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04/12/2023 | FRANCE | N°489529

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 04 décembre 2023, 489529


Vu la procédure suivante :

Mme E... F... et M. D... G... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de les orienter, ainsi que leurs enfants, dans un centre d'hébergement d'urgence, ou à défaut dans une structure hôtelière, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2305882 du 3 novembre 2023, le juge

des référés du tribunal administratif de Rennes a enjoint au préfet...

Vu la procédure suivante :

Mme E... F... et M. D... G... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de les orienter, ainsi que leurs enfants, dans un centre d'hébergement d'urgence, ou à défaut dans une structure hôtelière, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2305882 du 3 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de leur proposer un lieu d'hébergement susceptible de les accueillir avec leurs trois enfants, dans un délai de 48 heures et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 novembre et 1er décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle prononce l'injonction ;

2°) de rejeter la demande.

Elle soutient que :

- les intéressés se sont eux-mêmes placés dans la situation d'urgence dont ils se prévalent, dès lors qu'ils ont pris la décision de se maintenir en situation irrégulière sur le territoire français en dépit de la proposition d'aide au retour qui leur a été formulée et qu'ils ont refusée et de l'obligation de quitter le territoire qui leur a été notifiée;

- ils ne justifient pas, en outre, d'une circonstance exceptionnelle permettant de caractériser néanmoins une carence de l'Etat constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors qu'ils n'ont sollicité que récemment le bénéfice du dispositif d'hébergement d'urgence et que la vulnérabilité médicale de leur fille peut faire l'objet d'un traitement en dehors d'une structure d'hébergement d'urgence ;

- enfin, le dispositif d'hébergement est fortement saturé en dépit des efforts constants de l'Etat pour en augmenter la capacité d'accueil et qu'il existe des personnes dont la demande est plus ancienne ou qui présente une situation de détresse qui les rend prioritaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2023, Mme F... et M. G... concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 après avoir été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire. Ils soutiennent que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) et, d'autre part, Mme F... et M. G... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 30 novembre 2023, à 15 heures 30 :

- les représentantes de la DIHAL ;

- Me Bouniol-Brochier, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de Mme F... et M. G... ;

- la représentante de Mme F... et M. G... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 1er décembre 2023 à 12 heures puis à 14 heures le même jour ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. / (...) / L'hébergement d'urgence prend en compte, de la manière la plus adaptée possible, les besoins de la personne accueillie (...) ". Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".

3. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 2, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

4. Les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée, et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'ont pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence. Dès lors, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en œuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles. Constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance, l'existence d'un risque grave pour la santé ou la sécurité d'enfants mineurs, dont l'intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant.

5. Il résulte de l'instruction, qui s'est poursuivie à l'audience, que Mme F... et M. G..., ressortissants géorgiens, sont entrés en France le 11 septembre 2022, accompagnés de leurs trois enfants mineurs, A..., B... et C..., nés respectivement le 1er mai 2013, le 3 mars 2014 et le 18 juillet 2017 en Géorgie, afin d'y solliciter la reconnaissance d'une protection internationale. Par des décisions du 15 décembre 2022, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié et le bénéfice de la protection subsidiaire. Par deux arrêtés du 10 mars 2023, le préfet du Morbihan a rejeté leurs demandes de titre de séjour et leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours. Par des jugements des 13 juin et 6 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces mesures d'éloignement. Leur prise en charge au sein d'un centre d'accueil de demandeurs d'asile a, par ailleurs, cessé le 31 juillet 2023. Mme F... et M. G..., qui ont refusé le bénéfice de l'aide au retour, se sont maintenus irrégulièrement en France au-delà du délai de 30 jours prévus pour leur permettre de quitter le territoire français. Après un hébergement d'une semaine à Vannes, ils ont rejoint le campement des Gayeulles à Rennes, jusqu'à son démantèlement. Après avoir bénéficié d'un hébergement d'une semaine dans un hôtel à Lorient du 13 au 18 septembre 2023, ils ont rejoint le campement de Maurepas à Rennes où ils vivaient sous tente jusqu'à ce qu'il soit gravement endommagé par le passage de la tempête Ciaran qui a sévi entre le 29 octobre et le 4 novembre 2023.

