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14/03/2024 | FRANCE | N°492152

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 14 mars 2024, 492152


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d'enjoindre au département du Val-de-Marne de prendre toutes mesures utiles afin de respecter les droits et libertés de sa fille mineure, C... et, notamment d'organiser la réunion d'une équipe pluridisciplinaire tendant à évaluer ses besoins immédiats et concrets, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance à

intervenir, et d'y pourvoir sans délai, au besoin en mettant en pla...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d'enjoindre au département du Val-de-Marne de prendre toutes mesures utiles afin de respecter les droits et libertés de sa fille mineure, C... et, notamment d'organiser la réunion d'une équipe pluridisciplinaire tendant à évaluer ses besoins immédiats et concrets, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, et d'y pourvoir sans délai, au besoin en mettant en place un suivi médico-psychologique de l'enfant et une obligation de suivi scolaire, en deuxième lieu, d'ordonner une mesure d'expertise psychiatrique de l'ensemble de la cellule familiale et scolaire D... aux frais du département du Val-de-Marne et, en dernier lieu, de dire que l'expert-psychiatre devra rendre son rapport avant le 15 mars 2024. Par une ordonnance n° 2401301 du 12 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 février 2024 et 4 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de réformer l'ordonnance du 12 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'enjoindre au département du Val-de-Marne de prendre toutes mesures utiles afin de respecter les droits et libertés de l'enfant C... et de faire droit à ses conclusions présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun ;

3°) de mettre à la charge du département du Val-de-Marne la somme de 12 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance contestée est entachée d'irrégularité dès lors que le juge des référés du tribunal administratif de Melun a statué dans un délai anormalement long de sept jours, en méconnaissance de son droit à un procès équitable et de son droit à un recours effectif ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que C... sera majeure le 7 avril 2024, ce qui mettra fin à la mesure d'assistance éducative ordonnée par une décision du 2 novembre 2022 de la juge des enfants du tribunal judiciaire de Créteil ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Melun a jugé que la demande de M. A... était mal dirigée alors que le département du Val-de-Marne est seul chargé du service public de l'aide social à l'enfance, la circonstance qu'il ait délégué cette mission à la Fondation Olga Spitzer étant inopérante ;

- l'absence de prise en charge socio-éducative ordonnée par la juge des enfants du tribunal judiciaire de Créteil porte une atteinte grave, d'une part, à l'intérêt supérieur D... et à sa vie privée et familiale dans la mesure où celle-ci souffre de troubles psychiques, est déscolarisée et se trouve livrée à elle-même dans un contexte familial conflictuel et, d'autre part, à l'exécution des décisions juridictionnelles garantie par le droit à un procès équitable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2024, le département du Val-de-Marne conclut au rejet de la requête. Il soutient que le juge administratif n'est pas compétent pour contrôler une mesure d'assistance éducative ordonnée par le juge des enfants et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la Fondation Olga Spitzer qui n'a pas produit d'observations.

Vu le mémoire après audience, enregistré le 7 mars 2024, présenté par le département du Val-de-Marne ;

Vu le mémoire après audience, enregistré le 7 mars 2024, présenté par M. A... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, le département du Val-de-Marne et la Fondation Olga Spitzer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 5 mars 2024, à 17 heures :

- la représentante de M. A... ;

- M. A... ;

- les représentants du département du Val-de-Marne.

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 11 mars 2024 à 12 heures ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Par un jugement du 2 novembre 2022, le juge des enfants du tribunal judiciaire de Créteil a ordonné la mise en place d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert, en application de l'article 375-2 du code civil, au bénéfice de l'enfant C... A..., née le 7 avril 2006, en raison des troubles et difficultés ressentis par cette enfant dans un contexte de " conflit parental ancien et massif " entre ses parents divorcés, et en a confié l'exécution au service social de l'enfance de Créteil. M. B... A..., le père D..., estimant que les modalités de mise en place de cette mesure ne permettaient pas de porter remède à la situation de détresse psychologique de sa fille, ni d'améliorer sa scolarisation, et que cette carence portait atteinte à plusieurs droits fondamentaux de cette enfant, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun d'enjoindre au département du Val-de-Marne de prendre toutes mesures utiles afin de respecter les droits et libertés de sa fille C..., et notamment d'organiser la réunion d'une équipe pluridisciplinaire tendant à évaluer ses besoins immédiats et concrets, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, d'y pourvoir sans délai, au besoin en mettant en place un suivi médico-psychologique de l'enfant et une obligation de suivi scolaire, enfin d'ordonner une mesure d'expertise psychiatrique de l'ensemble de la cellule familiale et scolaire D... aux frais du département du Val-de-Marne. Par l'ordonnance attaquée du 12 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. La circonstance que le juge des référés du tribunal administratif a rendu sa décision dans un délai supérieur à celui que prévoit l'article L. 521-2 du code de justice administrative ne méconnaît ni le droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni le droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la même convention. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que l'ordonnance attaquée serait irrégulière du fait de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

4. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 375-2 du code civil : " Chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d'apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu'elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l'enfant et d'en faire rapport au juge périodiquement. Si la situation le nécessite, le juge peut ordonner, pour une durée maximale d'un an renouvelable, que cet accompagnement soit renforcé ou intensifié. (...) ".

