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28/12/2023 | FRANCE | N°490469

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 28 décembre 2023, 490469


Vu la procédure suivante :

M. C... D... B... a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 10 novembre 2023, notifié le 11 décembre 2023, prononçant son expulsion du territoire français et lui retirant son titre de séjour ainsi que la suspension de l'exécution de l'arrêté du 27 novembre 2023 fixant la Russie comme pays de renvoi et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin, sinon au minist

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Vu la procédure suivante :

M. C... D... B... a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 10 novembre 2023, notifié le 11 décembre 2023, prononçant son expulsion du territoire français et lui retirant son titre de séjour ainsi que la suspension de l'exécution de l'arrêté du 27 novembre 2023 fixant la Russie comme pays de renvoi et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin, sinon au ministre de l'intérieur et des outre-mer, d'examiner sa demande de renouvellement de sa carte de résident et de lui délivrer, à titre provisoire, dans un délai d'un mois, à défaut de réception de l'ordonnance à intervenir, une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2328980 du 22 décembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 26 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 22 décembre 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

2°) de suspendre l'exécution des arrêtés des 10 et 27 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin, sinon au ministre de l'intérieur et des outre-mer, de recevoir et d'instruire sa demande de renouvellement de carte de résident et de la lui délivrer à titre provisoire, et ce dans le délai d'un mois après la réunion des pièces requises, à défaut de lui remettre à réception de l'ordonnance à intervenir une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, dans le même délai, le tout sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros hors taxes, soit 3 000 euros toutes taxes comprises, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les arrêtés contestés sont exécutoires et qu'il est actuellement placé en centre de rétention ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et familiale, à l'intérêt supérieur de l'enfant ainsi qu'au droit à la vie et à l'intégrité physique et psychique ;

- les conditions de l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, nécessaires à l'édiction d'une décision d'expulsion, ne sont pas satisfaites dès lors que, en premier lieu, les faits retenus à son encontre afin de caractériser l'existence d'une menace d'une exceptionnelle gravité à l'ordre public sont fondés sur une note de renseignement insuffisante à elle seule pour les établir, laquelle relate davantage les agissements d'autrui que les siens et comporte des allégations vagues et peu probantes ne permettant pas d'identifier un comportement lié à des activités à caractère terroriste, en deuxième lieu, il n'adhère pas à l'idéologie pro-djihadiste et n'a pas de lien avec des personnes liées à une organisation terroriste, contrairement à ce qui est allégué et extrapolé, sans être étayé, par les services de renseignement, en troisième lieu, il n'est pas véridique d'affirmer qu'il jouerait un rôle de référent religieux au sein de la communauté tchétchène et cette allégation n'est assortie d'aucune précision et, en dernier lieu, il n'est pas responsable des actions commises par son entourage ;

- la charge de la preuve des faits qui lui sont reprochés par les services de renseignement leur incombe et ne peut donc peser sur lui ;

- la décision d'expulsion n'a pas été précédée d'une saisine préalable pour avis de la commission d'expulsion et aucune situation d'urgence absolue ne justifiait cette abstention, ce qui méconnaît les articles L. 632-1 et L. 632-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui l'a privé du bénéfice d'une garantie procédurale participant au respect de son droit à la vie privée et familiale ;

- la mesure contestée est manifestement disproportionnée eu égard à l'ancienneté de sa résidence en France et à ses attaches familiales sur ce territoire, sa participation à l'éducation de ses enfants ainsi que son insertion sociale et professionnelle ;

- la procédure d'élaboration de l'arrêté du 27 novembre 2023 fixant le pays de destination duquel il sera expulsé n'a pas été menée de façon contradictoire, en méconnaissance de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- l'exécution de l'arrêté du 27 novembre 2023 l'expose à des traitements inhumains et dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France : " l'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public ". Elle doit cependant prendre en compte les conditions propres aux étrangers mentionnés à l'article L. 631-3 du même code, notamment lorsque l'étranger justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ou réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans. Il ne peut, selon cet article, " faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste (...) ".