6. C'est dans ce contexte que Mme F... et de M. G... ont, le 31 octobre 2023, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à ce que, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il soit enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de les mettre à l'abri en leur attribuant un hébergement d'urgence. La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) relève appel de l'ordonnance du 3 novembre 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à leur demande.

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, comme le fait valoir la DIHAL, la situation d'urgence dans laquelle se trouve placée la famille du fait notamment des conséquences de la tempête Ciaran, résulte principalement du refus de Mme F... et M. G... de bénéficier de l'aide au retour en Géorgie et de leur maintien sur le territoire français de manière irrégulière. Toutefois, il résulte également de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, qu'Emilia, âgée de 6 ans, souffre d'un diabète de type 1, dont la stabilité impose un traitement par injection, environ quatre fois par jour, d'une dose d'insuline rapide à chaque repas et le soir d'une injection d'une dose d'insuline lente pour la nuit, que ce traitement soit administré de manière régulière, que les doses d'insuline sous forme de stylos soient conservées dans un endroit réfrigéré, enfin que l'enfant bénéficie également de repas adaptés et équilibrés. S'il ne résulte pas de l'instruction qu'un tel traitement ferait obstacle à son éloignement hors de France avec ses parents, il résulte, en revanche, de l'instruction que l'administration de ce traitement s'est trouvée gravement compromise du fait de la dégradation brutale et importante des conditions de vie au campement de Maurepas en raison des destructions provoquées par la tempête Ciaran. Ainsi qu'il a été indiqué à l'audience, les points santé dont la DIHAL fait état, ne sont ouverts à Rennes qu'en semaine et aux heures ouvrables et n'apparaissaient pas, en l'état de l'instruction, de nature à répondre de manière quotidienne et satisfaisante à la situation de l'enfant. Enfin, l'évolution récente des conditions climatiques vers des épisodes de grand froid ne permet pas, de toutes les façons, d'envisager, à la date de la présente ordonnance, un retour en particulier de cette enfant à la rue ou en campement. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la DIHAL, la condition d'urgence liée à l'état de santé de l'enfant dont ses parents se sont prévalus, est justifiée.

8. En second lieu, ainsi qu'il a été dit au point précédent, il existe un risque grave pour la santé ou la sécurité C... en cas de maintien ou de retour à la rue ou en campement. Il n'apparaît pas au demeurant, nécessaire ni même souhaitable, dans les circonstances de l'espèce, que cette enfant soit prise en charge hors de son milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance. Dès lors, du fait de l'expiration de la période nécessaire à la mise en œuvre du départ volontaire des parents C... et de l'existence d'une circonstance exceptionnelle tenant dans le risque grave concernant la santé C... mentionné ci-dessus, la carence du préfet d'Ille-et-Vilaine à assurer son hébergement et celui de sa famille est, conformément à ce qui a été rappelé au point 4, constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il n'apparaît pas, compte tenu des éléments fournis à l'audience, qu'en dépit d'une forte saturation du dispositif d'hébergement d'urgence à Rennes et en Ille-et-Vilaine éclairée par les données chiffrées actualisées qui ont été produites, leur accueil dans un centre où la famille peut préparer ses propres repas, situé à environ 50 km au sud de Rennes sur le territoire de la petite commune de Pipriac, n'a pas conduit à évincer une autre famille du dispositif d'hébergement d'urgence en particulier placée dans une situation de plus grande vulnérabilité. Si le placement a été ordonné en exécution de l'injonction prononcée par le juge des référés du tribunal administratif, le préfet d'Ille-et-Vilaine a pris l'initiative d'un placement pour une durée de quatre mois. Un tel placement demeure toutefois sans incidence sur les mesures que l'Etat pourrait prendre pour assurer l'éloignement de la famille hors du territoire français.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la DIHAL n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de fournir à Mme F... et M. G... un hébergement susceptible de les accueillir avec leurs trois enfants dans un délai de 48 heures.

10. Il n'y a cependant pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sans qu'il soit besoin d'admettre les intéressés au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme F... et M. G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 9 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) ainsi qu'à Mme E... F... et M. D... G....

Fait à Paris, le 4 décembre 2023

Signé : Olivier Yeznikian


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489529
Date de la décision : 04/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 04 déc. 2023, n° 489529
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP THOMAS-RAQUIN, LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489529.20231204
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