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23/01/2024 | FRANCE | N°490445

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 23 janvier 2024, 490445


Vu la procédure suivante :

M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, d'enjoindre à la Ville de Paris d'assurer son hébergement dans une structure adaptée à son âge et de prendre en charge ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astrei

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Vu la procédure suivante :

M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, d'enjoindre à la Ville de Paris d'assurer son hébergement dans une structure adaptée à son âge et de prendre en charge ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait définitivement statué sur son recours fondé sur les articles 375 et suivants du code civil. Par une ordonnance n° 2328432 du 13 décembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par une requête, enregistrée le 25 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 13 décembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'enjoindre à la Ville de Paris d'assurer son hébergement dans une structure adaptée à son âge ainsi que la prise en charge de ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question relative à sa minorité, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, à défaut, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Il soutient que :

- l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris est irrégulière en ce qu'elle n'a pas été signée conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'il est dépourvu de logement et se trouve dans une situation d'extrême précarité ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à un hébergement d'urgence ;

- l'évaluation de sa minorité est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que, en premier lieu, aucun élément n'est de nature à établir son absence de minorité, en deuxième lieu, l'authenticité de son acte de naissance n'est pas sérieusement contestée et, en dernier lieu, l'absence de repères temporels croisés relevée lors de son évaluation et les incohérences relatives à son parcours migratoire ne permettent pas de conclure à une absence de minorité ;

- l'absence de prise en charge dans un hébergement d'urgence adapté à sa minorité constitue une carence caractérisée de la Ville de Paris dans l'accomplissement de sa mission à l'égard des mineurs dès lors qu'il est dans une situation de grande vulnérabilité, en raison notamment de son état de santé, et qu'il est dépourvu de logement et de ressources financières.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Il résulte de l'instruction menée par le juge des référés du tribunal administratif de Paris que M. A..., ressortissant de la République démocratique du Congo qui indique être né le 11 février 2009, s'est présenté le 21 août 2023 à l'accueil des mineurs non accompagnés de la Ville de Paris. Après avoir été reçu pour un entretien d'évaluation le 29 août 2023, la Ville de Paris, par une décision du 30 août suivant, a refusé sa prise en charge en tant que mineur isolé au motif que sa minorité n'était pas caractérisée. M. A..., qui a saisi le juge des enfants du tribunal judiciaire de Paris le 15 septembre 2023, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la Ville de Paris d'assurer son hébergement dans une structure adaptée à son âge et de prendre en charge ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait définitivement statué sur son recours fondé sur les articles 375 et suivants du code civil. Il relève appel de l'ordonnance du 13 décembre 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les dispositions applicables :

3. L'article 375 du code civil dispose que : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 373-5 de ce code : " A titre provisoire mais à charge d'appel, le juge peut, pendant l'instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d'accueil ou d'observation, soit prendre l'une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. / En cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure. (...) ".

4. L'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) / ; 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ". L'article L. 222-5 du même code dispose que : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) ". L'article L. 223-2 de ce code dispose que : " Sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire ou s'il s'agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s'il est mineur émancipé. / En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. / (...) Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l'enfant n'a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n'a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l'autorité judiciaire en vue de l'application de l'article 375-5 du code civil ".

5. Aux termes de l'article L. 221-2-4 du code de l'action sociale et des familles : " I. -Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence. / II. -En vue d'évaluer la situation de la personne mentionnée au I et après lui avoir permis de bénéficier d'un temps de répit, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. / L'évaluation est réalisée par les services du département. Dans le cas où le président du conseil départemental délègue la mission d'évaluation à un organisme public ou à une association, les services du département assurent un contrôle régulier des conditions d'évaluation par la structure délégataire. / (...) / Il statue sur la minorité et la situation d'isolement de la personne, en s'appuyant sur les entretiens réalisés avec celle-ci, sur les informations transmises par le représentant de l'Etat dans le département ainsi que sur tout autre élément susceptible de l'éclairer. / (...) / V.- Les modalités d'application du présent article, notamment des dispositions relatives à la durée de l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I et au versement de la contribution mentionnée au IV, sont fixées par décret en Conseil d'Etat ". L'article R. 221-11 du même code dispose que : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II. - Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (...) / IV. - Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L. 222-5 et R. 223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin ". L'article R. 223-2 du même code dispose que les décisions de refus de prise en charge sont motivées et mentionnent les voies et délais de recours.

6. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants ou par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

7. Il en résulte également que, lorsqu'il est saisi par un mineur d'une demande d'admission à l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental peut seulement, au-delà de la période provisoire de cinq jours prévue par l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, décider de saisir l'autorité judiciaire mais ne peut, en aucun cas, décider d'admettre le mineur à l'aide sociale à l'enfance sans que l'autorité judiciaire l'ait ordonné. L'article 375 du code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que soient prononcées, le cas échéant, les mesures d'assistance éducative que sa situation nécessite. Lorsque le département refuse de saisir l'autorité judiciaire à l'issue de l'évaluation mentionnée au point 5 ci-dessus, au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département.

8. Il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d'enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire.

9. Enfin, selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

10. Pour rejeter la demande dont il était saisi, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a constaté que la Ville de Paris avait refusé de prendre en charge M. A... eu égard, d'une part, à l'absence de repères temporels croisés permettant de le rattacher à l'âge déclaré dans ses propos concernant sa famille et son quotidien et, d'autre part, au manque de clarté dans le récit de son parcours migratoire quant à son financement, aux motivations et aux raisons de son départ de son pays d'origine. Si M. A... fait valoir que l'appréciation de sa minorité par la maire de Paris est manifestement erronée, il se borne à reprendre en appel son argumentation de première instance qui, compte tenu de l'ensemble du dossier, a été écartée à bon droit par le juge des référés du tribunal administratif de Paris. Dans ces conditions, comme l'a relevé le juge des référés du tribunal administratif de Paris, il n'apparaît pas que la Ville de Paris n'aurait pas satisfait aux obligations qui lui incombaient et aurait porté, dans les circonstances de l'espèce et dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il est ainsi manifeste que l'appel de M. A... ne peut être accueilli.

11. Il y a lieu, par suite, de rejeter la requête de M. A... selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris ses conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sans qu'il y ait lieu d'admettre l'intéressé au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B....

Fait à Paris, le 23 janvier 2024

Signé : Fabien Raynaud


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 490445
Date de la décision : 23/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 jan. 2024, n° 490445
Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:490445.20240123
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