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12/03/2024 | FRANCE | N°492186

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 12 mars 2024, 492186


Vu la procédure suivante :

M. B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 16 janvier 2024 par laquelle le président du conseil départemental du Val-de-Marne lui a refusé le bénéfice d'un contrat " jeune majeur ", d'enjoindre au président du conseil départemental du Val-de-Marne de réexaminer sa demande de prise en charge en sa qualité de jeune majeur et de lui procurer, dans un délai de quarante-huit

heures, une solution d'hébergement et une prise en charge de ses besoi...

Vu la procédure suivante :

M. B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 16 janvier 2024 par laquelle le président du conseil départemental du Val-de-Marne lui a refusé le bénéfice d'un contrat " jeune majeur ", d'enjoindre au président du conseil départemental du Val-de-Marne de réexaminer sa demande de prise en charge en sa qualité de jeune majeur et de lui procurer, dans un délai de quarante-huit heures, une solution d'hébergement et une prise en charge de ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux. Par une ordonnance n° 2401212 du 12 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, après avoir admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a suspendu l'exécution de la décision du 16 janvier 2024 et a enjoint au président du département de réexaminer sa demande, dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance et, dans l'attente de ce réexamen, de lui proposer, dans un délai de deux jours un hébergement ainsi qu'une prise en charge de ses besoins élémentaires prenant en compte les revenus qu'il est susceptible de percevoir dans le cadre de son contrat d'apprentissage, lui permettant de poursuivre sa scolarité et respecter les termes de son contrôle judiciaire.

Par une requête, enregistrée le 27 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département du Val-de-Marne demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande de M. C....

Il soutient que :

- M. C... s'est lui-même placé dans la situation d'urgence dont il se prévaut et le motif d'intérêt général tiré du comportement de ce dernier et des risques induits pour la structure s'opposent à la suspension de l'acte contesté ;

- les faits de l'espèce ne révèlent pas de carence caractérisée du département qui serait constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors que le refus de poursuivre la prise en charge de M. C... était fondé sur d'autres motifs que sur la seule existence d'une procédure judiciaire diligentée à son encontre, qu'il n'a ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte à sa présomption d'innocence et qu'il ne le prive pas des modalités de prise en charge de droit commun.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2024, M. C... conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le département du Val-de-Marne et, d'autre part, M. B... C... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 mars 2024, à 16 heures :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département du Val-de-Marne ;

- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C... ;

- le représentant de M. C... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

Sur le cadre juridique du litige :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : / 1° Des prestations d'aide sociale à l'enfance ; (...) / Elles bénéficient des autres formes d'aide sociale, à condition qu'elles justifient d'un titre exigé des personnes de nationalité étrangère pour séjourner régulièrement en France (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, y compris lorsqu'ils ne bénéficient plus d'aucune prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article et à l'exclusion de ceux faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. / Peuvent être également pris en charge à titre temporaire, par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance, les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants./ Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés au 5° et à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ".

