Vu la procédure suivante :
Mme D... A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 8 janvier 2024 par laquelle le président du conseil départemental du Val-de-Marne a refusé la poursuite de son accompagnement dans le cadre d'un contrat " jeune majeur ", de lui enjoindre de réexaminer sa situation et de lui procurer, dans un délai de quarante-huit heures, une solution d'hébergement et une prise en charge de ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux. Par une ordonnance n° 2401756 du 19 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, après avoir admis Mme A... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a suspendu l'exécution de la décision du 8 janvier 2024 et a enjoint au président du conseil départemental du Val-de-Marne, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance, de réexaminer la situation de Mme A... B..., notamment en lui proposant un accompagnement comportant l'accès à une solution de logement permettant de la mettre à l'abri et de prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires ainsi qu'un suivi éducatif.
Par une requête, enregistrée le 27 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département du Val-de-Marne demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de Mme A... B....
Il soutient que :
- l'ordonnance est intervenue à la suite d'une procédure irrégulière pour être fondée sur une pièce qui ne lui a pas été communiquée, en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- c'est à tort, au regard des dispositions du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, issues de la loi du 26 janvier 2024, que le juge des référés a regardé comme sans incidence la circonstance que Mme A... B... faisait, à la date à laquelle il a statué, l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;
- aucune carence caractérisée révélant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, ne peut être, en l'espèce, relevée à son encontre dès lors, d'une part, que Mme A... B... n'est pas isolée sur le territoire français et dispose de ressources financières procurées par sa famille, et, d'autre part, que les difficultés d'insertion sociale et la faible probabilité de mener à bien une formation sont particulièrement élevées eu égard au comportement de l'intéressée ;
- celle-ci ne peut se prévaloir d'aucune situation d'urgence dès lors que c'est par son comportement qu'elle s'y trouve placée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2024, Mme A... B... conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le département du Val-de-Marne et, d'autre part, Mme A... B... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 mars 2024, à 15 heures :
- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département du Val-de-Marne ;
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... B... ;
- le représentant de Mme A... B... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que Mme A... B..., ressortissante tunisienne née le 27 mars 2005 à Sousse, arrivée en France en juillet 2020, après avoir fait l'objet d'un placement provisoire à l'aide sociale à l'enfance du Val-de-Marne par une ordonnance du 4 août 2020 du procureur de la République du tribunal judiciaire de Créteil, a été confiée, à compter du 12 août 2020 jusqu'à sa majorité, à la direction de la protection de l'enfance et de la jeunesse du conseil départemental du Val-de-Marne par des ordonnances du juge des enfants du tribunal de Créteil. A la suite de problèmes de comportement constatés au cours de sa scolarité et eu égard au maintien de liens avec ses parents susceptibles de lui procurer une aide en particulier financière, le juge de la tutelle des mineurs du tribunal judiciaire de Créteil a, par une ordonnance du 25 octobre 2022, prononcé la main levée de la mesure de tutelle d'Etat décidée le 12 avril 2021, puis, par une décision du 10 mars 2023, le département du Val-de-Marne a mis fin à sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance à compter du 27 mars 2023, décision suspendue par une ordonnance du 11 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Melun et qui a été confirmée par une ordonnance du 9 mai 2023 du juge des référés du Conseil d'Etat. Par un arrêté du 30 novembre 2023, le préfet du Val-de-Marne a rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme A... B... et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par une nouvelle décision du 8 janvier 2024, le président du département du Val-de-Marne a mis fin à sa prise en charge comme jeune majeure. Le département relève appel de l'ordonnance du 19 février 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun a suspendu l'exécution de cette décision et enjoint un réexamen de la situation de l'intéressée notamment en lui proposant un accompagnement comportant l'accès à une solution de logement permettant de la mettre à l'abri et de prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires ainsi qu'un suivi éducatif.
3. Aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : / 1° Des prestations d'aide sociale à l'enfance ; (...) / Elles bénéficient des autres formes d'aide sociale, à condition qu'elles justifient d'un titre exigé des personnes de nationalité étrangère pour séjourner régulièrement en France (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, y compris lorsqu'ils ne bénéficient plus d'aucune prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article et à l'exclusion de ceux faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. / Peuvent être également pris en charge à titre temporaire, par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance, les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés au 5° et à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ".
4. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles que, depuis l'entrée en vigueur du I de l'article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, qui a modifié cet article sur ce point, les jeunes majeurs de moins de vingt et un ans ayant été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un département avant leur majorité bénéficient d'un droit à une nouvelle prise en charge par ce service, lorsqu'ils ne disposent pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants. Les dispositions du 5° de de l'article L. 222-5 dans leur rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, précisent qu'il en est ainsi à l'exclusion toutefois de ceux qui font l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Une carence caractérisée dans l'accomplissement par le président du conseil départemental des missions fixées par les dispositions rappelées aux points précédents, notamment dans les modalités de prise en charge des besoins du mineur ou du jeune majeur relevant de l'aide sociale à l'enfance, lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour l'intéressé, est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
6. Il résulte de l'instruction qui s'est poursuivie à l'audience qu'ainsi qu'il a été rappelé au point 2, Mme A... B... fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire prononcée le 30 novembre 2023 par le préfet du Val-de-Marne, qui est, à la date de la présente ordonnance, toujours en vigueur. Dès lors, l'intéressée ne peut plus, eu égard à ce qui a été dit au point 4, se prévaloir du droit, qui s'apprécie à la date à laquelle le juge statue, qu'elle tirait des dispositions du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, en sa qualité de jeune majeure de moins de vingt et un ans ayant été prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département avant sa majorité. En outre, même si Mme A... B... ne se prévaut pas des derniers alinéas de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, en l'état de l'instruction et en tout état de cause, d'une part, les liens qu'elle continue d'entretenir régulièrement avec ses parents et d'autres membres de sa famille sont tels qu'elle n'apparaît pas placée dans une situation d'isolement devant la faire regarder comme étant sans soutien ni ressources et, d'autre part, le comportement qu'elle a adopté de manière récurrente pendant sa scolarité en CAP Esthétique auquel elle a échoué ne conduit pas à la faire regarder comme exprimant un besoin d'accompagnement particulier pour achever un parcours scolaire. Par suite, la mesure par laquelle le président du département du Val-de-Marne a, le 8 janvier 2024, mis fin à la prise en charge de l'intéressée dans le cadre d'un contrat jeune majeur ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et ne révèle ni à la date de l'ordonnance attaquée, ni à la date de la présente ordonnance, une carence caractérisée dans l'accomplissement par ce dernier des missions qui lui sont confiées au titre de l'aide sociale à l'enfance.
7. Il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, le département du Val-de-Marne est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée et le rejet de la demande présentée par Mme A... B... sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 19 février 2024 est annulée.
Article 2 : La demande de Mme A... B... est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au département du Val-de-Marne et à Mme C... B....
Fait à Paris, le 12 mars 2024
Signé : Olivier Yeznikian