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14/05/2024 | FRANCE | N°494162

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 14 mai 2024, 494162


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 et 14 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des supporters demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 10 mai 2024 portant interdiction de déplacement des supporters du club de football du Paris Saint-Germain Football Club (PSG

) lors de la rencontre du mercredi 15 mai 2024 à 21 heures avec l'Olympique Gymn...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 et 14 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des supporters demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 10 mai 2024 portant interdiction de déplacement des supporters du club de football du Paris Saint-Germain Football Club (PSG) lors de la rencontre du mercredi 15 mai 2024 à 21 heures avec l'Olympique Gymnaste Club (OGC) de Nice ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2024-572 du 3 mai 2024 du préfet des Alpes-Maritimes portant interdiction de stationnement, de circulation sur la voie publique et d'accès au stade Allianz Riviera à Nice des supporters du club du PSG à l'occasion du match de football du mercredi 15 mai 2024 opposant l'OGC Nice au PSG ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les décisions contestées privent les personnes concernées de l'exercice de leurs libertés fondamentales très peu de temps avant les rencontres sportives en cause, alors qu'elles ont pris des dispositions qu'il leur est impossible d'annuler sans conséquences financières pour organiser leur voyage ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d'aller et de venir, d'association, de réunion et d'expression ;

- les décisions contestées sont entachées d'erreurs de fait ;

- les mesures contestées ne sont pas proportionnées à l'objectif poursuivi ;

- elles ne sont pas rendues nécessaires par des circonstances particulières avérées de temps et de lieu dès lors que, en premier lieu, elles ne se fondent pas sur l'existence d'antécédents pertinents, graves, répétés et récents, contrairement aux exigences prévues par les circulaires et la jurisprudence, en deuxième lieu, aucun risque de trouble grave à l'ordre public n'est avéré, en troisième lieu, rien ne justifie d'interdire le déplacement des supporters concernés très peu de temps avant la rencontre et, en dernier lieu, il n'existe pas de rivalité sérieuse entre les supporters des équipes en cause ;

- la rencontre concernée par les interdictions litigieuses n'a pas été classée par la division nationale de lutte contre le hooliganisme parmi les matches soumis à des risques de trouble à l'ordre public de niveau 4 ou 5 sur l'échelle définie par cette administration ;

- les mesures contestées ne sont pas adaptées et revêtent un caractère systémique dès lors que, en premier lieu, des mesures moins sévères et moins contraignantes sont envisageables et, en deuxième lieu, les effectifs de forces de l'ordre devant être mobilisés pour mettre en œuvre les mesures contestées ne sont pas connus et il n'est pas démontré que le dispositif prévu à ce jour sera suffisant pour ce faire et, en dernier lieu, le contexte, aux niveaux national et local, permet d'établir que les forces de l'ordre sont suffisamment disponibles pour qu'une interdiction ne s'impose pas.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- le code du sport ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Association nationale des supporters et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 14 mai 2024, à 15 heures :

- les représentants de l'Association nationale des supporters ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) "

2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-1 du code du sport : " Le ministre de l'intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s'applique ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-2 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique. "

3. Les interdictions que le ministre de l'intérieur et le représentant de l'Etat dans le département peuvent décider, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, constituent des mesures de police administrative. L'existence d'une atteinte à l'ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence serait susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public, tant au cours de leur déplacement que sur le lieu de la manifestation sportive. Il appartient à l'administration de justifier dans le détail, devant le juge, le recours aux interdictions prises sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2 tant au regard de la réalité des risques de troubles graves pour l'ordre public qu'elles visent à prévenir que de la proportionnalité des mesures. Il incombe au juge des référés d'apprécier les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce et de ne faire usage des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sur le fondement desquelles il est saisi que lorsque l'illégalité invoquée présente un caractère manifeste.