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 222-5-1 du même code : " Un entretien est organisé par le président du conseil départemental avec tout mineur accueilli au titre des 1°, 2° ou 3° de l'article L. 222-5, au plus tard un an avant sa majorité, pour faire un bilan de son parcours, l'informer de ses droits, envisager avec lui et lui notifier les conditions de son accompagnement vers l'autonomie. Si le mineur a été pris en charge à l'âge de dix-sept ans révolus, l'entretien a lieu dans les meilleurs délais. Dans le cadre du projet pour l'enfant, un projet d'accès à l'autonomie est élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur. Il y associe les institutions et organismes concourant à construire une réponse globale adaptée à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources. Le cas échéant, la personne de confiance désignée par le mineur en application de l'article L. 223-1-3 peut assister à l'entretien. / Le mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille est informé, lors de l'entretien prévu au premier alinéa du présent article, de l'accompagnement apporté par le service de l'aide sociale à l'enfance dans ses démarches en vue d'obtenir une carte de séjour à sa majorité ou, le cas échéant, en vue de déposer une demande d'asile. / L'entretien peut être exceptionnellement renouvelé afin de tenir compte de l'évolution des besoins des jeunes concernés. / Le dispositif mentionné à l'article L. 5131-6 du code du travail est systématiquement proposé aux personnes mentionnées au 5° de l'article L. 222-5 du présent code ainsi qu'aux majeurs âgés de moins de vingt et un ans lorsqu'ils ont été confiés à un établissement public ou à une association habilitée de la protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre d'une mesure de placement et qu'ils ne font plus l'objet d'aucun suivi éducatif après leur majorité, qui ont besoin d'un accompagnement et remplissent les conditions d'accès à ce dispositif ". Aux termes de l'article R. 222-6 du code de l'action sociale et des familles : " Le président du conseil départemental complète si nécessaire, pour les personnes mentionnées au 5° de l'article L. 222-5 ayant été accueillies au titre des 1°, 2° ou 3° du même article, le projet d'accès à l'autonomie formalisé lors de l'entretien pour l'autonomie mentionné à l'article L. 222-5-1, afin de couvrir les besoins suivants : / 1° L'accès à des ressources financières nécessaires à un accompagnement vers l'autonomie ; / 2° L'accès à un logement ou un hébergement ; / 3° L'accès à un emploi, une formation ou un dispositif d'insertion professionnelle ; / 4° L'accès aux soins ; / 5° L'accès à un accompagnement dans les démarches administratives ; / 6° Un accompagnement socio-éducatif visant à consolider et à favoriser le développement physique, psychique, affectif, culturel et social ".

4. Il résulte, d'une part, des dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles que les jeunes majeurs de moins de vingt et un ans ayant été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un département avant leur majorité bénéficie d'un droit à une nouvelle prise en charge par ce service, lorsqu'ils ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, modulable selon leurs besoins, en particulier de stabilité affective, ainsi que les mineurs rencontrant des difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial ou dans un établissement ou dans un service tel que prévu au 12° du I de l'article L. 312-1.

5. Il résulte, d'autre part, des dispositions de l'article L. 222-5-1 du même code qu'un projet d'accès à l'autonomie, élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur, en y associant d'autres institutions et organismes concernés, vise à apporter au mineur pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance une réponse globale adaptée à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources. Ce projet est complété, si nécessaire, en fonction des besoins particuliers du jeune majeur en application de l'article R. 222-6 de ce code, pour les jeunes majeurs de moins de vingt et un ans mentionnés au 5° de l'article L. 222-5, qui continuent de relever d'une prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. Cette prise en charge prend la forme du document dénommé " contrat jeune majeur " qui a pour objet de formaliser les relations entre le service de l'aide sociale à l'enfance et le jeune majeur, dans un but de responsabilisation de ce dernier.

6. Une carence caractérisée dans l'accomplissement par le président du conseil départemental des missions fixées par les dispositions rappelées aux points précédents, notamment dans les modalités de prise en charge des besoins du mineur ou du jeune majeur relevant de l'aide sociale à l'enfance, lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour l'intéressé, est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Sur la requête d'appel du département du Val-de-Marne :

