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22/12/2023 | FRANCE | N°489926

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 22 décembre 2023, 489926


Vu la procédure suivante :

1° Sous le no 489926, par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 5, 12, 15 et 18 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations France Nature Environnement, Sea Shepherd France et Défense des milieux aquatiques demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution des dispositions suivantes de l'arrêté du 24 octobre 2023 du secrétaire d'Etat auprÃ

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Vu la procédure suivante :

1° Sous le no 489926, par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 5, 12, 15 et 18 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations France Nature Environnement, Sea Shepherd France et Défense des milieux aquatiques demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des dispositions suivantes de l'arrêté du 24 octobre 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, établissant des mesures spatio-temporelles visant la réduction des captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025, et 2026 :

- l'article 2, en tant qu'il limite le champ d'application de l'arrêté aux navires " d'une longueur hors tout supérieure ou égal à huit mètres " et qu'il n'y inclut pas l'utilisation des sennes coulissantes, danoises et pélagiques ;

- les 2 et 3 de l'article 4 ;

- l'article 7 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à l'association France Nature Environnement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le juge des référés du Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de leur requête ;

- leur requête est recevable dès lors que, d'une part, elles ont intérêt à agir eu égard à leurs objets sociaux et, d'autre part, elles produisent une copie de leur recours en excès de pouvoir contre l'arrêté du 24 octobre 2023, introduit devant le Conseil d'Etat le 5 décembre 2023 ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'exécution des dispositions contestées de l'arrêté attaqué, qui sont susceptibles de priver de toute efficacité la mesure de fermeture du 22 janvier au 20 février 2024, pendant la période de pic de mortalité par capture accessoire des dauphins communs, des grands dauphins et des marsouins communs, porte une atteinte grave et immédiate à la conservation de ces espèces protégées, les mesures prises n'ayant aucune chance de permettre de réduire la mortalité à un niveau qui ne compromettrait pas cette conservation ;

- l'urgence est également justifiée, en l'absence d'action pour réduire efficacement la mortalité des petits cétacés, par l'aggravation du préjudice écologique et du préjudice moral dont elles ont demandé la réparation devant le juge administratif ;

- les mesures d'aide qui bénéficient aux navires équipés de dispositifs acoustiques, dans la cadre d'une enveloppe de 6 millions d'euros, et l'indemnisation annoncée par France Agrimer, au titre de l'arrêt temporaire des activités de pêche, pour laquelle la Première ministre indique avoir déjà prévu un montant de 8 millions d'euros, permettront d'en réduire considérablement les conséquences socio-économiques défavorables pour les pêcheurs concernés, dont l'évaluation avancée n'est au demeurant justifiée par aucun élément probant produit dans les débats, alors qu'en cas de suspension des dispositions contestées, de nombreux navires polyvalents pourraient continuer à pêcher en utilisant des engins présentant de moindres risques ;

- les conséquences socio-économiques des mesures de fermeture doivent en outre être évaluées et tenant compte des effets bénéfiques des temps de repos biologiques sur la qualité et sur la quantité des captures à long terme ;

- l'urgence est enfin justifiée par le risque que la France soit condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne si la Commission européenne décide, à la suite de l'avis motivé qu'elle a rendu le 15 septembre 2022, d'engager une action en manquement au motif que les mesures prises ne répondent pas aux objectifs de réduction des captures accessoires ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées ;

- l'arrêté contesté, en ce qu'il prévoit de larges dérogations, qui permettent aux navires équipés de " pingers ", dont l'efficacité n'est pas démontrée, ou de caméras, aux navires de moins de huit mètres ainsi qu'à ceux utilisant des sennes coulissantes, danoises et pélagiques, de pêcher durant la période de fermeture de la pêche, ne permettra pas d'atteindre les objectifs de réduction de la mortalité des petits cétacés à un niveau qui ne compromette pas la conservation des espèces concernées, dans des conditions qui méconnaissent tant les injonctions prononcées par le Conseil d'Etat décision n°s 449788, 449849, 453700, 459153 du 20 mars 2023 que les objectifs de l'article 12, paragraphe 4 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992, dite directive " Habitats " ;

- l'exécution de l'article 7 de l'arrêté attaqué, qui abroge le dispositif de surveillance des captures de cétacés mis en place par les arrêtés du 29 décembre 2022 et du 31 janvier 2023, qui obligeait les armateurs de 100 navires fileyeurs à les équiper de caméras embarquées, doit être suspendue en conséquence de la suspension de l'exécution du 2 et du 3 de l'article 4 de l'arrêté attaqué, qui remplace cette obligation par un dispositif incitatif.

Par un mémoire en défense et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 8, 14, 15 et 18 décembre 2023, la Première ministre conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'a pas produit d'observations.

2° Sous le n° 489932, par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 5, 12, 15 et 18 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Ligue pour la protection des oiseaux demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des dispositions suivantes de l'arrêté du 24 octobre 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, établissant des mesures spatio-temporelles visant la réduction des captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025 et 2026 :

- l'article 2, en tant qu'il limite le champ d'application de l'arrêté aux navires " d'une longueur hors tout supérieure ou égal à huit mètres " et qu'il n'y inclut pas l'utilisation des sennes pélagiques et danoises ;

- le 1 de l'article 4 en ce qu'il permet aux armateurs, pour bénéficier des dérogations prévues au 2 et au 3, de se borner à s'engager à équiper leur navire de dispositifs techniques de réduction des captures accidentelles ou d'un système actif d'observation électronique à distance, sans associer ces deux catégories d'équipements ;

- les 2 et 3 de l'article 4 ;

- le 2 de l'article 5 en tant qu'il prévoit qu'" une dérogation pourra être accordée par la DDTM ou son représentant pour la reprise d'une activité de pêche dans une limite de cinq jours si l'armateur du navire apporte un justificatif d'impossibilité immédiate de réparation ou de remplacement d'un dispositif technique de réduction des captures accidentelles ou du système d'observation électronique à distance en défaillance ",

- le 5 de l'article 5 en tant qu'il n'inclut pas les espèces marines protégées autre que les mammifères marins dans l'analyse obligatoire des données acquises avant le 31 décembre 2026 ;

- l'article 7 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable dès lors que, d'une part, elle a intérêt à agir eu égard à son objet social et, d'autre part, elle produit une copie de son recours en excès de pouvoir contre l'arrêté du 24 octobre 2023, introduit devant le Conseil d'Etat le 5 décembre 2023 ;

- la condition d'urgence est satisfaite ;