4. Il résulte de l'instruction que, le mercredi 15 mai 2024 à 21 heures, l'équipe de football de l'Olympique Gymnaste Club (OGC) de Nice doit recevoir celle du Paris Saint-Germain Football Club (PSG) au stade Allianz Riviera. Par un arrêté du 3 mai 2024, le préfet des Alpes-Maritimes a interdit, à l'occasion de ce match, le stationnement, la circulation sur la voie publique et l'accès au stade des supporters du PSG. Puis, par un arrêté du 10 mai 2024, publié au Journal officiel le 12 mai, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a interdit tout déplacement des supporters du PSG à l'occasion de cette rencontre. L'Association nationale des supporters demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de ces arrêtés.

Sur la compétence du juge des référés du Conseil d'Etat :

5. Le juge des référés du Conseil d'Etat ne peut être régulièrement saisi, en premier et dernier ressort, d'une requête tendant à la mise en œuvre de l'une des procédures régies par le livre V du code de justice administrative que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'Etat.

6. En vertu de l'article R. 341-1 du code de justice administrative : " Lorsque le Conseil d'Etat est saisi de conclusions relevant de sa compétence de premier ressort, il est également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant normalement de la compétence de premier ressort d'un tribunal administratif ou d'une cour administrative d'appel ".

7. Le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort, en application du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, pour connaître d'un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté du ministre de l'intérieur portant interdiction de déplacement de supporters en application de l'article L. 332-16-1 du code du sport, cet arrêté ayant un caractère réglementaire. En outre, dès lors que les deux arrêtés en litige se rapportent au même évènement sportif et qu'il appartient au juge des référés de porter une appréciation d'ensemble tant sur la gravité des atteintes que les mesures litigieuses portent aux libertés fondamentales invoquées que sur l'existence éventuelle d'une disproportion manifeste de ces mesures au regard des risques de troubles graves à l'ordre public susceptibles de l'émailler, il y a lieu, au regard des dispositions de l'article R. 341-1 du code de justice administrative, d'admettre la compétence du juge des référés du Conseil d'Etat pour se prononcer sur l'ensemble des conclusions dont il est saisi, alors même que les recours contre les arrêtés préfectoraux de la nature de celui en litige doivent en principe être portés devant le tribunal administratif territorialement compétent.

Sur la demande en référé :

8. Pour justifier l'interdiction faite, d'une part, par le ministre de l'intérieur et des outre-mer à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du PSG ou se comportant comme tel de se déplacer entre la région d'Ile-de-France et la commune de Nice le mercredi 15 mai 2024 entre zéro heure et minuit, d'autre part, par le préfet des Alpes-Maritimes le même jour entre midi et minuit, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du PSG ou se comportant comme tel d'accéder au stade Allianz Riviera et de circuler ou de stationner sur la voie publique dans un périmètre délimité autour de celui-ci, et de détenir, transporter et utiliser, dans le même périmètre, tout engin pyrotechnique, drapeau ou banderole provoquant à la violence ou à la haine et tout objet pouvant être utilisé comme projectile, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir que de nombreux événements violents ont eu lieu, au cours des derniers mois, dans et aux abords des stades. Il soutient, en outre, qu'une animosité particulière entre les supporters des deux clubs est avérée et que ceux-ci se sont livrés, dans la période récente, à des agissements de nature à troubler l'ordre public, ce qui fait naître un risque réel et sérieux d'affrontements à l'occasion de la rencontre de football devant opposer les deux équipes à Nice le 15 mai 2024, classée au niveau 3 sur 5 par les services de la division nationale de lutte contre le hooliganisme. Enfin, il fait état du contexte de forte mobilisation des forces de l'ordre dans la zone de défense concernée.

