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17/03/2024 | FRANCE | N°492648

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 17 mars 2024, 492648


Vu la procédure suivante :

Le Groupe d'information et de soutien des allocataires et des familles (GISAF) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet de police des Bouches-du-Rhône du 8 mars 2024 portant autorisation de captation, d'enregistrement et de transmission d'images au moyen d'une caméra installée sur des aéronefs entre 10h et 18h les 11 et 12 mars 2024, dans le périmètre de la cit

é Consolat à Marseille (Bouches-du-Rhône), de l'enjoindre de préserv...

Vu la procédure suivante :

Le Groupe d'information et de soutien des allocataires et des familles (GISAF) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet de police des Bouches-du-Rhône du 8 mars 2024 portant autorisation de captation, d'enregistrement et de transmission d'images au moyen d'une caméra installée sur des aéronefs entre 10h et 18h les 11 et 12 mars 2024, dans le périmètre de la cité Consolat à Marseille (Bouches-du-Rhône), de l'enjoindre de préserver un exemplaire des données et enregistrements recueillis par les deux drones déployés, en plaçant sous séquestre leur mémoire ou, si elle a été effacée, tout support contenant les enregistrements, pièces à adresser à la Commission nationale de l'informatique et des libertés sur sa demande et, enfin, de l'enjoindre de faire procéder à l'effacement des enregistrements correspondants et de toutes les copies qui auraient pu en être faites ainsi qu'à la suppression dans d'éventuels rapports de police de toutes les données ayant pu être recueillies à partir de l'exploitation de cette captation, pour les images collectées le 11 mars 2024.

Par une ordonnance n° 2402386 du 14 mars 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet de police des Bouches-du-Rhône et a rejeté le surplus des conclusions de la requête du GISAF.

Par une requête, enregistrée le 15 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le GISAF demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 14 mars 2024 en tant que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté le surplus de ses conclusions ;

2°) d'enjoindre au Préfet de Police des Bouches-du-Rhône, sans délai à compter de la notification de la présente ordonnance, de préserver un exemplaire des données et enregistrements recueillis par les deux drones déployés, en plaçant sous séquestre leur mémoire ou, si elle a été effacée, tout support contenant les enregistrements, pièces à adresser à la Commission nationale de l'informatique et des libertés sur sa demande ;

3°) d'enjoindre au Préfet de Police des Bouches-du-Rhône, sans délai à compter de la notification de la présente ordonnance, de faire procéder à l'effacement des enregistrements correspondants et de toutes les copies qui auraient pu en être faites ainsi qu'à la suppression dans d'éventuels rapports de police de toutes les données ayant pu être recueillies à partir de l'exploitation de cette captation, pour les images collectées le 11 mars 2024, entre 10h00 et 16h00 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au profit de l'association requérante, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a intérêt à agir ;

- la condition d'urgence est remplie, dès lors que les enregistrements réalisés les 11 et 12 mars dernier sont susceptibles d'être effacés à tout moment et au plus tard le 18 mars en application des dispositions de l'article L. 242-4 du code de la sécurité intérieure ;

que la mise en œuvre effective du dispositif de captation, d'enregistrement et de transmission d'images au moyen d'une caméra installée sur des aéronefs antérieurement à la publication, le 11 mars à 15h39, de l'arrêté l'autorisant, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie privée, qui comprend le droit à la protection des données personnelles

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". Il résulte de de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu'il est possible de prendre utilement de telles mesures.

2. En outre, en vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

3. Aux termes de l'article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure " I - Dans l'exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l'ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens, les services de la police nationale (...) peuvent être autorisés à procéder à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs aux fins d'assurer : / 1° La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s'y sont déjà déroulés, à des risques d'agression, de vol ou de trafic d'armes, d'êtres humains ou de stupéfiants, ainsi que la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu'ils sont particulièrement exposés à des risques d'intrusion ou de dégradation ; / (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 242-4 du même code : " Hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, les enregistrements comportant des données à caractère personnel sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant mis en œuvre le dispositif aéroporté, pendant une durée maximale de sept jours à compter de la fin du déploiement du dispositif, sans que nul ne puisse y avoir accès, sauf pour les besoins d'un signalement dans ce délai à l'autorité judiciaire, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ", la fin du déploiement du dispositif devant s'entendre comme correspondant à l'achèvement de chaque mission opérationnelle. Enfin, aux termes de l'article L. 242-3 du même code : " Le public est informé par tout moyen approprié de l'emploi de dispositifs aéroportés de captation d'images et de l'autorité responsable de leur mise en œuvre, sauf lorsque les circonstances l'interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis. Une information générale du public sur l'emploi de dispositifs aéroportés de captation d'images est organisée par le ministre de l'intérieur ". L'article L. 242-8 indique qu'un décret en Conseil d'Etat " précise les exceptions au principe d'information du public prévu à l'article L. 242-3 ".