- l'exécution de l'arrêté attaqué porte une atteinte grave et immédiate à la conservation d'espèces protégées, et ainsi aux intérêts défendus par l'association, en ce qu'elle permettra aux navires de pêche, pendant un hiver supplémentaire, d'échapper à la mise en œuvre de la mesure de fermeture spatio-temporelle définie à son article 3 et aux mesures de surveillance de ces captures mises en place par les arrêtés du 22 décembre 2022 et du 31 janvier 2023, dans des conditions qui ne réduiront pas efficacement l'impact de la pêche à l'aide d'engins non sélectifs (chaluts, filets, sennes) sur les petits cétacés, et contribueront à la poursuite de captures accidentelles provoquant une mortalité d'origine anthropique largement supérieure au taux au-delà duquel il existe un risque important d'atteinte à la conservation de ces espèces ;

- l'intérêt public commande que soient prises les mesures pour faire cesser l'atteinte au droit de l'Union européenne résultant de cette situation, qui a donné lieu à un avis motivé de la Commission européenne, et qui pourrait entraîner une action en manquement et la condamnation de l'Etat à payer une somme largement supérieure à l'indemnisation des pêcheries ;

- les mesures d'aide qui bénéficient aux navires équipés de dispositifs acoustiques et l'indemnisation annoncée par France Agrimer, au titre de l'arrêt temporaire des activités de pêche, qu'il appartient à l'Etat de mettre en place, permettront d'en réduire considérablement les conséquences socio-économiques pour les pêcheurs concernés, dont l'évaluation avancée par l'administration n'est au demeurant justifiée par aucun élément probant produit dans les débats ;

- l'impossibilité d'assurer une fermeture effective de la pêche pendant la période de risque fort ne saurait être justifiée par la seule carence de l'Etat à assurer une indemnisation rapide, intégrale et efficace des pêcheries ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées ;

- les dispositions de l'article 2 de l'arrêté contesté méconnaissent les exigences qui découlent de l'article 12 de la directive Habitats, transposées dans le code de l'environnement, ainsi que le principe de précaution, sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, et méconnaissent l'injonction prononcée par le Conseil d'Etat, d'une part, en tant qu'elles limitent son champ d'application aux navires " d'une longueur hors tout supérieure ou égal à huit mètres ", alors qu'il n'est pas établi que les activités de pêche des navires de moins de huit mètres présenteraient un moindre risque de capture accidentelle de petits cétacés, et qu'elles n'y incluent pas l'utilisation des sennes pélagiques, responsables d'une forte proportion de ces captures, ni celle des sennes danoises, pour lesquelles les données disponibles ne permettent pas de conclure de façon certaine à l'absence d'un tel risque ;

- le 1 de l'article 4 de l'arrêté contesté, en ce qu'il permet aux armateurs de choisir entre la mise en place de dispositifs techniques de réduction des captures accidentelles et l'installation d'un système actif d'observation électronique à distance, méconnaît, d'une part, les obligations qui découlent de l'article 12 de la directive Habitats, dès lors que l'efficacité des premiers ne peut être vérifiée que grâce à la présence des seconds, et que cette alternative amoindrit le système d'observation des captures accessoires, d'autre part, les injonctions prononcées par le Conseil d'Etat, qui imposent d'associer les mesures de réduction des prises accessoires à un système effectif de contrôle de ces prises, et enfin, l'arrêté du 26 décembre 2019 portant obligation d'équipement de dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne, qui impose à tous les navires concernés d'être équipés de tels dispositifs ;

- le 2 de l'article 4 de l'arrêté contesté, qui instaure pour l'année 2024 une dérogation générale aux bénéfice des navires équipés de dispositifs de réduction des captures accidentelles ou de caméras embarquées, prive la période de fermeture de la pêche de son effet utile, alors, d'une part, que les chalutiers ont l'obligation de s'équiper des premiers en application de l'arrêté du 26 décembre 2019 modifié, et que certains fileyeurs ont l'obligation de s'équiper de ces dispositifs ou de caméras en application de l'arrêté du 31 janvier 2023 ou au titre du règlement (UE) n° 2019/1241, d'autre part, que l'utilisation des dispositifs de réduction des captures, dont l'efficacité n'est pas démontrée, doit être combinée avec une période de fermeture et non se substituer à elle, et qu'un simple système d'observation électronique ne saurait en tout état de cause être assimilable à un dispositif de réduction des captures, et enfin, que les mesures ainsi envisagées ressemblent aux scénarios I et K du CIEM, qui ne permettent pas de réduire le nombre des captures accidentelles en-deçà du niveau maximal compatible avec un état de conservation favorable (PBR), méconnaît les dispositions des règlements européens sur la pêche et du code rural et de la pêche maritime sur les mesures techniques destinées à réduire les captures accessoires d'espèce protégées, les obligations qui découlent de l'article 12 de la directive Habitats, le principe de prévention et la portée des injonctions prononcées par le Conseil d'Etat, et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- en maintenant un risque d'atteinte aux objectifs de conservation des sites Natura 2000 contenus dans le périmètre d'application de l'arrêté, cette mesure méconnaît en outre les articles L. 414-1 et L. 414-4 du code de l'environnement ;

- le 3 de l'article 4, en permettant aux navires dont les armateurs se sont engagés à s'équiper, mais qui ne peuvent effectivement le faire avant le 15 janvier 2024, d'aménager une partie de la période de fermeture, est de nature à accentuer ces effets, en réduisant le nombre des navires qui seront soumis à la fermeture prévue par l'article 3 à une infime minorité ;

- il en va de même du 2 de l'article 5, qui permettra aux navires justifiant d'une impossibilité immédiate de remplacement ou de réparation de ces équipements de bénéficier sur demande d'une dérogation de cinq jours ;

- le 5 de l'article 5 de l'arrêté contesté, en ce que, jusqu'au 31 décembre 2026, il n'inclut pas dans l'analyse obligatoire des données de capture accidentelle les espèces maritimes protégées autres que les mammifères marins, est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les articles 12 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 et 5 de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil, qui imposent de mettre en place un système de contrôle de ces captures accidentelles ;

- l'article 7 de l'arrêté contesté, dès lors qu'il abroge les arrêtés du 29 décembre 2022 et du 31 janvier 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, qui concouraient au renforcement du système de surveillance des captures accessoires, sans que ne soient prévues des mesures de substitution suffisantes, méconnaît le cadre juridique des mesures techniques de protection, les obligations qui découlent de l'article 12 de la directive Habitats et l'injonction du Conseil d'Etat relative aux mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de ces captures, et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 8, 14, 15 et 18 décembre 2023, la Première ministre conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'a pas produit d'observations.

3° Sous le n° 489949, par une requête, enregistrée le 5 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Sea Shepherd France présente au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative les mêmes conclusions tendant à la suspension de l'exécution de certaines dispositions de l'arrêté du 24 octobre 2023 que celles présentées dans la requête susvisée n° 489926, et lui demande de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle présente au soutien de ces conclusions des moyens identiques.

