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04/12/2023 | FRANCE | N°489743

France | France, Conseil d'État, 04 décembre 2023, 489743


Vu les procédures suivantes :

I - Sous le n° 2305815, l'association " Ligue des droits de l'homme " a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2023-1002 du 23 novembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a interdit la manifestation organisée par le " Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens ", devant avoir lieu le dimanche 26 novembre 2023 à 15 heures à

Nice, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de " la décision ré...

Vu les procédures suivantes :

I - Sous le n° 2305815, l'association " Ligue des droits de l'homme " a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2023-1002 du 23 novembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a interdit la manifestation organisée par le " Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens ", devant avoir lieu le dimanche 26 novembre 2023 à 15 heures à Nice, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de " la décision révélée par les arrêtés précédents et les prises de position publiques du préfet d'interdire systématiquement des rassemblements pour la Paix organisés par les mêmes requérants, avec le même parcours, dès lors qu'il n'est apporté aucun élément nouveau " et, en dernier lieu, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sous le n° 2305826, l'association " Comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples " et l'association " Association France Palestine Solidarité ", section de Nice, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2023-1002 du 23 novembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a interdit la manifestation organisée par le " Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens ", devant avoir lieu le dimanche 26 novembre 2023 à 15 heures à Nice et, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance nos 2305815, 2305826 du 25 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a, en premier lieu, suspendu l'exécution de l'arrêté n° 2023-1002, en deuxième lieu, mis à la charge de l'Etat une somme de 500 euros à verser à chacune des associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi.

Par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 28 et 30 novembre 2023 ainsi que les 1er et 3 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations " Ligue des droits de l'homme ", " Comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples " et " Association France Palestine Solidarité " demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'article 3 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision, révélée par plusieurs arrêtés d'interdiction de manifester du préfet des Alpes-Maritimes, ainsi que par plusieurs prises de position publiques, par laquelle ce préfet a interdit systématiquement les manifestations projetées par les associations requérantes, ayant le même objet, le même parcours et la même durée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- l'existence de la décision du préfet des Alpes-Maritimes d'interdire toutes les manifestations ayant pour objet la paix au Proche-Orient est révélée, en premier lieu, par le caractère systématique de ces interdictions, en deuxième lieu, par la similarité des motifs des arrêtés des 8, 15, 23 et 28 novembre 2023 portant interdiction de ces manifestations et, en dernier lieu, par les prises de position publiques du préfet des Alpes-Maritimes et du maire de Nice, qui annoncent l'interdiction de manifestations non encore déclarées sans invoquer d'éléments nouveaux ou de circonstances locales ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'elles organisent chaque semaine une manifestation en soutien de la paix au Proche-Orient ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- la décision du préfet des Alpes-Maritimes d'interdire systématiquement les manifestations ayant pour objet la paix au Proche-Orient méconnaît la liberté de manifestation et la liberté d'expression dès lors que, d'une part, les arrêtés d'interdiction qui en découlent ne sont pas proportionnés aux risques de trouble à l'ordre public que pourraient occasionner les rassemblements et, d'autre part, elle ne permet pas d'apprécier concrètement les circonstances de chaque manifestation en vue de prendre la mesure de police la plus adaptée, nécessaire et proportionnée ;

- elle méconnaît le caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion dès lors que les manifestations sont interdites en raison de leur objet ;

- elle méconnaît non seulement la liberté de manifestation et d'expression, mais aussi le droit à un recours effectif dès lors qu'elle revient à ignorer les ordonnances prises chaque semaine par le juge des référés du tribunal administratif de Nice, suspendant les précédents arrêtés d'interdiction.

II - Sous les n° 2305974 et 2305979, l'association " Ligue des droits de l'homme ", d'une part, et les associations " Comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples " et " Association France Palestine Solidarité ", d'autre part, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2023-1046 du 30 novembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a interdit la manifestation organisée par le " Collectif 06 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens ", devant avoir lieu le samedi 2 décembre 2023 à 15 heures à Nice, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de " la décision révélée par les arrêtés précédents et les prises de position publiques du préfet d'interdire systématiquement des rassemblements pour la Paix organisés par les mêmes requérants, avec le même parcours, dès lors qu'il n'est apporté aucun élément nouveau " et, en dernier lieu, de mettre à la charge de l'Etat une somme, respectivement, de 4 500 et 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance nos 2305974, 2305979 du 2 décembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a, en premier lieu, suspendu l'exécution de l'arrêté n° 2023-1046, en deuxième lieu, mis à la charge de l'Etat des sommes de 800 euros à verser, d'une part, à la " Ligue des droits de l'homme " et, d'autre part, aux deux autres associations au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi.

