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07/05/2024 | FRANCE | N°493560

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 07 mai 2024, 493560


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 avril et 3 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ELOCE demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution de l'article 2 de l'arrêté du 12 février 2024 relatif au cahier des charges de la formation en matière d'hygiène alimentaire adaptée à l'activité des établissements de restauration commerciale,

en tant qu'il prévoit que ces formations sont dispensées pour partie en présentiel ;

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 avril et 3 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ELOCE demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'article 2 de l'arrêté du 12 février 2024 relatif au cahier des charges de la formation en matière d'hygiène alimentaire adaptée à l'activité des établissements de restauration commerciale, en tant qu'il prévoit que ces formations sont dispensées pour partie en présentiel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, d'une part, que l'arrêté contesté aura pour effet de restreindre l'offre de formations en matière d'hygiène alimentaire et, d'autre part, qu'il porte gravement et immédiatement atteinte à ses intérêts propres eu égard aux conséquences économiques liées à l'arrêt des formations qu'elle dispensait jusque-là dans ce domaine ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;

- les dispositions contestées ont été prises par une autorité incompétente dès lors, d'une part, qu'il institue un régime d'autorisation préalable obligatoire à l'exercice de l'activité de formation hygiène alimentaire dans la restauration commerciale qui relève du domaine de la loi et, d'autre part, que si les dispositions de l'article L. 233-4 du code rural et de la pêche maritime renvoient à un arrêté du ministre chargé de l'alimentation le soin de fixer la durée et le contenu de la formation, la compétence pour fixer les normes applicables aux organismes délivrant la formation en matière d'hygiène alimentaire et les modalités d'organisation de cette formation relèvent d'un décret du Premier ministre ;

- les dispositions contestées méconnaissent celles de l'article L. 6313-2 du code du travail qui prévoient que les actions de formation professionnelle peuvent être réalisées en tout ou partie à distance ;

- elles méconnaissent le principe d'égalité, la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie dès lors qu'elles imposent aux organismes de formation une charge disproportionnée et non justifiée par un motif d'intérêt général ;

- elles méconnaissent le principe de libre prestation de services garanti par l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et les objectifs tirés de l'article 16 de la directive 2006/123/CE, l'obligation de dispensation d'une partie de la formation en présentiel constituant un obstacle au développement de l'activité commerciale des organismes concernés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société ELOCE et d'autre part, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 mai 2024, à 15 heures :

- les représentants de la société Eloce ;

- les représentants du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

3. Aux termes de l'article L. 233-4 du code rural et de la pêche maritime : " Le fonctionnement des établissements de production, de transformation, de préparation, de vente et de distribution de produits alimentaires peut être subordonné à la présence dans les effectifs de ces établissements d'une personne pouvant justifier d'une formation spécifique en matière d'hygiène alimentaire adaptée à l'activité de l'établissement concerné.(...) / Un décret précise la liste des établissements concernés par l'obligation mentionnée au premier alinéa et précise les conditions que doivent respecter les organismes délivrant cette formation./ Le contenu et la durée de la formation mentionnée au premier alinéa sont définis par arrêté du ministre chargé de l'alimentation ".

4. Par un arrêté du 12 février 2024, pris en application des dispositions de l'article L. 233-4 du code rural et de la pêche maritime citées au point 3, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a défini le cahier des charges de la formation spécifique en matière d'hygiène alimentaire adaptée à l'activité des établissements de restauration commerciale ainsi que le contenu et la durée de cette formation, qui se déroule sur quatorze heures. L'article 2 de cet arrêté prévoit qu'elle doit comporter au minimum une période de deux heures par tranche de sept heures en présence des stagiaires, dédiée à des mises en situation avec manipulation de matériel. Cette formation en présentiel peut se dérouler, au choix de l'organisme, en milieu professionnel, dans ses propres locaux ou dans tout autre lieu qu'il juge approprié. La société Eloce, qui réalise des prestations de formation professionnelle notamment dans le domaine de l'hygiène alimentaire, a saisi le Conseil d'Etat d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté ministériel du 12 février 2024 en tant que son article 2 impose que ces formations se déroulent pour partie en présentiel. Elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'en suspendre l'exécution.

5. Pour justifier de l'urgence qui s'attache à suspendre l'exécution de l'arrêté et de la circulaire en litige, la société Eloce fait valoir, en premier lieu, qu'en raison du nouveau dispositif d'autorisation préalable institué par l'arrêté contesté, ce dernier aura pour effet de raréfier les formations en matière d'hygiène alimentaire qui ne pourront plus être suivies sur l'ensemble du territoire mais uniquement dans les grandes métropoles, alors que la proximité des Jeux Olympiques qui se dérouleront à Paris à partir du mois de juillet 2024 impose au contraire de renforcer l'offre de formation dans ce domaine. Il résulte cependant de l'instruction et des débats à l'audience que des formations de ce type sont accessibles sur l'ensemble du territoire et aucun des éléments avancés par la société requérante ne permet d'établir que l'obligation de dispenser une fraction des heures en présentiel serait de nature à restreindre l'offre de formation destinée aux personnels des entreprises de restauration commerciale.

6. La société Eloce invoque, en second lieu, une atteinte grave et immédiate à sa situation, en termes de pertes de chiffre d'affaires. Toutefois, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante, qui a pour activité la " réalisation et vente de formations au format e-learning ou en présentiel " dans différents domaines, serait dans l'impossibilité d'organiser une fraction des heures de formation en hygiène alimentaire selon les modalités prévues par l'arrêté contesté. D'autre part, à supposer même qu'elle ne soit pas en mesure de se conformer à ces nouvelles règles, elle n'établit pas, par les seuls éléments qu'elle a produits, qui se limitent à un courrier de son expert-comptable faisant état d'un résultat négatif de 350 000 euros à la clôture de l'exercice 2023, l'ampleur de la perte de chiffre d'affaires résultant de l'arrêt de son activité de formation en matière d'hygiène alimentaire ni, par suite, l'impact des dispositions de l'arrêté contesté sur sa situation financière, dans des conditions qui caractériserait une atteinte grave et immédiate à ses intérêts économiques.

7. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence de moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées, la requête de la société Eloce doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la société ELOCE est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société ELOCE et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Fait à Paris, le 7 mai 2024

Signé : Benoît Bohnert


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 493560
Date de la décision : 07/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 mai. 2024, n° 493560
Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:493560.20240507
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