Par un mémoire en défense et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 8, 14, 15 et 18 décembre 2023, la Première ministre conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;

- le règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 ;

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;

- la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil ;

- le code de l'environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les associations France Nature Environnement, Sea Shepherd France, Défense des milieux aquatiques ainsi que Ligue pour la protection des oiseaux et, d'autre part, la Première ministre et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 12 décembre 2023, à 15 heures :

- Me Sebagh, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Sea Shepherd France ;

- les représentants de l'association France Nature Environnement ;

- les représentants de l'association Ligue pour la protection des Oiseaux ;

- la représentante de l'association Sea Shepherd France ;

- les représentants de la Première ministre ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 14 décembre à 17 heures, puis au 18 décembre à 18 heures ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Les requêtes susvisées présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le cadre juridique :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche (PCP), qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment, d'une part, " applique l'approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l'exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d'obtenir le rendement maximal durable ", et d'autre part " met en œuvre l'approche écosystémique de la gestion des pêches afin de faire en sorte que les incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin soient réduites au minimum ". L'article 6 de ce règlement prévoit qu'aux fins de la réalisation des objectifs énoncés à l'article 2, l'Union européenne adopte des mesures de conservation dont la nature est précisée aux articles 7 et suivants. L'article 19 de ce règlement permet en outre à chaque Etat membre d'" adopter des mesures pour la conservation des stocks halieutiques dans les eaux de l'Union " à la triple condition que ces mesures " a) s'appliquent uniquement aux navires de pêche battant son pavillon ou, dans le cas d'activités de pêche qui ne sont pas menées par un navire de pêche, à des personnes établies sur cette partie de son territoire auquel le traité s'applique; / b) soient compatibles avec les objectifs énoncés à l'article 2; / c) soient au moins aussi strictes que les mesures existantes en vertu du droit de l'Union ".

4. Le règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques prescrit des mesures techniques de protection. L'article 3 de ce règlement dispose que ces mesures techniques " contribuent notamment à la réalisation des objectif généraux suivants : / a) optimiser les diagrammes d'exploitation afin de protéger les regroupements de juvéniles et de reproducteurs des ressources biologiques de la mer ; / b) veiller à ce que les captures accidentelles d'espèces marines sensibles, y compris celles énumérées dans les directives 92/43/CEE et 2009/147/CE, imputables à la pêche, soient réduites au minimum et si possible éliminées de telle sorte qu'elles ne représentent pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces ". L'article 4 du même règlement dispose que " 1. Les mesures techniques visent à veiller à ce que : / a) les captures d'espèces marines inférieures à la taille minimale de référence de conservation soient réduites autant que possible conformément à l'article 2, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 1380/2013; / b) les captures accidentelles de mammifères marins, de reptiles marins, d'oiseaux de mer et d'autres espèces exploitées à des fins non commerciales ne dépassent pas les niveaux prévus dans la législation de l'Union et les accords internationaux qui lient l'Union (...) ".

5. S'agissant de la protection des espèces protégées, et en particulier des mammifères marins, l'article 7 du règlement (UE) n°1380/2013 mentionne, parmi les mesures techniques énumérées au 2. : " (...) b) les spécifications applicables à la construction des engins de pêche, y compris : (...) / ii) les modifications ou les dispositifs additionnels visant à réduire la capture accidentelle d'espèces en danger, menacées ou protégées (...) ; (...) e) les mesures spécifiques destinées à réduire au minimum les incidences négatives des activités de pêche sur la biodiversité marine et les écosystèmes marins, y compris les mesures visant à éviter et à réduire, dans la mesure du possible, les captures indésirées ". L'article 11 du règlement (UE) 2019/1241 dispose que : " 1. La capture, la détention à bord, le transbordement ou le débarquement des mammifères marins ou des reptiles marins visés aux annexes II et IV de la directive 92/43/CEE et des espèces d'oiseaux de mer couvertes par la directive 2009/147/CE sont interdits. (...) 4. Sur la base des meilleurs avis scientifiques disponibles, l'État membre peut, pour les navires battant son pavillon, mettre en place des mesures d'atténuation ou des restrictions relatives à l'utilisation de certains engins de pêche. Ces mesures réduisent au minimum et, si possible, éliminent les captures des espèces visées au paragraphe 1 du présent article et elles sont compatibles avec les objectifs énoncés à l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 et sont au moins aussi strictes que les mesures techniques applicables en vertu du droit de l'Union. / 5. Les mesures adoptées en application du paragraphe 4 du présent article visent à atteindre l'objectif spécifique établi à l'article 4, paragraphe 1, point b). Les États membres informent, à des fins de contrôle, les autres États membres concernés des dispositions adoptées conformément au paragraphe 4 du présent article. Ils rendent également publiques les informations appropriées concernant ces mesures ". En application de l'article 15 du règlement (UE) 2019/1241, l'annexe XIII définit les mesures techniques établies au niveau régional pour réduire les captures accidentelles de cétacés. Ces mesures incluent notamment, d'une part, l'interdiction aux navires d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 12 mètres d'utiliser certains engins de pêche, notamment le filet maillant de fond ou le filet emmêlant, sans que soient utilisés simultanément des dispositifs de dissuasion acoustique dans certaines zones de pêche dites " zones CIEM ". Cette obligation ne s'applique toutefois pas dans la sous-zone CIEM 8, qui correspond au golfe de Gascogne. Ces mesures incluent aussi, d'autre part, la mise en place, y compris dans cette sous-zone CIEM 8, de " programmes de surveillance (...) menés chaque année pour les navires d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 15 mètres battant leur pavillon, en vue de contrôler les captures accessoires de cétacés, dans les pêcheries " utilisant des chaluts pélagiques simples et doubles et des chaluts à grande ouverture verticale.

6. L'article L. 911-2 du code rural et de la pêche maritime dispose que " la politique des pêches maritimes, de l'aquaculture marine et des activités halio-alimentaires a pour objectifs, en conformité avec les principes et les règles de la politique commune des pêches et dans le respect des engagements internationaux : / 1° De permettre d'exploiter durablement et de valoriser le patrimoine collectif que constituent les ressources halieutiques auxquelles la France accède, (...) dans le cadre d'une approche écosystémique afin de réduire au minimum les incidences négatives sur l'environnement ". Pour la mise en œuvre de cette politique et sur le fondement de l'article L. 922-1 du même code, le II de son article D. 922-1 prévoit que pour les espèces dont la pêche " est soumise à des totaux admissibles de captures (TAC) ou à un poids ou à une taille minimale de capture et de débarquement fixés par la réglementation européenne ", le ministre chargé des pêches maritimes " peut fixer par un arrêté applicable aux seuls navires battant pavillon français et aux pêcheurs à pied professionnels un poids ou une taille minimale de capture et de débarquement supérieur à celui prévu par la réglementation européenne, en tenant compte :/ 1° Des moyens à mettre en œuvre pour garantir une gestion durable des stocks, notamment en vue d'obtenir le rendement maximum durable (RMD) ; / 2° Des orientations du marché ; /3° Des équilibres socio-économiques ". Pour les autres espèces, le III du même article prévoit que " lorsqu'une bonne gestion de l'espèce le rend nécessaire, le ministre peut fixer par un arrêté applicable aux seuls navires battant pavillon français un poids ou une taille minimale de capture et de débarquement ". D'autres mesures techniques de protection peuvent être prises sur le fondement des dispositions du chapitre II du titre II du livre IX du même code, selon le cas, par arrêté du ministre chargé des pêches maritimes ou des autres autorités de l'Etat compétentes en vertu de son article R.* 911-3, ou par délibération du comité national ou des comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins rendue obligatoire dans les conditions définies à son article L. 921-2-1, telles notamment que des restrictions spatiales et temporelles ou une règlementation des engins et procédés de pêche.