7. Il résulte de l'instruction que, par un premier jugement en assistance éducative du 23 juillet 2021 du juge des enfants du tribunal pour enfants de Créteil (Val-de-Marne), confirmé par la cour d'appel de Paris le 4 mars 2022, suivi d'autres jugements de prolongation de la mesure, M. C..., ressortissant malien, qui a déclaré être né le 2 février 2006 à Bamako (Mali), a été confié à la garde du conseil départemental du Val-de-Marne jusqu'à sa majorité. M. C... est, par ailleurs, actuellement inscrit au centre de formation des apprentis académique de Créteil où il suit avec assiduité une formation en pâtisserie par la voie de l'apprentissage. Par une ordonnance du 9 décembre 2023 du juge du tribunal pour enfants de Créteil, il a été placé, dans l'attente de l'audience pénale reportée en mars prochain, sous contrôle judiciaire à la suite d'une plainte déposée contre lui par une jeune femme qui lui reproche de l'avoir agressée sexuellement au sein du logement qu'il occupe. Compte tenu de cette plainte, de ce que les actes qui lui sont reprochés auraient été commis au sein du logement qu'il occupe d'ailleurs avec trois autres jeunes également pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance et de l'existence d'autres manquements graves au règlement au sein de la structure d'hébergement qui lui ont été signalés, ayant consisté à avoir, dans le même appartement, invité à plusieurs reprises des jeunes femmes, dont certaines pourraient être mineures, pour des relations sexuelles tarifées, le président du conseil départemental du Val-de-Marne a, par une décision du 16 janvier 2024, refusé de faire droit à sa demande de prolongation d'une prise en charge en qualité de jeune majeur sur le fondement du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. Le département du Val-de-Marne relève appel de l'ordonnance du 12 février 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de la décision du 16 janvier 2024.

8. Il résulte de l'instruction que si la mesure de contrôle judiciaire prononcée par l'ordonnance du 9 décembre 2023 mentionnée au point précédent et dont l'unité éducative en milieu ouvert (UEMO) de Vitry-sur-Seine doit assurer le suivi, comporte une interdiction d'entrer en relation avec la victime, une obligation de soin et de poursuite de sa scolarité, elle ne comporte en revanche aucune mesure relative à l'hébergement. En dépit de la très grande gravité des faits reprochés à l'intéressé par la plaignante et des manquements graves et répétés aux règles de fonctionnement de la structure d'hébergement qui auraient été commis pendant la minorité de l'intéressé, il ne résulte pas de l'instruction qui s'est poursuivie à l'audience que tout maintien de M. C... au sein d'une structure d'hébergement éventuellement plus sécurisée, relevant de l'aide sociale à l'enfance, serait rendu impossible. Il résulte de l'instruction que l'intéressé ne disposant pas de ressources suffisantes le rendant autonome, ni d'un soutien familial sur le territoire français et dont la scolarité devrait s'achever avec le passage du certificat d'aptitude professionnel en juin prochain, l'absence de toute prise en charge dans le cadre d'un contrat jeune majeur risque de compromettre l'obligation de suivi scolaire et de soin qui font partie des mesures du contrôle judiciaire. Le droit que l'intéressé tire du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, donne au président du conseil départemental un large choix dans les mesures, rappelées à l'article R. 222-6 du code de l'action sociale et des familles, qu'il décide de faire figurer dans le contrat de jeune majeur dans un but de responsabilisation de ce dernier, en fonction de la situation et des besoins de celui-ci, dont par exemple un accès aux soins et un accompagnement socio-éducatif portant notamment sur le développement psychique et affectif. Par suite, et sans préjudice de la possibilité que le président du conseil départemental aura, le cas échéant, de modifier ou d'interrompre la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance en fonction de toute évolution de la situation du jeune majeur qui le justifierait, il résulte de ce qui précède qu'en l'état de l'instruction, le refus opposé à M. C... de lui proposer, sous quelque forme que ce soit, un contrat " jeune majeur " à compter de sa majorité et la décision en particulier de mettre fin à son hébergement, révèle une carence caractérisée dans l'accomplissement par le président du conseil départemental des missions qui lui ont été confiées et qui ont été rappelées aux points 2 à 5, de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, à laquelle il est urgent de mettre fin dans les circonstances de l'espèce. Il s'ensuit que le département du Val-de-Marne n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du département du Val-de-Marne est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au département du Val-de-Marne et à M. B... C....

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Fait à Paris, le 12 mars 2024

Signé : Olivier Yeznikian


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 492186
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 mar. 2024, n° 492186
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492186.20240312
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