Par une requête, enregistrée le 3 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations " Ligue des droits de l'homme ", " Comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples " et " Association France Palestine Solidarité " demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'article 4 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision, révélée par plusieurs arrêtés d'interdiction de manifester du préfet des Alpes-Maritimes, ainsi que par plusieurs prises de position publiques, par laquelle ce préfet a interdit systématiquement les manifestations projetées par les associations requérantes, ayant le même objet, le même parcours et la même durée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles reprennent les moyens invoqués au soutien de la requête enregistrée sous le n° 489743 et soutiennent en outre que le préfet des Alpes-Maritimes se livre à un détournement de pouvoir.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

3. L'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure soumet à l'obligation de déclaration préalable " tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ". Il résulte des articles L. 211-4 et R. 211-1 de ce code que le représentant de l'Etat dans le département interdit par arrêté toute manifestation projetée de nature à troubler l'ordre public.

4. Il appartient à l'autorité préfectorale compétente d'apprécier, à la date à laquelle elle se prononce, la réalité et l'ampleur des risques de troubles à l'ordre public susceptibles de résulter de chaque manifestation déclarée ou prévue, en fonction de son objet, déclaré ou réel, de ses caractéristiques propres et des moyens dont elle dispose pour sécuriser l'évènement. A ce titre, il revient au préfet compétent, sous le contrôle du juge administratif, de déterminer au cas par cas, au vu tant du contexte national que des circonstances locales, s'il y a lieu d'interdire une manifestation présentant un lien direct avec le conflit israélo-palestinien en cours, sans pouvoir légalement la prononcer du seul fait qu'elle vise à soutenir la population palestinienne ou appelle à la paix au Proche-Orient.

5. L'association " Ligue des droits de l'homme " a demandé le 24 novembre 2023 au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution d'une " décision révélée " du préfet des Alpes-Maritimes d'interdire systématiquement les " rassemblements pour la Paix " au Proche-Orient organisés par les mêmes associations sur le même parcours et pour la même durée. Par l'article 3 de son ordonnance du 25 novembre 2023 attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté ces conclusions au motif que l'existence d'une telle décision ne ressortait pas de l'instruction. Les trois associations requérantes ont présenté le 1er décembre suivant des conclusions analogues au juge des référés du tribunal administratif de Nice qui les a rejetées pour le même motif par l'article 4 de l'ordonnance du 2 décembre 2023 également attaquée.

6. En premier lieu, l'association " Comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples " et l'association " Association France Palestine Solidarité " n'étaient pas parties à l'instance introduite par l'association " Ligue des droits de l'homme " devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice le 24 novembre 2023 tendant à la suspension de l'exécution de la " décision révélée " du préfet des Alpes-Maritimes mentionnée au point 5. Par suite, la requête d'appel enregistrée sous le n° 489743, qui est seulement dirigée contre l'ordonnance litigieuse en tant qu'elle rejette ces conclusions, est manifestement irrecevable en tant qu'elle émane de ces deux associations.

7. En second lieu, les associations requérantes soutiennent que le préfet des Alpes-Maritimes aurait décidé par principe d'interdire par avance l'ensemble des manifestations organisées à Nice par les mêmes associations et pour la même durée, ayant pour objet la paix au Proche-Orient, en se prévalant, d'une part, des arrêtés par lesquels cette autorité a interdit plusieurs manifestations de cette nature, dont la plupart comporte la même motivation générale, et, d'autre part, de ses déclarations publiques ainsi que de celles du maire de Nice. Toutefois, si les éléments produits au soutien des deux requêtes d'appel traduisent une orientation générale que ce préfet entend suivre en matière de maintien de l'ordre public dont il a la charge dans le département, en lien avec les manifestations relatives au conflit israélo-palestinien, ils ne révèlent ni l'existence d'une décision administrative, qui serait d'ailleurs illégale, interdisant, de manière générale et absolue et par anticipation, toute manifestation de soutien à la population palestinienne ou appelant à l'arrêt des hostilités au Proche-Orient, ni une décision ayant des effets notables sur les droits ou la situation d'une personne, notamment sur les associations qui peuvent librement déclarer les manifestations sur la voie publique qu'elles entendent organiser, dans les conditions prévues par le code de la sécurité intérieure. Ils ne créent pas davantage une situation matérielle qui justifierait le prononcé de mesures par le juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, alors surtout que les personnes justifiant d'un intérêt pour agir peuvent demander au juge des référés la suspension de l'exécution d'un arrêté préfectoral interdisant la tenue d'une manifestation déterminée, ainsi que l'a rappelé le premier juge, et qu'elles peuvent faire utilement valoir dans ce cadre que l'arrêté attaqué ne procède pas de l'examen circonstancié des risques de troubles à l'ordre public qu'il revient au préfet d'effectuer, ainsi qu'il est dit au point 4. La requête d'appel enregistrée sous le n° 489743, en tant qu'elle émane de l'association " Ligue des droits de l'homme ", et la seconde requête d'appel ne sont donc manifestement pas fondées.

8. Il résulte de ce qui précède que les requêtes doivent être rejetées, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : Les requêtes des associations " Ligue des droits de l'homme ", " Comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples " et " Association France Palestine Solidarité " sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association " Ligue des droits de l'homme ", première dénommée pour l'ensemble des requérantes.

Fait à Paris, le 4 décembre 2023

Signé : Alexandre Lallet


Synthèse
Numéro d'arrêt : 489743
Date de la décision : 04/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 04 déc. 2023, n° 489743
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489743.20231204
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