7. En second lieu, l'article 2 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992, dite directive " Habitats ", prévoit que celle-ci " a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages " et que les mesures prises dans ce cadre " visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d'intérêt communautaire " et " tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales ". Le i) de l'article 1er de cette directive précise qu'un état de conservation est considéré comme favorable lorsque, notamment, " les données relatives à la dynamique de la population de l'espèce en question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient ". Aux termes de l'article 6 de cette directive, qui définit le régime applicable aux zones spéciales de conservation appartenant au réseau dénommé " Natura 2000 " abritant les habitats d'espèces figurant à l'annexe II de cette directive : " 1. Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d'autres plans d'aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques (...) des espèces de l'annexe II présents sur les sites. / 2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d'espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d'avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ". Aux termes de l'article 12 de cette même directive : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : a) toute forme de capture ou de mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (...) / 4. Les États membres instaurent un système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des espèces animales énumérées à l'annexe IV point a). Sur la base des informations recueillies, les États membres entreprennent les nouvelles recherches ou prennent les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur les espèces en question ". Le grand dauphin et le marsouin commun figurent parmi les espèces d'intérêt communautaire mentionnées à l'annexe II de cette directive. L'annexe IV concerne toutes les espèces de cétacés, dont le dauphin commun.

8. Aux termes de l'article L. 219-7 du code de l'environnement : " Le milieu marin fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, la conservation de sa biodiversité et son utilisation durable par les activités maritimes et littorales dans le respect des habitats et des écosystèmes marins sont d'intérêt général. / La protection et la préservation du milieu marin visent à : (...) / 3° Appliquer à la gestion des activités humaines une approche fondée sur les écosystèmes, permettant de garantir que la pression collective résultant de ces activités soit maintenue à des niveaux compatibles avec la réalisation du bon état écologique du milieu marin et d'éviter que la capacité des écosystèmes marins à réagir aux changements induits par la nature et par les hommes soit compromise, tout en permettant l'utilisation durable des biens et des services marins par les générations actuelles et à venir ". Aux termes de l'article L. 411-1 du même code : " I.- Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ". Aux termes de l'article L. 414-1 du même code : " I.- Les zones spéciales de conservation sont des sites marins et terrestres à protéger comprenant : (...) / -soit des habitats abritant des espèces de faune ou de flore sauvages rares ou vulnérables ou menacées de disparition ; / -soit des espèces de faune ou de flore sauvages dignes d'une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat ou des effets de leur exploitation sur leur état de conservation ; (...) / IV.- Les sites désignés comme zones spéciales de conservation et zones de protection spéciale par décision de l'autorité administrative concourent, sous l'appellation commune de " sites Natura 2000 ", à la formation du réseau écologique européen Natura 2000. / V.- Les sites Natura 2000 font l'objet de mesures destinées à conserver ou à rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation. Les sites Natura 2000 font également l'objet de mesures de prévention appropriées pour éviter la détérioration de ces mêmes habitats naturels et les perturbations de nature à affecter de façon significative ces mêmes espèces. / Ces mesures sont définies en concertation notamment avec les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements concernés ainsi qu'avec des représentants de propriétaires, exploitants et utilisateurs des terrains et espaces inclus dans le site. / Elles tiennent compte des exigences économiques, sociales, culturelles et de défense, ainsi que des particularités régionales et locales. Elles sont adaptées aux menaces spécifiques qui pèsent sur ces habitats naturels et sur ces espèces. Elles ne conduisent pas à interdire les activités humaines dès lors qu'elles n'ont pas d'effets significatifs sur le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable de ces habitats naturels et de ces espèces ". Aux termes du II bis de l'article L. 414-4 du même code : " Les activités de pêche maritime professionnelle s'exerçant dans le périmètre d'un ou de plusieurs sites Natura 2000 font l'objet d'analyses des risques d'atteinte aux objectifs de conservation des sites Natura 2000, réalisées à l'échelle de chaque site, lors de l'élaboration ou de la révision des documents d'objectifs mentionnés à l'article L. 414-2. Lorsqu'un tel risque est identifié, l'autorité administrative prend les mesures réglementaires pour assurer que ces activités ne portent pas atteinte aux objectifs de conservation du site, dans le respect des règles de la politique commune de la pêche maritime. Ces activités sont alors dispensées d'évaluation d'incidences sur les sites Natura 2000 ".

9. Pour la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement citées au point 8, un arrêté du 1er juillet 2011 de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire a fixé la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national et les modalités de leur protection. L'article 2 de cet arrêté, modifié par un arrêté du 3 septembre 2020, dispose que, pour les espèces visées, qui incluent le dauphin commun, le grand dauphin et le marsouin commun : " (...) sont interdits (...) dans les eaux marines sous souveraineté et sous juridiction [nationales], et en tout temps : I. - La destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement intentionnels incluant les prélèvements biologiques, la perturbation intentionnelle incluant l'approche des animaux à une distance de moins de 100 mètres dans les aires marines protégées mentionnées à l'article L. 334-1 du code de l'environnement, et la poursuite ou le harcèlement des animaux dans le milieu naturel. / Les activités de pêche maritime, définies par l'article L. 911-1 du code rural et de la pêche maritime, ne sont pas concernées par la limite d'approche des animaux lorsque cette approche est non intentionnelle et par l'interdiction de capture lorsque celle-ci est accidentelle au sens du règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 susvisé (...) ". L'article 4 de ce même arrêté, modifié par un arrêté du 6 septembre 2018, dispose que : " A des fins de connaissance scientifique, tout spécimen de mammifère marin capturé accidentellement dans un engin de pêche doit faire l'objet d'une déclaration par les capitaines de navires de pêches dans le journal de pêche électronique, dans les journaux de pêche papier ainsi que dans les fiches de pêche papier. L'utilisation de ces données à des fins de connaissance scientifique est réalisée dans un format ne permettant pas d'identifier la personne physique ou morale. Cette obligation s'applique (...) à bord des navires sous pavillon français, ainsi que des navires sous pavillon étranger qui se trouvent dans les eaux sous juridiction française ".

