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13/12/2023 | FRANCE | N°490098

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 13 décembre 2023, 490098


Vu la procédure suivante :

L'association Utopia 56 a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du préfet de police interdisant la manifestation statique qu'elle a déclarée et qui doit se dérouler le 13 décembre 2023 à 13 heures au 14 décembre à 10 heures place du Palais-Bourbon dans le 7ème arrondissement de Paris et ne l'autorisant que le 13 décembre 2023 de 16h à 20h et le 14 décembre 2023 de 7h à 10h sur le

terre-plein numéro 3 de l'esplanade des Invalides. Par une ordonnance n° ...

Vu la procédure suivante :

L'association Utopia 56 a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du préfet de police interdisant la manifestation statique qu'elle a déclarée et qui doit se dérouler le 13 décembre 2023 à 13 heures au 14 décembre à 10 heures place du Palais-Bourbon dans le 7ème arrondissement de Paris et ne l'autorisant que le 13 décembre 2023 de 16h à 20h et le 14 décembre 2023 de 7h à 10h sur le terre-plein numéro 3 de l'esplanade des Invalides. Par une ordonnance n° 2328297 du 12 décembre 2023, le juge des référés de ce tribunal a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Utopia 56 demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 12 décembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 12 décembre 2023 du préfet de police interdisant la manifestation qu'elle entend organiser ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que le début de la manifestation concernée est prévu le 13 décembre 2023 à 13 heures et les conséquences de l'interdiction litigieuse sur les libertés fondamentales seront irréparables et définitives ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'expression collective des idées et opinions ainsi qu'à la liberté de manifestation ;

- l'arrêté litigieux, qui interdit que la manifestation qu'elle a déclarée le 6 décembre 2023 se tienne sur la place du Palais-Bourbon à Paris du 13 au 14 décembre, est intervenu tardivement ;

- cette interdiction n'est pas justifiée par un motif légitime d'ordre public, en méconnaissance de l'équilibre imposé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, eu égard, d'une part, à l'objet de sa manifestation qui tend à dénoncer la carence de l'Etat dans le respect du droit constitutionnel d'accès à un logement décent et, d'autre part, au respect du principe de la dignité humaine, qui ne saurait céder aux exigences de sécurité, salubrité et tranquillité publiques ;

- l'atteinte aux libertés fondamentales est d'autant plus établie que la place du Palais Bourbon constitue symboliquement un lieu d'expression et de manifestation privilégié ;

- l'absence de délivrance d'un récépissé du dépôt de sa déclaration de manifestation, qui méconnaît les prescriptions de l'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, renforcée par un courriel de refus des modalités de manifestation déclarées, s'analyse comme une décision d'interdiction de la manifestation.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (... )". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Il ressort des pièces du dossier que le 6 décembre 2023, l'association Utopia 56 a adressé à la préfecture de police une déclaration préalable portant sur l'organisation d'une manifestation statique place du Palais-Bourbon, à Paris, du 13 décembre 2023 à 13h au 14 décembre 2023 à 10h, dans le but de dénoncer les défaillances dans le dispositif d'hébergement d'urgence des mineurs. Le préfet de police a pris le 12 décembre 2023 un arrêté par lequel il a interdit cette manifestation aux lieu et horaires envisagés mais l'a autorisée le 13 décembre 2023 de 16h à 20h et le 14 décembre 2023 de 7h à 10h sur le terre-plein numéro 3 de l'esplanade des Invalides. L'association Utopia 56 relève appel de l'ordonnance du 12 décembre 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, en application des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de cet arrêté, en tant qu'il lui interdit de manifester place du Palais-Bourbon.

3. L'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure soumet à l'obligation de déclaration préalable " tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ". Il résulte des articles L. 211-4 et R. 211-1 de ce code qu'il appartient au représentant de l'Etat dans le département, au préfet de police des Bouches-du-Rhône ou au préfet de police d'interdire par arrêté toute " manifestation projetée de nature à troubler l'ordre public ".

4. Le respect de la liberté de manifestation et de la liberté d'expression, qui a le caractère de libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, doit être concilié avec l'exigence constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police, lorsqu'elle est saisie de la déclaration préalable prévue à l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure ou en présence d'informations relatives à un ou des appels à manifester, d'apprécier le risque de troubles à l'ordre public et, sous le contrôle du juge administratif, de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles, au nombre desquelles figure, le cas échéant, l'interdiction de la manifestation, si une telle mesure présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances, en tenant compte des moyens humains, matériels et juridiques dont elle dispose. Une mesure d'interdiction, qui ne peut être prise qu'en dernier recours, peut être motivée par le risque de troubles matériels à l'ordre public, en particulier de violences contre les personnes et de dégradations des biens, et par la nécessité de prévenir la commission suffisamment certaine et imminente d'infractions pénales susceptibles de mettre en cause la sauvegarde de l'ordre public même en l'absence de troubles matériels.

5. Pour interdire que la manifestation projetée se déroule place du Palais-Bourbon pendant 21h d'affilée, avec notamment l'installation d'un campement pour la nuit, et ne l'autoriser que de 16h à 22h puis de 7h à 10h le lendemain, dans un lieu situé sur l'esplanade des Invalides, à 300 mètres de la place du Palais-Bourbon, le préfet de police s'est fondé sur ce que le lieu envisagé par l'association se situe à quelques mètres seulement de l'Assemblée Nationale, au sein d'un périmètre dans lequel des mesures particulières et renforcées de sécurité sont assurées en permanence pour des impératifs d'ordre public, et sur ce que compte tenu de ces contraintes de sécurité, cette place ne pouvait constituer un lieu approprié pour accueillir un rassemblement statique toute une nuit, sous la forme d'un campement, alors par ailleurs que les forces de police sont particulièrement mobilisées pour assurer, en sus de leurs sujétions habituelles, la sécurisation des sites institutionnels dans un contexte de niveau de menace terroriste élevée.

6. Au soutien de son appel contre l'ordonnance attaquée, l'association requérante se borne à soutenir que la place du Palais-Bourbon est un lieu symbolique indispensable à l'expression du message qu'elle entend porter et que les impératifs d'ordre public qui lui sont opposés, dont elle ne met pas en cause la réalité, ne sauraient prévaloir sur les objectifs de protection de la dignité humaine qu'elle poursuit. Elle ne conteste, par ailleurs, pas davantage en appel que devant le juge des référés du tribunal administratif les indications produites par le préfet de police devant ce dernier selon lesquelles le site sur lequel elle a été autorisée à manifester, sur l'esplanade des Invalides, est le plus proche possible de de la place du Palais-Bourbon qui soit conciliable avec les nécessités de l'ordre public, compte tenu de ce que d'autres rassemblements doivent se tenir simultanément place Edouard Herriot, qui ont donné lieu à des déclarations antérieures à la sienne.

7. Dans ces conditions, il n'apparaît pas établi qu'en n'autorisant la manifestation qu'aux lieu et horaires qu'il mentionne, l'arrêté du préfet de police aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'expression ou à la liberté de manifestation. Il est ainsi manifeste que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

8. Il résulte de ce qui précède que la requête de l'association Utopia 56 ne peut qu'être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'association Utopia 56 est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Utopia 56 et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Fait à Paris, le 13 décembre 2023

Signé : Pierre Collin


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 490098
Date de la décision : 13/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 déc. 2023, n° 490098
Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:490098.20231213
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