3. M. B..., de nationalité russe, né le 18 décembre 1993 à Grozny, est arrivé en France en 2004 à l'âge de 11 ans en qualité de mineur accompagnant sa mère, laquelle a été admise au statut de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) en 2008. Il a été maintenu au statut de réfugié à sa majorité par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 18 septembre 2013. Toutefois, ayant été informé, par un courrier de la direction générale des étrangers en France (DGEF) auquel était jointe une note blanche des services de renseignement, que M. B... s'était rendu en Fédération de Russie du 8 août 2019 au 27 septembre 2019 muni d'un passeport russe n° 76HP1439898 arrivant à expiration le 26 août 2029, l'OFPRA a mis fin au statut de réfugié de l'intéressé par une décision du 21 avril 2023, confirmée le 28 juillet 2023 par la CNDA. M. B... fait appel de l'ordonnance du 22 décembre 2023 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que soit ordonné la suspension de l'exécution de l'arrêté du 10 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer, notifié le 11 décembre 2023, prononçant son expulsion en urgence absolue du territoire français et de l'arrêté du 27 novembre 2023 fixant la Russie comme pays de destination.

4. Pour rejeter la demande de M. B..., la juge des référés du tribunal administratif de Paris a relevé qu'il s'était fait remarquer très défavorablement pour son adhésion aux thèses islamistes radicales et son réseau relationnel pro-djihadiste, notamment, sa proximité avec l'entourage immédiat du terroriste Chérif A..., auteur de l'attentat du marché de Noël à Strasbourg en décembre 2018, notamment du frère de ce dernier, Sami A..., connu pour sa radicalisation ; qu'il avait également fréquenté un groupe d'individus acquis à l'idéologie pro-djihadiste et évoluant dans l'environnement de la famille A..., dont une personne condamnée le 7 février 2019 par le tribunal de grande instance de Strasbourg à une peine de huit mois d'emprisonnement, dont quatre mois fermes, pour des faits de recel d'apologie du terrorisme, confirmée le 16 octobre 2019 par la cour d'appel de Colmar ainsi que d'autres individus signalés pour leur relationnel pro-djihadiste, notamment Khassanbek Tourchalaev qui a fait l'objet d'une condamnation le 9 novembre 2019 par la cour d'assise de Paris à une peine de dix années d'emprisonnement criminel, assortie d'une période de sûreté des deux-tiers, pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme ; qu'il a participé en 2020 à une manifestation de soutien à l'immam Mohammed Alashram, figure de la mouvance pro-djihadiste qui s'est fait retirer son statut de réfugié par une décision de la CNDA notifiée le 11 avril 2022 ; que, lors de la perquisition à son domicile, en juin 2021, un chant islamiste et des photographies représentant des individus levant leur index vers le ciel ont été retrouvés sur les supports numériques de M. B.... La juge des référés en a déduit que, en estimant, au regard de l'ancienneté et de l'actualité des liens de M. B... avec la mouvance pro-djihadiste et des individus condamnés pour des faits d'apologie du terrorisme ou ayant commis des actes terroristes ainsi qu'au contexte actuel de menace terroriste extrêmement élevée, que le comportement de l'intéressé était de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat ou pouvait être regardé comme étant en lien avec des activités à caractère terroriste justifiant son expulsion en urgence absolue, le ministre n'avait pas fait une application manifestement erronée des dispositions citées au point 2 ni porté une atteinte manifestement disproportionnée au droit de M. B... au respect de son intégrité physique ni de sa vie privée et familiale ni à l'intérêt supérieur de ses enfants.

5. Aucune des pièces produites par M. B... en appel n'est de nature à infirmer la décision de la juge des référés de première instance. Par ailleurs, M. B... dont il est constant qu'il a volontairement sollicité et obtenu un passeport de la Fédération de Russie en 2019, ce qui est de nature à attester, d'une part, de l'existence d'attaches fortes avec ce pays et, d'autre part, qu'il n'avait plus de raisons valables, fondées sur une crainte justifiée, de ne pas se réclamer de la protection de celui-ci, n'apporte toujours pas en appel d'élément de nature à établir qu'il serait personnellement et actuellement exposé à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans ce pays.

6. Il résulte de ce qui précède qu'il est manifeste que l'appel de M. B... ne peut être accueilli. Il y a donc lieu de rejeter sa requête, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C... D... B....

Fait à Paris, le 28 décembre 2023

Signé : Fabien Raynaud


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 490469
Date de la décision : 28/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2023, n° 490469
Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:490469.20231228
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