10. Il résulte de l'ensemble des dispositions citées aux points 2 à 8 que, lorsque les données disponibles font apparaître que, compte tenu des caractéristiques d'une pêcherie, des mesures techniques de protection, applicables aux seuls navires battant pavillon français, sont nécessaires et adéquates pour atteindre les objectifs énoncés par le droit de l'Union européenne et le droit national, il appartient aux autorités compétentes d'user du pouvoir qui leur est conféré d'instaurer des mesures techniques de protection.

11. En particulier, il résulte des dispositions des articles 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 " PCP " et des articles 3 et 4 du règlement (UE) 2019/1241, citées aux points 3 et 4, qu'il incombe à l'Etat de réduire au minimum et si possible éliminer les captures accidentelles d'espèces protégées imputables à la pêche, et des termes de l'article 12 de la directive 92/43/CEE " Habitats ", citées au point 7, qu'il lui appartient de prendre les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces espèces, au regard de l'objectif consistant à assurer leur maintien ou leur rétablissement dans un état de conservation favorable. Il résulte des dispositions de l'article 11 du règlement (UE) 2019/1241, citées au point 5, que l'Etat peut, sur la base des meilleurs avis scientifiques disponibles et pour les navires battant son pavillon, mettre en place, à cette fin, des mesures d'atténuation ou des restrictions relatives à l'utilisation de certains engins de pêche.

12. Ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 12 de la directive " Habitats " doit être interprété à la lumière du principe de précaution mentionné au paragraphe 2 de l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour apprécier la conformité aux objectifs qu'il définit des mesures adoptées. Celles-ci doivent, de même, s'inscrire dans l'approche de précaution et dans l'approche écosystémique en matière de gestion des pêches exigée par l'article 2 du règlement " PCP ". Il appartient également à l'Etat, lorsqu'il prend des mesures qui ne découlent pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l'Union européenne mais supposent l'exercice d'un pouvoir d'appréciation, de veiller au respect du principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement.

13. Dans ce cadre, il appartient aux autorités compétentes, en particulier lorsqu'elles sont saisies d'une demande de renforcement des mesures de protection existantes, de rechercher s'il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l'état des connaissances scientifiques, l'application du principe de précaution. Si cette condition est remplie, il leur incombe de veiller à ce que des procédures d'évaluation du risque identifié soient mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que des mesures de précaution soient prises.

14. Lorsqu'il est saisi d'un recours contestant le caractère suffisant de mesures de protection, il appartient au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier ce caractère de manière globale au regard des exigences rappelées aux points 10 à 13.

Sur le litige :

15. Sur le fondement des dispositions de l'article 11 du règlement (UE) 2019/1241 citées au point 5 et des dispositions du livre IX du code rural et de la pêche maritime mentionnées au point 6, d'une part, s'agissant des mesures de prévention des captures accidentelles, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a pris le 26 décembre 2019 un arrêté portant obligation d'équipement des dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne. L'article 2 de cet arrêté prévoyait qu'entre le 1er janvier et le 30 avril de chaque année, les navires français d'une longueur supérieure à 12 mètres pêchant au moyen d'un chalut pélagique (PTM, OTM, TM) dans le golfe de Gascogne devaient utiliser des dispositifs actifs de dissuasion acoustique afin de limiter l'entrée des cétacés dans les chaluts pélagiques. Un arrêté du 27 novembre 2020 de la ministre de la mer a rendu cette obligation applicable toute l'année, a supprimé le seuil de taille des navires et a ajouté aux métiers concernés les opérations de pêche au moyen d'un chalut démersal en paire (PTB). Un arrêté du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre chargé de la mer du 29 décembre 2022 a prévu l'expérimentation, à partir de fin 2023 et jusqu'en 2025, de dispositifs de dissuasion acoustique pour les navires sous pavillon français utilisant les filets maillants et emmêlants les plus actifs dans le golfe de Gascogne. D'autre part, s'agissant du dispositif de surveillance et de contrôle des captures accidentelles, outre l'obligation de déclaration prévue par les dispositions de l'arrêté du 1er juillet 2011 citées au point 9, dont la méconnaissance est passible de l'amende prévue à l'article L. 945-4 du code rural et de la pêche maritime, l'arrêté du 29 décembre 2022 mentionné ci-dessus dispose que cent navires parmi ceux concernés par l'expérimentation qu'il prévoit seront équipés de caméras embarquées, et deux arrêtés du ministre chargé de la mer du 27 décembre 2022 imposent aux navires de pêche français de plus de six mètres évoluant dans le golfe de Gascogne l'emport obligatoire d'une balise VMS (" Vessel Monitoring System ") permettant leur géolocalisation, ainsi qu'aux navires de plus de quinze mètres, de participer à un programme d'observation embarquée pour améliorer les connaissances sur les captures accidentelles. Un arrêté du 31 janvier 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre chargé de la mer, fixe la liste des navires soumis à l'obligation d'installation de chacune des catégories de dispositifs de dissuasion acoustique mentionnées par l'arrêté du 29 décembre 2022.

16. Il ressort de l'avis du conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) du 26 mai 2020, dont la méthodologie fondée sur le prélèvement biologique potentiel ou " Potential Biological Removal " (" PBR "), internationalement reconnue, n'est pas contestée par l'administration, que s'agissant du dauphin commun, le nombre maximal de décès par capture accidentelle compatible avec un état de conservation favorable est de l'ordre de 4 900 individus par an pour l'ensemble de la zone Atlantique Nord-Est, dans l'hypothèse la moins conservatoire, et de l'ordre de 3 700, 2 500 voire 1 000 individus par an dans des hypothèses correspondant à une approche de précaution, la commission chargée du suivi de la convention pour la protection de l'environnement marin de l'Atlantique Nord-Est (OSPAR) retenant pour sa part un objectif de moins de 985 captures accidentelles par an. Or, le nombre de décès par capture accidentelle imputable aux activités de pêche dans le seul golfe de Gascogne, tel qu'il peut être estimé à partir des données issues de l'observation des échouages sur les côtes françaises, d'une part, et des observations aériennes, d'autre part, se maintient depuis 2018 à des niveaux très supérieurs. Il ressort des estimations figurant dans les rapports de l'Observatoire Pelagis qu'il était, pour les dauphins communs, de l'ordre de 7 200 décès pour le seul hiver 2020 et de l'ordre de 6 800 décès pour le seul hiver 2021. Ces rapports soulignent que ces données ne portent que sur les mois de janvier à mars de chaque année, correspondant au pic des captures accidentelles et que les échouages observés le reste de l'année, notamment pendant les périodes estivales, sont en progression. La note de l'Observatoire Pelagis, en janvier 2023, indique qu'aucun élément ne permet de conclure à une diminution des mortalités en mer durant l'hiver 2022. Dans un nouvel avis publié le 24 janvier 2023, le CIEM a estimé, au vu des données disponibles pour 2019-2021, et d'une amélioration des modèles statistiques qui en permettent l'analyse, que le niveau des décès par capture accidentelle, qu'il avait dans son rapport de 2020, évalués à 6 600 par an sur la base des données issues de l'échantillonnage en mer, doit être réévalué à environ 9 000 par an sur la période concernée. L'inventaire national du patrimoine naturel (INPN) indique ainsi que l'état de conservation des espèces concernées dans la région marine atlantique est " défavorable mauvais " pour le marsouin commun et le dauphin commun, ce qui correspond à un danger sérieux d'extinction au moins régionalement, et " défavorable inadéquat ", c'est-à-dire qu'un changement dans la gestion ou les politiques en place est nécessaire pour que l'espèce retrouve un statut favorable, pour le grand dauphin.

