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06/05/2024 | FRANCE | N°493925

France | France, Conseil d'État, 06 mai 2024, 493925


Vu la procédure suivante :

M. D... et Mme B... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de faire cesser, sans délai, les atteintes graves et manifestement illégales au droit d'asile et au droit d'être assisté par un avocat devant les administrations publiques en autorisant les demandeurs d'asile se présentant au guichet unique pour demandeurs d'asile (GUDA) de pouvoir être assistés à toute

s les étapes de ce rendez-vous par un avocat s'ils l'estiment utile...

Vu la procédure suivante :

M. D... et Mme B... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de faire cesser, sans délai, les atteintes graves et manifestement illégales au droit d'asile et au droit d'être assisté par un avocat devant les administrations publiques en autorisant les demandeurs d'asile se présentant au guichet unique pour demandeurs d'asile (GUDA) de pouvoir être assistés à toutes les étapes de ce rendez-vous par un avocat s'ils l'estiment utile et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de permettre à M. A... d'être accompagné par un conseil librement choisi lors de son rendez-vous au GUDA prévu le 7 mai 2024 et de permettre à Mme C... d'exercer librement sa profession d'avocate en garantissant son accès à tous les entretiens prévus au GUDA et de prendre toute mesure nécessaire à l'exercice effectif de M. A... d'être assisté par son conseil lors de ses démarches d'enregistrement de sa demande d'asile. Par une ordonnance n° 2406179 du 29 avril 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Par une requête, enregistrée le 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et Mme C... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de constater l'urgence ;

2°) de constater que le préfet de la Loire-Atlantique a porté une atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de faire cesser, sans délai, les atteintes graves et manifestement illégales aux droits et libertés fondamentales en cause en autorisant les demandeurs d'asile se présentant au GUDA de pouvoir être assistés à toutes les étapes de ce rendez-vous par un avocat s'ils l'estiment utile ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de permettre à M. A... d'être accompagné par un conseil librement choisi lors de son rendez-vous au GUDA prévu le 7 mai 2024 et de permettre à Mme C... d'exercer librement sa profession en garantissant son accès à tous les entretiens prévus au GUDA et de prendre toute mesure nécessaire à l'exercice effectif de M. A... d'être assisté par son conseil lors de ses démarches d'enregistrement de sa demande d'asile ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que d'une part, M. A... est tenu de se présenter au GUDA le 7 mai 2024 et, d'autre part, le refus d'entrée de Mme C... dans la préfecture pour accompagner son client lors de ce rendez-vous est de portée générale et s'impose à tous sans exception alors qu'aucun intérêt public suffisant ne le justifie ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'être assisté par un avocat devant les administrations, au libre exercice de la profession d'avocat et au droit d'asile ;

- c'est à tort que la juge des référés a jugé que le droit d'être assisté par un avocat devant une administration publique ne constituait pas une liberté fondamentale ;

- c'est à tort que la juge des référés a jugé que le rendez-vous GUDA ne nécessitait pas la présence d'un avocat dès lors que, d'une part, ce rendez-vous est un préalable important au dépôt d'une demande d'asile et, d'autre part, les avocats sont autorisés à assister toute personne devant les administrations publiques sans devoir justifier de circonstances particulières conformément à l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 ;

- c'est à tort que la juge des référés a jugé que la présence d'un avocat auprès du demandeur d'asile lors de son rendez-vous GUDA perturberait le fonctionnement du service public.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 3 mai 2024, le Syndicat des avocats de France demande au Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions des requérants. Il soutient que le conditions d'urgence est satisfaite et qu'il est porté atteinte à plusieurs libertés fondamentales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

Sur l'intervention :

2. Le Syndicat des avocats de France justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Ainsi, son intervention est recevable.

Sur la requête d'appel :

3. Il résulte de l'instruction conduite par le juge des référés du tribunal administratif de Nantes que M. A..., ressortissant afghan, est entré une première fois sur le territoire français en juillet 2023 afin d'y solliciter l'asile. Il a fait l'objet d'une décision de transfert vers la Croatie prise sur le fondement du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, exécutée le 21 mars 2024. M. A... est revenu sur le territoire français le 2 avril 2024. Il s'est présenté au guichet unique pour demandeurs d'asile (GUDA) de la préfecture de Loire-Atlantique le 12 avril 2024, accompagné par son conseil Me C.... Il fait valoir que son conseil n'a pas été autorisé à assister au rendez-vous prévu avec les agents du GUDA. M. A... n'a pas déposé sa demande d'asile le 12 avril 2024 et un nouveau rendez-vous au GUDA lui a été octroyé et fixé au 7 mai 2024. Par une ordonnance du 29 avril 2024 dont ils interjettent appel, le juge des référés a rejeté la demande présentée par M. A... et Mme C... sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative tendant à la suspension de la décision refusant l'accès de Mme C... à la préfecture en vue de d'assister M. A... lors de ce rendez-vous et à ce qu'il soit enjoint au préfet de permettre à M. A... d'être assisté de son conseil, librement choisi, dans la réalisation de ses démarches prévues à la préfecture le mardi 7 mai 2024.

4. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, (...). ". Aux termes de l'article L. 521-7 du même code : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile (...). ". L'enregistrement de la demande d'asile relève, en vertu de l'article R. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du préfet du département. L'article R. 521-5 dispose que : " L'étranger qui, n'étant pas déjà titulaire d'un titre de séjour, demande l'asile en application de l'article L. 521-1 doit présenter les pièces suivantes à l'appui de sa demande en vue de son enregistrement : 1° Les indications relatives à son état civil et, le cas échéant, à celui de son conjoint, de son partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou de son concubin et de ses enfants à charge ; / 2° Les documents mentionnés dans l'arrêté prévu par l'article R. 311-1 justifiant qu'il est entré régulièrement en France ou, à défaut, toutes indications portant sur les conditions de son entrée en France et les étapes de son voyage à partir de son pays d'origine ; / 3° Deux photographies de face, tête nue, de format 3,5 cm × 4,5 cm, récentes et parfaitement ressemblantes ; / 4° S'il dispose d'un domicile stable, l'indication de l'adresse où il est possible de lui faire parvenir toute correspondance pendant la durée de validité de l'attestation de demande d'asile. ". L'article R. 521-7 dispose que : " Lorsque la demande d'asile est présentée par un étranger qui n'est pas déjà titulaire d'un titre de séjour et qui est âgé au moins de 14 ans, il est procédé au relevé de la totalité de ses empreintes digitales, conformément au règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013. ". Enfin, aux termes de l'article R. 521-8 : " Après qu'il a satisfait aux obligations prévues aux articles R. 521-5 à R. 521-6, si l'examen de la demande relève de la compétence de la France et sans préjudice des dispositions de l'article R. 521-10, l'étranger est mis en possession de l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 521-7. / Cette attestation ne permet pas de circuler librement dans les autres Etats membres de l'Union européenne. ".

5. Aux termes de l'article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques: " L'avocat peut librement se déplacer pour exercer ses fonctions. (...) ". Aux termes de l'article 6 de cette loi : " Les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires. (...) ".

6. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 4 imposent que l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative pour enregistrer sa demande. En revanche, aucune disposition applicable à cette procédure d'enregistrement en préfecture n'a pour objet ou pour effet de faire obstacle à ce que l'intéressé puisse se présenter à cet enregistrement accompagné d'un avocat. Il appartient donc au préfet de faire valoir des circonstances précises et particulières établissant que cette assistance de l'avocat n'est pas compatible avec le fonctionnement du service et est de nature à justifier un refus d'accès de l'avocat accompagnant l'étranger à un rendez-vous au guichet pour demandeurs d'asile.

7. Toutefois, cette procédure constitue seulement une formalité préalable à l'introduction de la demande d'asile par l'étranger auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, devant lequel la possibilité d'être assisté par un avocat est spécifiquement prévue par l'article L. 531-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La présence d'un avocat lors de cette procédure préalable n'est donc pas requise pour l'exercice des droits de la défense. Si cette procédure d'enregistrement peut conduire le cas échéant l'autorité administrative à refuser de délivrer une attestation de demande d'asile lorsqu'elle constate qu'un autre Etat est responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, un tel refus est susceptible de recours et peut faire l'objet devant le juge administratif d'une demande fondée sur l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Il suit de là que le refus du préfet de Loire-Atlantique d'autoriser la présence de l'avocat de M. A... à ce rendez-vous ne porte pas atteinte par lui-même au droit constitutionnel d'asile et au droit de solliciter le statut de réfugié.

8. En second lieu, d'une, part, la possibilité d'être assisté par un avocat devant les administrations publiques, prévue par les dispositions de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 citées au point 3, ne constitue pas par elle-même l'une des libertés fondamentales dont la méconnaissance peut être invoquée au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. D'autre part, le refus d'accès aux locaux de la préfecture opposée à Mme C... ne met pas en cause son droit d'exercer ses fonctions d'avocat.

9. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. A... et Mme C... doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention du Syndicat des avocats de France est admise.

Article 2 : La requête de M. A... et Mme C... est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. E... A... et Mme B... C....

Copie en sera adressée au Syndicat des avocats de France.

Fait à Paris, le 6 mai 2024

Signé : Stéphane Hoynck


Synthèse
Numéro d'arrêt : 493925
Date de la décision : 06/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 06 mai. 2024, n° 493925
Composition du Tribunal
Avocat(s) : BARDOUL

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:493925.20240506
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