5. D'autre part, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 221-4 du code de l'action sociale et des familles : " Lorsqu'un enfant bénéficie d'une mesure prévue à l'article 375-2 ou aux 1°, 2°, 4° et 5° de l'article 375-3 du code civil, le président du conseil départemental organise, sans préjudice des prérogatives de l'autorité judiciaire, entre les services du département et les services chargés de l'exécution de la mesure, les modalités de coordination en amont, en cours et en fin de mesure, aux fins de garantir la continuité et la cohérence des actions menées. "

6. En premier lieu, pour rejeter la demande de M. A..., le juge des référés du tribunal administratif de Melun a jugé que le " service social de l'enfance de Créteil ", auquel le juge des enfants a confié la responsabilité de la mesure d'assistance éducative de la jeune C..., est " la dénomination administrative de la Fondation Olga Spitzer, personne morale de droit privé habilitée par la protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la justice et autorisée par le conseil départemental du Val-de-Marne pour exercer les activités d'investigation éducative, d'action éducative en milieu ouvert et de réparation pénale. " Il a ensuite relevé que : " Cette fondation est donc une structure distincte du service de la protection de l'enfance et de la jeunesse du département du Val-de-Marne, lequel n'est donc pas en charge de l'exercice de cette mesure d'assistance éducative ". Il en a déduit que la demande présentée par le requérant était " mal dirigée " et devait, par suite, être rejetée.

7. Il résulte de l'instruction que la Fondation Olga Spitzer a vu son agrément renouvelé par arrêté préfectoral du 19 novembre 2004, pour la conduite de 700 mesures d'actions éducatives, ordonnées notamment par le juge des enfants en application des articles 375 et suivants du code civil, et qu'elle a été habilitée à cette même fin par une convention avec le département du Val-de-Marne du 16 septembre 2019, sur le fondement de laquelle elle assure la gestion du service social de l'enfance de Créteil. Il résulte également des dispositions, citées au point 5, de l'article L. 221-4 du code de l'action sociale et des familles, qu'il appartient au président du conseil départemental de garantir la continuité de la cohérence des actions menées en exécution d'un jugement ordonnant une mesure d'assistance éducative prononcée sur le fondement de l'article 375-2 du code civil. M. A... ayant notamment fait valoir que des carences graves affectaient, selon lui, la continuité et la cohérence du suivi de sa fille C... en application d'un jugement prononcé sur ce fondement, il appartenait au juge des référés d'examiner le fond de sa demande, sans qu'y fasse obstacle le fait que l'exécution de la mesure avait été confiée à une personne privée chargée d'un service public, distincte du département. Par suite, c'est à tort qu'il a jugé que la demande de M. A... était mal dirigée et l'a rejetée pour ce seul motif.

8. En deuxième lieu toutefois, s'il résulte de l'instruction, et notamment de la décision du juge des enfants du 2 novembre 2022, ordonnant la mise en place d'une assistance éducative au bénéfice D..., que celle-ci présente, dans un contexte de conflit de ses deux parents divorcés, des troubles psychologiques dont sa scolarité, notamment, se ressent, et que la Fondation Olga Spitzer, à laquelle l'enfant a été confiée, a tardé pendant plusieurs mois à organiser l'assistance éducative ordonnée par ce juge, sans que le département s'acquitte, au cours de cette période, de la mission que lui confie l'article L. 221-4 du code de l'action sociale et des familles précitées, il en résulte également que C... est à présent suivie de façon régulière, depuis septembre 2023, par un éducateur de la Fondation Olga Spitzer, en application de cette mesure. Si le requérant entend faire valoir dans le cadre de la présente instance que cette prise en charge n'est pas adaptée, faute notamment d'un dialogue plus complet de l'éducateur avec les parents, et d'un diagnostic psychologique plus large s'étendant à l'ensemble des membres de la famille, il ressort clairement de l'article 375-2 du code civil que l'adaptation ou le renforcement des mesures ordonnée par le juge des enfants sur le fondement de l'article 375-2 du code civil relèvent de la compétence de ce juge. En l'état de l'instruction, les carences alléguées de la prise en charge D..., et les troubles qui en résulteraient selon le requérant, ne sont pas d'une gravité telle qu'ils révéleraient une atteinte grave et manifestement illégale à ses droits fondamentaux entrant dans le champ de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Il suit de là que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

9. Il résulte de ce qui précède que l'appel de M. A... doit être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au département du Val-de-Marne.

Copie en sera adressée à la Fondation Olga Spitzer.

Fait à Paris, le 14 mars 2024

Signé : Cyril Roger-Lacan


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 492152
Date de la décision : 14/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 14 mar. 2024, n° 492152
Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492152.20240314
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