4. Aux termes de l'article R. 242-8 du code de la sécurité intérieure : " I. - Dans le cadre de l'autorisation prévue à l'article L. 242-5 et dans les conditions prévues par les articles L. 242-2 à L. 242-4, les services de la police nationale (...) sont autorisés à mettre en œuvre des traitements de données à caractère personnel provenant de caméras installées sur des aéronefs. / Ces traitements ont pour finalités : / 1° La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s'y sont déjà déroulés, à des risques d'agression, de vol ou de trafic d'armes, d'êtres humains ou de stupéfiants (...) ". Aux termes de l'article R. 242-11 du même code : " I. - A l'issue de l'intervention constatée par les autorités mentionnées au 1° du I de l'article R. 242-10, les données mentionnées au I de l'article R. 242-9 sont conservées sur un support informatique sécurisé sous la responsabilité des mêmes autorités sans que nul n'y ait accès sous réserve des dispositions des II et III. / II. - A l'issue de l'intervention et au plus tard dans un délai de quarante-huit heures à compter de la fin de celle-ci, les personnels mentionnés aux 2° et 3° du I de l'article R. 242-10 suppriment les images de l'intérieur des domiciles et, de façon spécifique, leurs entrées lorsque l'interruption de l'enregistrement n'a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l'intervention, sauf pour les besoins d'un signalement à l'autorité judiciaire. / III. - Les données n'ayant pas fait l'objet de la suppression mentionnée au II sont conservées pendant une durée maximale de sept jours à compter de la fin du déploiement du dispositif, sans que nul ne puisse y avoir accès, sauf pour les besoins d'un signalement à l'autorité judiciaire. Au terme de ce délai, ces données seront effacées, à l'exception de celles conservées pour être utilisées à des fins pédagogiques et de formation. " Aux termes de l'article R. 242-12 du même code : " Les opérations de collecte, de modification, de consultation, de communication et d'effacement des données à caractère personnel font l'objet d'un journal qui tient lieu du registre mentionné à l'article L. 242-4. Ce dernier comprend l'identifiant de l'auteur, la date, l'heure, le motif de l'opération et, le cas échéant, les destinataires des données. Ces informations sont conservées pendant trois ans ". Enfin, aux termes de l'article R. 242-13 du même code : " I. - L'information du public sur l'emploi des caméras installées sur des aéronefs est délivrée par tout moyen approprié, sauf si l'urgence ou les conditions de l'opération l'interdisent ou si cette information entre en contradiction avec les objectifs poursuivis parmi les finalités mentionnées aux 1°, 3° et 5° du I et au II de l'article R. 242-8. Une information générale du public sur l'emploi des dispositifs aéroportés de captation d'images est organisée par le ministère de l'intérieur et, en tant que de besoin, par le ministère de la défense et le ministère chargé des douanes. / (...) "

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Marseille que, par un arrêté du 8 mars 2024, le préfet de police des Bouches-du-Rhône a autorisé la captation, l'enregistrement et la transmission d'images au moyen d'une caméra installée sur des aéronefs entre 10h et 18h, les 11 et 12 mars 2024, dans le périmètre de la cité Consolat à Marseille (Bouches-du-Rhône), " dans le cadre d'une opération de restauration du cadre de vie, (où) les forces de l'ordre vont conduire de nombreuses opérations visant à lutter contre les rodéos et prévenir le regroupement de jeunes extérieurs au quartier ; que l'intervention des fonctionnaires de police au sein de la cité est très souvent rendue difficile du fait de l'hostilité des jeunes à la présence des forces de l'ordre au sein de la cité ", au titre de la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s'y sont déjà déroulés, à des risques d'agression, de vol ou de trafic d'armes, d'êtres humains ou de stupéfiants. Par une ordonnance du 14 mars 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a jugé qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur la demande de suspension de l'arrêté, entièrement exécuté, et a rejeté le surplus de la demande dont il était saisi. Le GISAF demande au Conseil d'Etat l'annulation de l'ordonnance du 14 mars 2024 en tant que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté le surplus de ses conclusions, d'enjoindre au préfet de préserver un exemplaire des données et enregistrements recueillis par les deux drones déployés, en plaçant sous séquestre leur mémoire ou, si elle a été effacée, tout support contenant les enregistrements, pièces à adresser à la Commission nationale de l'informatique et des libertés sur sa demande et, enfin, d'enjoindre au préfet de faire procéder à l'effacement des enregistrements correspondants et de toutes les copies qui auraient pu en être faites ainsi qu'à la suppression dans d'éventuels rapports de police de toutes les données ayant pu être recueillies à partir de l'exploitation de cette captation, pour les images collectées le 11 mars 2024, entre 10h00 et 16h00.

6. Le droit au respect de la vie privée, qui comprend le droit à la protection des données personnelles, constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

7. Pour justifier que la condition d'urgence de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie, l'association indique que les enregistrements réalisés les 11 et 12 mars dernier sont susceptibles d'être effacés à tout moment et au plus tard le 18 mars, en application des dispositions de l'article L. 242-4 du code de la sécurité intérieure. Il résulte des dispositions citées aux points 3 et 4 que les enregistrements réalisés dans les conditions qu'elles fixent doivent être détruits au plus tard sept jours à compter de la fin du déploiement du dispositif. Toutefois, la seule circonstance que des enregistrements auraient été effectués à la suite des vols d'aéronefs autorisés par l'arrêté en cause, à supposer même que ces enregistrements soient, comme le soutient l'association, dépourvus de base légale pour la plage horaire allant le 11 mars dernier de 10h à 16h, et alors que la conservation des enregistrements n'aurait d'autre objet que leur transmission à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, ne saurait suffire à caractériser à elle seule l'urgence particulière justifiant qu'il soit ordonné à très bref délai, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une mesure de sauvegarde d'une liberté fondamentale.

8. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, l'association n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance dont elle relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande. Sa requête ne peut, par suite, qu'être rejetée, y compris ses conclusions à fins d'injonction et celles présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du GIFAS est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au Groupe d'information et de soutien des allocataires et des familles.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.

Fait à Paris, le 17 mars 2024

Signé : Thomas Andrieu


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 492648
Date de la décision : 17/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 mar. 2024, n° 492648
Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492648.20240317
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