Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 5 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société PFS Card Services Ireland Limited (PCSIL) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 21 décembre 2023 par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a temporairement interdit à sa succursale établie en France d'ouvrir de nouveaux comptes ;
2°) de mettre à la charge de l'ACPR la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision contestée, qui, quoique temporaire, ne pourra pas être retirée par l'ACPR avant plusieurs mois, crée des effets graves, immédiats et irréversibles sur sa viabilité économique à brève échéance ainsi que sur celle de ses distributeurs ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision contestée n'est ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée dès lors que, en premier lieu, le collège de supervision de l'ACPR n'a pris en considération ni les efforts qu'elle a entrepris pour se conformer au cadre juridique applicable, ni la mesure restrictive déjà prononcée à son égard par la Banque centrale d'Irlande, en deuxième lieu, la mesure prise est plus sévère que celles prises à l'égard d'autres opérateurs en cas de défaillances, en troisième lieu, une mesure moins restrictive aurait pu être adoptée pour prévenir l'atteinte invoquée à l'ordre public financier et, en dernier lieu, l'interdiction d'ouvrir de nouveaux comptes en France, en ce qu'elle vise, par sa nature, à protéger les intérêts privés de la clientèle, ne relève pas de la protection de l'intérêt public qui justifie l'exercice par l'ACPR des pouvoirs qui lui sont confiés en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, l'article L. 561-36-1 du code monétaire et financier dispose : " II. - L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution veille au respect des dispositions des chapitres Ier et II du présent titre et des dispositions réglementaires prises pour leur application, des dispositions européennes directement applicables en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, y compris les normes techniques de règlementation prises en application de la directive 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, ainsi que des règlements européens portant mesures restrictives pris en application des articles 75 ou 215 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. / III. - Pour assurer le respect des dispositions mentionnées au II, elle peut / (...), lorsqu'elle constate des insuffisances caractérisées du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, un grave défaut de vigilance, une carence sérieuse dans l'organisation du dispositif ou des procédures de contrôle ou une exposition non maitrisée au risque en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, prendre les mesures conservatoires prévues aux 1° à 3°, 5°, 6°, 11° et 12° du I de l'article L. 612-33, ainsi que celles prévues au 2° du II de l'article L. 561-33 ".
3. D'autre part, l'article L. 612-33 du même code prévoit : " I - Lorsque la solvabilité ou la liquidité d'une personne soumise au contrôle de l'Autorité ou lorsque les intérêts de ses clients, assurés, adhérents ou bénéficiaires, sont compromis ou susceptibles de l'être, ou lorsque les informations reçues ou demandées par l'Autorité pour l'exercice du contrôle sont de nature à établir que cette personne est susceptible de manquer dans un délai de douze mois aux obligations prévues par le règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ou, le cas échéant, par le règlement (UE) 2019/2033 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019, par une disposition des titres Ier et III du livre V ou d'un règlement pris pour son application ou par toute autre disposition législative ou réglementaire dont la méconnaissance entraîne celle des dispositions précitées, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution prend les mesures conservatoires nécessaires. / Elle peut, à ce titre : (...) / 3° Limiter ou interdire temporairement l'exercice de certaines opérations ou activités par cette personne, y compris l'acceptation de primes ou dépôts ".
Sur la requête en référé :
4. Il ressort des pièces du dossier que la succursale française de la société PCSIL, établissement de monnaie électronique de droit irlandais, a fait l'objet, du 9 juin au 13 octobre 2022, d'un contrôle sur place diligenté par l'ACPR qui a donné lieu à l'établissement d'un rapport de contrôle signé le 5 juin 2023. Sur la base de ce rapport, le collège de supervision de l'ACPR, après avoir ouvert le 23 octobre 2023 une procédure contradictoire à l'égard de la succursale française de la société PCSIL, a décidé le 21 décembre 2023 d'interdire à celle-ci à titre temporaire, en application des dispositions citées ci-dessus du code monétaire et financier, d'ouvrir de nouveaux comptes aussi longtemps qu'elle n'aura pas justifié avoir effectivement pris les mesures correctives nécessaires pour disposer d'un dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme conforme à la réglementation applicable. La société PCSIL demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette décision.
5. Pour soutenir que la mesure prise à son égard n'est ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée, la société PCSIL, qui ne conteste ni les défaillances relevées ni l'incomplétude de sa mise en conformité, se borne, outre des développements très généraux sur les efforts qu'elle a entrepris et sur les mesures moins restrictives qui auraient pu lui être imposées ou qui ont pu être prises à l'égard d'autres opérateurs défaillants, à faire valoir qu'elle fait par ailleurs l'objet d'une mesure prise par la Banque centrale d'Irlande qui restreint déjà son volume d'activité jusqu'au 30 mars 2024. Cette circonstance, d'ailleurs prise en compte par la décision attaquée, ne saurait cependant suffire à remettre en cause la légalité d'une mesure prise par l'ACPR sur la base de ses propres constats, au titre seulement de l'activité en France, et pour une période de temps distincte. Par ailleurs, la circonstance que la mesure prise viserait à protéger les intérêts de la clientèle potentielle de l'établissement n'est pas de nature à remettre en cause la justification de la mesure prise par l'intérêt général que revêt la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
6. Il résulte de ce qui précède qu'il est manifeste que les moyens soulevés par la requête ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée du 21 décembre 2023. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'urgence, il y a lieu de rejeter la requête selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société PFS Card Services Ireland Limited est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société PFS Card Services Ireland Limited.
Fait à Paris, le 12 janvier 2024
Signé : Jean-Philippe Mochon