17. En se fondant, d'une part, sur les éléments mentionnés au point 16 et, d'autre part, sur les avis du CIEM concluant à la nécessité, pour assurer la conservation des espèces concernées, de combiner l'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, dont le caractère suffisant n'est pas établi, avec des mesures de réduction de l'effort de pêche ou des mesures de fermeture spatiale et temporelle des pêcheries concernées, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, par sa décision n°s 449738, 449849, 453700, 459153 du 20 mars 2023 association France Nature Environnement et autres, annulé l'arrêté du 24 décembre 2020 de la ministre de la mer modifiant l'arrêté du 17 janvier 2019 relatif au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne en tant qu'il ne prévoit pas de mesures suffisantes de nature à réduire les incidences de la pêche au bar dans le golfe de Gascogne sur les petits cétacés, ensemble les décisions par lesquelles la ministre de la mer a refusé de prendre, d'une part, des mesures de protection complémentaires de nature à réduire les captures accidentelles de petits cétacés relevant d'espèces protégées dans le golfe de Gascogne et, d'autre part, des mesures complémentaires de nature à garantir l'efficacité du système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des mêmes espèces. Il a enjoint à l'Etat d'adopter, dans un délai de six mois à compter de la notification de sa décision, des mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces, en assortissant les mesures engagées ou envisagées en matière d'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que n'est pas établie leur suffisance pour atteindre cet objectif, sans porter atteinte dans des conditions contraires à celui-ci à l'accès des petits cétacés aux zones de nutrition essentielles à leur survie, de mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées. Cette même décision a également enjoint à l'Etat de mettre en œuvre, dans un délai de six mois à compter de sa notification, des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d'observation en mer, et de disposer d'éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires pour assurer que ces captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces espèces.

18. Par un arrêté du 24 octobre 2023, le secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, a interdit dans le Golfe de Gascogne, du 22 janvier au 20 février, pour les années 2024 à 2026, l'usage par les navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 8 mètres du chalut pélagique à panneaux (OTM), du chalut bœuf pélagique (PTB), du chalut bœuf de fond (PTB), du filet trémail (GTR) et du filet maillant calé (GNS), en assortissant cette mesure de plusieurs dérogations, notamment pour l'année 2024, et a abrogé les arrêtés du 29 décembre 2022 et du 31 janvier 2023 mentionnés au point 15. Les associations France Nature Environnement, Sea Shepherd France et Défense des milieux aquatiques, d'une part, et la Ligue pour la protection des oiseaux, d'autre part, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution des dispositions de l'article 2 de cet arrêté, en tant qu'elles limitent son champ d'application aux navires d'une longueur hors tout supérieure ou égale à huit mètres et qu'elles n'incluent pas les sennes coulissantes, danoises et pélagiques parmi les engins de pêche dont l'arrêté interdit l'usage, d'autre part des dispositions des 2 et 3 de l'article 4 et de l'article 7 de cet arrêté. La Ligue pour la protection des oiseaux demande en outre la suspension de l'exécution du 1 et l'article 4 de l'arrêté contesté en tant qu'il permet aux armateurs de s'engager alternativement à mettre en place des dispositifs techniques de réduction des captures accidentelles ou un système actif d'observation électronique à distance, du 2 de l'article 5 en tant qu'il prévoit qu'une dérogation pourra être accordée pour la reprise d'une activité de pêche dans la limite de 5 jours en cas d'impossibilité de réparation ou de remplacement de ces dispositifs et du 5 de l'article 5 en tant qu'il n'inclut pas d'autres espèces protégées dans l'analyse obligatoire des données acquises avant le 31 décembre 2026.

Sur l'existence de moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué :

19. Il résulte de l'instruction que le rapport du CIEM du 29 juin 2023, dans son évaluation des 15 scénarios initialement élaborés pour apprécier les possibilités de réduction de la mortalité en dessous du PBR mentionné au point 16, n'anticipe aucune réduction de la mortalité liée à l'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique des navires pêchant au moyen d'un chalut pélagique ou d'un chalut démersal en paire, dès lors que cette mesure, qui, prise isolément, correspond au scénario " K ", est déjà mise en œuvre dans toutes les pêcheries en France comme en Espagne. Parmi les scénarios qui associent la mise en place de ces dispositifs pour certains métiers (chaluts pélagiques, chaluts démersaux en paire) à une fermeture de la pêche limitée aux autres métiers, le CIEM estime que les scénarios " J " et " I ", qui reposent respectivement sur une fermeture de deux et quatre semaines à partir mi-janvier pour les autres métiers, ne permettraient qu'une réduction de 6 % et de 11 % des prises accessoires, avec une mortalité qui s'établirait, sur la base des données issues de l'échantillonnage en mer, à 5 585 et à 5 276 décès, soit des niveaux encore sensiblement supérieurs au PBR. Le scénario " G ", avec une fermeture de six semaines pour les autres métiers, permettrait en revanche, avec une réduction de 18 % des prises accessoires, de descendre légèrement en-deçà de ce seuil, à 4886 décès. Une fermeture étendue à l'ensemble des métiers à risque évalués dans ce rapport, y compris les chaluts pélagiques et démersaux en paire et les sennes pélagiques (code engin : PS), et indépendamment de leur équipement éventuel en dispositifs de dissuasion acoustique, permettrait selon les estimations du CIEM, si elle dure quatre semaines (scénario " E "), une diminution, de 17 % des prises accessoires et une réduction de la mortalité à 4 932 décès, soit un niveau proche du PBR, et si elle dure six semaines (scénario " D "), une diminution de 27 % des prises accessoires et une réduction de la mortalité à 4 340 décès.