9. Il résulte de l'instruction, en premier lieu, que si un effort important a été accompli par le PSG, depuis plusieurs années, pour écarter les éléments les plus radicaux parmi ses supporters, les déplacements du club continuent de se signaler fréquemment par un usage manifestement excessif d'engins pyrotechniques pouvant présenter des dangers pour la sécurité des biens et des personnes, par des rixes et altercations se produisant à l'intérieur des enceintes sportives comme à l'extérieur de celles-ci, occasionnant régulièrement des dégradations et, occasionnellement, des blessés. Ces incidents ont appelé à de nombreuses reprises, dans les années récentes, l'intervention des forces de l'ordre, qui a seule permis d'éviter qu'ils ne dégénèrent en affrontement ouvert. Il apparaît, en outre, avéré que subsistent, parmi les supporters du club, des éléments radicaux, comme en témoigne l'interpellation à la frontière allemande, en marge d'une rencontre qui devait se tenir le 13 décembre 2023 à Dortmund, d'un groupe d'une dizaine de supporters qui transportaient des protège-dents, des cagoules, des gants coqués et des engins pyrotechniques. En deuxième lieu, il résulte également de l'instruction que, lors de rencontres ayant lieu à Nice, des supporters de l'OGC Nice sont régulièrement impliqués dans des rixes et altercations, occasionnant en plusieurs cas des blessés ou des dégradations. En troisième lieu, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait état d'un incident grave dans lequel des supporters radicaux parisiens se sont mêlés à des supporters radicaux de l'équipe de Cologne pour provoquer des affrontements avec les supporters de l'OGC Nice qui ont occasionné plusieurs blessés le 8 septembre 2022. Il résulte également des notes des services de police produites en défense, qui sont contestées par l'Association nationale des supporters sans que celle-ci apporte, de son côté, d'éléments justifiant que leur soit déniée toute valeur probante, que des violences ont opposé les supporters des deux clubs le 8 avril 2023 et le 13 mars 2024. Il a en outre été fait état, à l'audience, d'un clivage idéologique susceptible de polariser les tensions existant entre eux.

10. L'instruction fait également ressortir que la mobilisation des forces de l'ordre sur l'ensemble du territoire est particulièrement forte en ce moment, compte tenu du niveau élevé de la menace terroriste, eu égard notamment aux événements au Proche-Orient, qui se traduisent par une aggravation des tensions au plan national, à la recrudescence des attentats à l'instar de celui de Moscou le 22 mars 2024 et aux menaces terroristes spécifiquement articulées le 6 avril 2024 à l'égard des matches de football par l'organisation dite " Etat islamique ". Les effectifs disponibles sont particulièrement sollicités, en région parisienne, par la préparation et la sécurisation des Jeux Olympiques qui s'ouvriront en juillet prochain, et, dans la zone de défense Sud, par la sécurisation du festival international du film de Cannes dont la soixante-dix-septième édition s'ouvre ce jour et du parcours de la flamme olympique entre la Corse le 14 mai 2024 et les Pyrénées-Orientales le 15 mai 2024, événements qui s'ajoutent aux besoins liés à la poursuite des opérations lancées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer en vue de démanteler les réseaux de trafic de stupéfiants sur le terrain et à la lutte contre l'immigration clandestine, dans un contexte de recrudescence des tentatives non autorisées de passage de bateaux en Méditerranée.

11. Dans ces conditions, quelque regrettable que soit le caractère tardif de l'édiction et de la publication de l'arrêté ministériel contesté, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que les décisions litigieuses seraient entachées d'une illégalité manifeste justifiant le prononcé des mesures demandées et, en particulier, compte tenu notamment des tensions sur les effectifs de police rappelées au point 10 et de la difficulté avérée à faire respecter par les supporters des deux clubs les mesures d'encadrement édictées à l'occasion de précédentes rencontres, que des mesures moins contraignantes que le juge des référés pourrait, dans le cadre temporel de son office, le cas échéant ordonner seraient, dans les circonstances de l'espèce, suffisantes pour prévenir les troubles graves à l'ordre public que la présence de supporters se revendiquant du PSG ou de personnes se comportant comme tel est susceptible d'occasionner.

12. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'Association nationale des supporters est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association nationale des supporters et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Paris, le 14 mai 2024

Signé : Alain Seban


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 494162
Date de la décision : 14/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 mai. 2024, n° 494162
Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:494162.20240514
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