;

Ont été entendues lors de l'audience publique du 2 juillet 2024, à 11 heures :

- Mme B... ;

- les représentantes de l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation inclusive (INSEI).

Le moyen d'ordre public tiré de ce que le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a statué irrégulièrement sur une requête qui relève de la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d'Etat était susceptible d'être relevé d'office, a été communiqué à l'audience en application des dispositions de l'article R. 522-9 du code de justice administrative.

A l'issue de l'audience le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Mme B..., maître de conférences à l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation inclusive (INSEI), s'est portée candidate au recrutement par concours, sur le poste PR n° 4131, section CNU 70 (Sciences de l'éducation et de la formation), ouvert par cet institut sur le fondement de l'article 9-2 du décret du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences. Le jour même où, par sa délibération du 3 juin 2024, le conseil d'administration de l'INSEI a validé la liste des trois candidats sélectionnés par le comité de sélection, Mme B..., classée en troisième position sur cette liste, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'INSEI, et plus particulièrement à son conseil d'administration et à sa directrice, de suspendre l'exécution de la procédure de recrutement en cours et d'en informer la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. La délibération du conseil d'administration a été transmise à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche le 4 juin 2024. Mme B... relève appel de l'ordonnance du 5 juin 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande au motif que la requérante ne justifiait pas, en l'état de l'instruction, d'une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale dont elle se prévalait tirée de l'indépendance des enseignants-chercheurs. Elle sollicite, dans le dernier état de ses écritures, d'enjoindre à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche de suspendre la transmission de la proposition de nomination au Président de la République du candidat sur le poste de professeur des universités n° 4131 section CNU 70.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : / (...) / 3° Des litiges concernant le recrutement et la discipline des agents publics nommés par décret du Président de la République en vertu des dispositions de l'article 13 (troisième alinéa) de la Constitution et des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'Etat ; / (...) ". En vertu de l'article 2 de l'ordonnance du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'Etat, sont nommés par décret du Président de la République, les professeurs de l'enseignement supérieur. Il s'ensuit qu'un litige relatif au recrutement par voie de concours d'un professeur des universités sur le fondement de l'article 9-2 du décret du 6 juin 1984 cité au point 2, ressortit à la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'Etat.

4. Le juge des référés d'un tribunal administratif ne peut être régulièrement saisi, en premier ressort, d'une requête tendant à la mise en œuvre de l'une des procédures régies par le livre V du code de justice administrative que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre ressortit lui-même de la compétence de cette juridiction.

5. Le litige dont Mme B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles concerne le recrutement d'un professeur d'université. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'il ne relève donc pas de la compétence du tribunal administratif mais du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort. En statuant sur cette demande sans la rejeter comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ainsi que le lui permet l'article R. 522-8-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a entaché son ordonnance d'irrégularité. Il y a lieu, par suite, d'en prononcer l'annulation et de statuer sur la requête en référé de Mme B... qui doit être regardée, du fait de son appel contre cette ordonnance, comme portée directement devant le Conseil d'Etat.

Sur la requête en référé de Mme B... :

6. Il appartient à la personne qui saisit le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité de bénéficier, dans le très bref délai prévu par les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une mesure provisoire visant à sauvegarder une liberté fondamentale. La circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale, portée par une mesure administrative, serait avérée n'est pas de nature à caractériser, à elle seule, l'existence d'une situation d'urgence au sens de cet article.

7. Pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension de la procédure de recrutement au poste PR n° 4131, section CNU 70 (Sciences de l'éducation et de la formation), Mme B... soutient que la nomination par décret du président de la République est imminente et que les irrégularités dans la composition des instances délibérantes dont elle se prévaut ont porté, dans l'exercice de ses pouvoirs par le conseil d'administration, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de l'indépendance des enseignants-chercheurs.

8. Si, comme cela résulte de l'instruction qui s'est poursuivie à l'audience, et comme l'INSEI l'admet elle-même, la délibération du 29 mars 2024 décidant la création du comité de sélection constituant le jury chargé de se prononcer sur les candidatures au poste PR n° 4131 et fixant sa composition, et celle du 3 juin 2024 approuvant le classement des candidats proposé par le comité de sélection, ont été prises dans une formation du conseil d'administration qui n'était pas restreinte, dans le premier cas, aux seuls représentants élus des enseignants-chercheurs, des chercheurs et des personnels assimilés et, dans le second cas, aux seuls enseignants-chercheurs et personnels assimilés de rang au moins égal à celui postulé, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 952-6-1 du code de l'éducation, l'atteinte à la liberté fondamentale tirée du principe d'indépendance des enseignants-chercheurs qui en résulte, ne permet pas de caractériser, à elle-seule, une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. En outre, la requérante, qui est maître de conférences exerçant depuis 2023 à l'INSEI après avoir enseigné de nombreuses années dans un institut national supérieur du professorat et de l'éducation, ne fait état d'aucune circonstance particulière tenant notamment à sa situation personnelle, caractérisant la nécessité de bénéficier, à très bref délai, d'une mesure provisoire visant à sauvegarder la liberté fondamentale en cause.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans préjudice de l'exercice par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche de son pouvoir de contrôle de la légalité des actes qui lui sont transmis en vue d'une nomination d'un professeur d'université par le Président de la République, que la requête de Mme B... ne peut qu'être rejetée.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 5 juin 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est annulée.

Article 2 : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... B..., à l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation inclusive et à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 495363
Date de la décision : 08/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 08 jui. 2024, n° 495363
Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495363.20240708
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