En ce qui concerne l'article 2 de l'arrêté contesté :

20. Il résulte de l'instruction que le rapport du CIEM mentionné au point 19 estime que les sennes pélagiques ont été à l'origine d'environ 20 % des captures accidentelles de dauphins communs dans le Golfe de Gascogne entre 2019 et 2021. Ainsi, la mesure de fermeture de quatre semaines prévue par l'arrêté contesté, en excluant ces engins de pêche de son champ d'application, en réduit significativement le périmètre par rapport à la mesure, envisagée dans le scénario " E ", qui permettrait de se rapprocher du PBR. Dans ces conditions, compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 2 de l'arrêté attaqué, en tant qu'elles n'incluent pas l'utilisation des sennes pélagiques parmi les engins de pêche dont l'arrêté interdit l'usage, méconnaissent les exigences qui découlent de l'article 12 de la directive Habitats, transposées dans le code de l'environnement, ainsi que le principe de précaution, sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaissent la portée de l'injonction prononcée par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, dans sa décision du 20 mars 2023, d'adopter des mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces est, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions.

21. En revanche, en l'état de l'instruction, dont il résulte que la pêche au moyen de sennes danoises, comme la pêche par des navires d'une longueur de moins de huit mètres, représente une très faible part des tonnages de pêche pendant l'hiver au moyen d'engins à risque (chaluts et filets) dans le golfe de Gascogne, sans que les données disponibles permettent de caractériser une contribution plus importante aux captures accessoires, par rapport aux quantités pêchées, que celle des autres équipements à risque et des autres navires, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 2 de l'arrêté attaqué, en tant qu'elles n'incluent ni les navires d'une longueur de moins de huit mètres ni l'utilisation des sennes danoises dans son champ d'application, méconnaissent les exigences qui découlent de l'article 12 de la directive Habitats, transposées dans le code de l'environnement, ainsi que le principe de précaution, sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaissent la portée de l'injonction prononcée par le Conseil d'Etat n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions.

En ce qui concerne la nature et l'étendue des dérogations prévues par les articles 4 et 5 de l'arrêté attaqué :

22. D'une part, il résulte de l'instruction que, selon les formulaires transmis à l'administration par les armateurs en application de l'article 4 de l'arrêté contesté, qui concernent 386 navires, 119 sont déjà équipés d'un dispositif technique de réduction des captures accessoires et 13 ne sont équipés que de caméras d'observation. Les armateurs de 198 autres navires se sont engagés à les en équiper, 83 % ayant opté pour des dispositifs techniques de réduction des captures et 17 % pour des caméras. En application des dispositions transitoires du 2 de l'article 4, la majorité des navires se verra exempter en 2024 de l'interdiction énoncée par l'article 3 de faire usage de certains engins de pêche du 22 janvier au 20 février : les 132 navires déjà équipés d'un dispositif technique ou de caméras d'observation et ceux, parmi les 198 navires dont les armateurs se sont engagés à les en équiper, qui seront équipés avant le 15 janvier 2024. En outre, en application des dispositions du 2 de l'article 5, en cas de défaillance de ces équipements, une dérogation à l'interdiction de pêcher pourra être accordée par la DDTM pour la reprise d'une activité de pêche dans la limite de cinq jours si l'armateur justifie d'une impossibilité immédiate de réparation ou de replacement. En application du 3 de l'article 4, pour les navires dont les armateurs ont pris l'engagement de s'équiper d'un dispositif technique de réduction des captures ou de caméras d'observation mais qui n'y seront pas parvenus avant le 15 janvier 2024, l'interdiction d'usage des certains engins de pêche sera aménagée. Elle s'appliquera pendant une période totale de 30 jours, dont une période fixe de 10 jours du 22 au 31 janvier, et deux périodes supplémentaires de 10 jours définies par l'armateur entre le 15 janvier et le 31 mars. Ainsi, du fait de l'application des dispositions transitoires du 2 et du 3 de l'article 4 de l'arrêté contesté, seuls 56 navires, dont les armateurs ont indiqué ne pas souhaiter s'équiper, se verront appliquer en 2024 l'interdiction énoncée par l'article 3 de l'arrêté attaqué. Ainsi que l'ont relevé les membres du groupe de travail du CIEM sur les prises accessoires d'espèces protégées lors de la présentation de l'arrêté contesté, la combinaison de mesures que l'arrêté contesté fixe à titre transitoire pour l'année 2024 ne correspond à aucun des scénarios envisagés par le CIEM, et se rapproche des scénarios " I " et " K " qui, selon les évaluations mentionnées point 19, ne permettent pas d'atteindre l'objectif de réduction des prises accessoires en-deçà du PBR.

23. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que les dispositions transitoires accordant en 2024 une exemption de l'interdiction d'utiliser certains engins de pêche énoncée à l'article 3 aux navires équipés d'un dispositif technique de réduction des captures accessoires ou de caméras d'observation, et un aménagement de cette interdiction pour les navires dont les armateurs se sont engagés à s'en équiper, ou en cas de défaillance de ces équipements, seraient justifiées par leur caractère incitatif au regard des objectifs des mesures de protection, ou par des contraintes particulières liées à leur mise en œuvre, alors que l'ensemble des navires pêchant dans le golfe de Gascogne au moyen d'un chalut pélagique (PTM, OTM, TM) ou d'un chalut démersal en paire (PTB) ont l'obligation de s'équiper de ces dispositifs techniques en application de l'arrêté du 26 décembre 2019 modifié, que la même obligation et celle de s'équiper de caméras d'observation s'imposait dans le cadre d'une expérimentation financée par l'Etat, jusqu'à l'intervention de l'arrêté attaqué, respectivement à environ 200 et à environ 100 fileyeurs en application des arrêtés du 29 décembre 2022 et du 31 janvier 2023 mentionnés au point 15. En outre, si l'équipement d'un navire en caméras embarquées contribue au suivi des captures accidentelles, il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle mesure serait en elle-même susceptible d'exercer une incidence sur la réduction du nombre de captures accessoires, ni qu'elle puisse être utile en étant dissociée de l'expérimentation de dispositifs techniques de réduction des captures accessoires.

24. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que des dispositions transitoires du 2 et du 3 de l'article 4 et de la dernière phrase du 2 du 5 de l'arrêté attaqué méconnaissent les dispositions des règlements européens sur la pêche et du code rural et de la pêche maritime sur les mesures techniques destinées à réduire les captures accessoires d'espèce protégées, les exigences issues de l'article 12 de la directive Habitats ainsi que la portée des injonctions prononcées par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, dans sa décision du 20 mars 2023, et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation est, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions.

25. En revanche, la procédure de déclaration par les armateurs de leurs engagements d'équipement prévue par les dispositions transitoires du 1 de l'article 4 est en elle-même sans incidence sur l'étendue des dérogations mentionnées au point précédent. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaissent les obligations qui découlent de l'article 12 de la directive Habitats, les injonctions prononcées par le Conseil d'Etat et l'arrêté du 26 décembre 2019 portant obligation d'équipement de dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions.

