La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/12/2023 | FRANCE | N°490438

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 29 décembre 2023, 490438


Vu la procédure suivante :



M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle et, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de prendre toutes mesures pour suspendre l'exécution de la décision du préfet de la Vienne portant fixation du pays à destination duquel il sera renvoyé et, notamment, d'enjoindre à l'autorité préfectorale de suspendre toutes les diligences en vue de son éloignement vers la Russie. Par une ord

onnance n° 2306553 du 8 décembre 2023, le juge des référés du tribunal admi...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle et, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de prendre toutes mesures pour suspendre l'exécution de la décision du préfet de la Vienne portant fixation du pays à destination duquel il sera renvoyé et, notamment, d'enjoindre à l'autorité préfectorale de suspendre toutes les diligences en vue de son éloignement vers la Russie. Par une ordonnance n° 2306553 du 8 décembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a admis provisoirement M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de surseoir à statuer et de transmettre une question préjudicielle en interprétation et en validité selon la procédure d'urgence prévue par le règlement de la Cour de justice de l'Union européenne et de prendre les mesures provisoires nécessaires pour faire cesser l'atteinte en enjoignant au ministre de l'intérieur ou au préfet d'Indre-et-Loire de l'assigner à résidence sur le fondement de l'article L. 761-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

2°) à défaut, d'annuler l'ordonnance du 8 décembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Rennes ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et au préfet de la Vienne de suspendre l'exécution de la décision implicite de fixation du pays de renvoi ainsi que les diligences visant à son éloignement à destination de la Russie ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son appel est recevable ;

- le juge des référés du tribunal administratif a omis de se prononcer sur le moyen tiré de l'atteinte manifestement illégale portée à son droit au recours ;

- c'est à tort qu'il a jugé que, n'ayant plus la qualité de réfugié, il n'était en tout état de cause pas fondé à soutenir que la mise à exécution de la mesure d'expulsion dont il fait l'objet porterait une atteinte grave et manifestement illégale au principe de non refoulement ;

- une décision fixant le pays de destination a été implicitement adoptée ;

- la condition d'urgence est satisfaite, l'exécution de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet étant imminente ;

- cette décision viole le principe de non refoulement et il est exposé, en cas de retour en Russie, à un risque réel et actuel d'être soumis à des traitements inhumains et dégradants ;

- elle porte atteinte à son droit à un recours effectif, en l'absence de disposition garantissant le droit de rester sur le territoire national pendant l'examen d'un recours en annulation contre une décision d'expulsion et contre la mesure fixant le pays de destination.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Aux termes de l'article L. 522-3 de ce code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1. "

2. Il résulte de l'instruction menée par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes que M. B... A..., ressortissant russe d'origine tchéchène, né en 1992 et entré en France en 2007, qui s'était vu reconnaître la qualité de réfugié par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 5 octobre 2009, a été condamné le 16 novembre 2018 par le tribunal correctionnel de Paris à une peine d'emprisonnement ferme de six ans, assortie d'une peine de sûreté des deux tiers, pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, commis de courant 2014 au 31 mai 2016 sur le territoire national et, de manière indivisible, en Turquie, Syrie, Russie, Ukraine, Moldavie et Pologne. La Cour nationale du droit d'asile a, par un arrêt du 8 février 2022, qualifié ces faits, compte tenu de leur nature, de leur gravité et de leur dimension internationale, d'agissements contraires aux buts et principes des Nations unies, justifiant que l'intéressé soit exclu du bénéfice de la convention de Genève par application des dispositions du c) du F de son article 1er. M. A... a fait l'objet, le 20 novembre 2020, d'un arrêté portant expulsion du territoire français, ne fixant pas le pays de destination, pris par le préfet de la Vienne, qui lui a été notifié le 3 décembre suivant à l'issue de sa levée d'écrou. L'intéressé a été assigné à résidence à la même date puis placé en rétention administrative par arrêté du préfet d'Indre-et-Loire le 19 octobre 2023, une procédure contradictoire étant alors ouverte en vue de la fixation du pays de destination. Cette mesure de rétention administrative a été prolongée par le juge des libertés et de la détention les 21 octobre et 19 novembre 2023, puis de nouveau pour trente jours le 19 décembre 2023. Estimant qu'une décision fixant la Russie comme pays de destination avait été prise et était révélée par les démarches entreprises par l'administration, M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes de suspendre l'exécution de cette décision, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Il relève appel de l'ordonnance du 8 décembre 2023 par laquelle celui-ci a rejeté sa demande.

3. Pour rejeter la demande de M. A..., le juge des référés du tribunal administratif, qui a admis que l'existence de la décision fixant la Russie comme pays de destination pouvait être tenue pour révélée par les démarches entreprises auprès des seules autorités consulaires de Russie en France et du gouvernement russe, par le biais de l'ambassade de France en Russie, s'est fondé, d'une part, sur le fait que M. A... ne pouvait se prévaloir du bénéfice du principe de non refoulement posé par l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 dès lors qu'il avait été exclu de la qualité de réfugié en application du F de l'article 1er de cette convention, c'est-à-dire du fait qu'il s'était rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, et, d'autre part, qu'il n'était pas établi qu'il risquait, en cas de retour en Russie, du fait du statut de déserteur qui serait actuellement le sien ou des opinions politiques qui lui seraient imputées, d'être soumis à la torture, à la peine de mort ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

4. M. A... n'apporte, en appel, aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation ainsi portée par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, lequel a en outre, contrairement à ce qui est soutenu, répondu au moyen tiré par l'intéressé de l'atteinte qui serait portée à son droit au recours. En particulier, le juge des référés du tribunal administratif a, à bon droit, jugé que l'intéressé ne pouvait se prévaloir du bénéfice des stipulations de la convention de Genève dès lors qu'il avait perdu la qualité de réfugié, et non pas seulement le statut de réfugié comme il l'affirme, de sorte qu'il ne peut utilement soutenir qu'une atteinte grave et manifestement illégale serait portée aux droits qu'il tiendrait de cette convention, y compris dans leur aspect procédural. M. A... ne saurait par ailleurs sérieusement soutenir, alors qu'il a précisément saisi à cette fin le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative pour faire valoir le risque qu'il soit soumis à un traitement inhumain ou dégradant en cas de retour en Russie et les différents droits rappelés au point précédent, qu'il serait porté à son droit au recours une atteinte grave et manifestement illégale faute de voie de droit permettant d'obtenir la suspension de l'exécution d'une décision d'expulsion ou d'une mesure fixant le pays de destination.

5. Il résulte de tout ce qui précède qu'il est manifeste que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du 8 décembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Rennes. Il en résulte que sa requête doit être rejetée par application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, sans qu'il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne quant à l'existence d'un droit au recours conforme au droit de l'Union européenne s'agissant des mesures de préparation de l'exécution d'une décision de retour, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A....

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Paris, le 29 décembre 2023

Signé : Gaëlle Dumortier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 490438
Date de la décision : 29/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2023, n° 490438
Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:490438.20231229
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award