En ce qui concerne les mesures d'observation des captures accidentelles d'espèces protégées :

26. L'article 7 de l'arrêté attaqué abroge les arrêtés du 29 décembre 2022 et du 31 décembre 2023 mentionnés au point 15 qui, afin de contribuer à la réduction des captures accidentelles de dauphin commun dans le Golfe de Gascogne et d'améliorer les connaissances scientifiques sur les captures accidentelles d'espèces protégées, conformément à la directive Habitats, imposaient, parmi les fileyeurs les plus actifs, à environ 200 navires de s'équiper de dispositifs de réduction des captures accidentelles et à environ 100 navires de s'équiper de caméras embarquées. Si la Première ministre soutient que la mise en œuvre des programmes d'observation OBSCAMe + et Obsmer conduira respectivement à ce que 54 fileyeurs soient équipés de caméras avant le 15 janvier 2024, et à suivre, avec des observateurs à bord, 16 % de l'effort de pêche des fileyeurs équipés de dispositifs techniques, et que les dispositions transitoires de l'article 4 de l'arrêté attaqué sont de nature à inciter les armateurs à s'équiper de caméras embarquées, il ne résulte pas de l'instruction que l'abrogation de ces obligations, qui concouraient au renforcement du système de surveillance des captures accessoires, s'articule avec des nouvelles mesures qui apporteraient à cet objectif une contribution d'une ampleur comparable à celle qui pouvait être attendue des dispositions abrogées. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'article 7 de l'arrêté attaqué méconnaît le cadre juridique des mesures techniques de protection, les exigences l'article 12 de la directive Habitats ainsi que la portée de l'injonction prononcée par le Conseil d'Etat de mettre en œuvre des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d'observation en mer, et de disposer d'éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires pour assurer que ces captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces espèces, et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation est, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions.

27. En revanche le moyen tiré de ce que le 5 de l'article 5 de l'arrêté contesté, en ce que, jusqu'au 31 décembre 2026, il n'inclut pas dans l'analyse obligatoire des données de capture accidentelle les espèces maritimes protégées autres que les mammifères marins, est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les articles 12 de la directive Habitats et 5 de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009, qui imposent de mettre en place un système de contrôle de ces captures accidentelles n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions.

Sur l'urgence :

28. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

En ce qui concerne le champ d'application de l'arrêté attaqué et les dispositions transitoires du 2 et du 3 de l'article 4 et de la dernière phrase du 2 du 5 de l'arrêté attaqué :

29. Il résulte de ce qui précède que la mise en œuvre pendant l'hiver 2024 des dérogations prévues par les dispositions transitoires du 2 et du 3 de l'article 4 et de la dernière phrase du 2 du 5 de l'arrêté attaqué, en restreignant le champ d'application de la mesure de fermeture prévue par son article 3, conduirait à ce que les mesures de protection mises en place par la France pour prévenir la capture accidentelle de petits cétacés s'écartent sensiblement en 2024 des scénarios qui, selon le rapport du CIEM mentionné au point 19, permettraient de réduire la mortalité qui en résulte à un niveau inférieur au PBR ou proche de celui-ci. L'exécution des dispositions l'article 2 de l'arrêté attaqué, en tant qu'elles n'incluent pas l'utilisation des sennes pélagiques dans son champ d'application, serait de nature à aggraver cet effet en 2024. Dans ces conditions, l'exécution de ces dispositions est de nature à porter une atteinte grave et immédiate à la conservation d'espèce protégées.

30. Si la pleine application dès 2024 de l'interdiction d'utiliser certains engins de pêche du 22 janvier au 20 février est susceptible de porter atteinte à l'équilibre économique de nombreuses entreprises de pêche, en réduisant leur chiffre d'affaires, l'effet de la suspension des dérogations contestées pour les entreprises susceptibles d'en bénéficier est identique à celui qui résultera de l'application de ces dispositions à l'ensemble des métiers visés par l'arrêté attaqué à compter de 2025, et dès 2024 pour les entreprises qui n'auraient pu en bénéficier. Il résulte de l'instruction que France Agrimer a annoncé l'ouverture à compter du 15 décembre 2023 d'une plateforme d'indemnisation pour l'arrêt temporaire des activités de pêche en application de cet arrêté, en indiquant aux demandeurs que l'intensité maximale de cette aide était de 100 %. Dans ces conditions, l'urgence qui, ainsi qu'il a été dit, doit s'apprécier objectivement et globalement, justifie la suspension des dispositions transitoires du 2 et du 3 de l'article 4 et de la dernière phrase du 2 du 5 de l'arrêté attaqué, ainsi que de son article 2, en tant qu'il n'y inclut pas dans le champ d'application de l'arrêté l'utilisation des sennes pélagiques.

En ce qui concerne l'article 7 de l'arrêté attaqué :

31. L'abrogation par l'article 7 de mesures qui concouraient au renforcement du système de surveillance des captures accessoires, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elle serait compensée par des mesures contribuant de façon suffisante à cet objectif, est également, eu égard à la nécessité de mettre en œuvre à bref délai des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, de nature à porter une atteinte grave et immédiate à la conservation d'espèces protégées.

32. Il résulte de tout ce qui précède que les associations requérantes sont fondées à demander la suspension de l'exécution du 2 et du 3 de l'article 4, de la dernière phrase du 2 de l'article 5 et de l'article 7 de l'arrêté attaqué, ainsi que de l'article 2, en tant qu'il n'inclut pas l'utilisation des sennes pélagiques dans le champ d'application de l'arrêté.

33. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la Ligue de protection des oiseaux et la somme de 1 500 euros à verser à chacune des associations France Nature Environnement et Sea Shepherd France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'exécution des dispositions suivantes de l'arrêté du 24 octobre 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer établissant des mesures spatio-temporelles visant la réduction des captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025, et 2026 est suspendue :

- l'article 2, en tant qu'il n'inclut pas dans le champ d'application de l'arrêté l'utilisation des sennes pélagiques (code engin : PS) ;

- les 2 et 3 de l'article 4 ;

- les dispositions du 2 de l'article 5 aux termes desquelles " Une dérogation pourra être accordée par la DDTM ou son représentant pour la reprise d'une activité de pêche dans une limite de cinq jours si l'armateur du navire apporte un justificatif d'impossibilité immédiate de réparation ou de remplacement d'un dispositif technique de réduction des captures accidentelles ou du système d'observation électronique à distance en défaillance " ;

- l'article 7.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la Ligue de protection des oiseaux et la somme de 1 500 euros à chacune des associations France Nature Environnement et Sea Shepherd France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée aux associations France Nature Environnement, Sea Shepherd France, Défense des milieux aquatiques et Ligue pour la protection des oiseaux, à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Fait à Paris, le 22 décembre 2023

Signé : Jean-Yves Ollier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489926
Date de la décision : 22/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 déc. 2023, n° 489926
Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489926.20231222
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