La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/11/2023 | FRANCE | N°489412

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 novembre 2023, 489412


Vu la procédure suivante :

Mme E... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, d'ordonner au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris ou à la Ville de Paris de la prendre en charge avec ses enfants mineurs sans délai à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2325585

du 13 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif ...

Vu la procédure suivante :

Mme E... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, d'ordonner au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris ou à la Ville de Paris de la prendre en charge avec ses enfants mineurs sans délai à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2325585 du 13 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 14 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 13 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'enjoindre au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris ou à la Ville de Paris de la prendre en charge avec ses enfants mineurs dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence sans délai à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris ou de la Ville de Paris la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, d'une part, qu'elle est sans ressources financières et dépourvue de logement, qu'elle vit à la rue avec ses deux enfants mineurs, en dépit d'appels quotidiens au " 115 ", service d'appel téléphonique du Samu social de Paris, depuis le 11 juillet 2023, d'autre part, qu'elle est une femme isolée et ne peut assurer la sécurité de ses enfants et se trouve dans une situation de détresse sociale renforcée par les conditions climatiques actuelles ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- l'absence de prise en charge par l'Etat constitue une carence caractérisée qui porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l'hébergement d'urgence et à l'intérêt supérieur de ses enfants ;

- elle fait nécessairement partie des familles les plus vulnérables en ce que, d'une part, elle est une femme isolée avec deux enfants en bas âge et, d'autre part, elle ne dispose d'aucune attache ou solution d'hébergement en Italie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2023, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2023, la Ville de Paris conclut, à titre principal, à ce qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête dès lors qu'une solution d'hébergement a pu être trouvée pour Mme A... et ses enfants à compter du 20 novembre 2023 et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A..., et d'autre part, la Ville de Paris et la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 22 novembre 2023, à 11 heures 30 :

- Me Stoclet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... ;

- le représentant de Mme A... ;

- Mme A... ;

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Ville de Paris ;

- la représentante de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clôt l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique (...) aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social (...) / (...) / 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / (...) / 5° (...) organiser le recueil et la transmission, dans les conditions prévues à l'article L. 226-3, des informations préoccupantes relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l'être ou dont l'éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l'être, et participer à leur protection (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. (...) " Enfin, il résulte de l'article L. 221-2 de ce code que le département doit notamment disposer de " possibilités d'accueil d'urgence " ainsi que de " structures d'accueil pour les femmes enceintes et les mères avec leurs enfants " et de son article L. 222-3 que les prestations d'aide sociale à l'enfance peuvent prendre la forme du versement d'aides financières.

3. Aux termes de l'article L. 121-7 du code de l'action sociale et des familles : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 ". Aux termes de l'article L. 345-1 du même code : " Bénéficient, sur leur demande, de l'aide sociale pour être accueillies dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale publics ou privés les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d'insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2 de ce code : " Dans chaque département est mis en place, sous l'autorité du représentant de l'Etat, un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu'appelle leur état. Cette orientation est assurée par un service intégré d'accueil et d'orientation, dans les conditions définies par la convention conclue avec le représentant de l'Etat dans le département prévue à l'article L. 345-2-4. (...) " Aux termes de l'article L. 345-2-2 du même code : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2-3 du même code : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ". Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".

4. S'il résulte des dispositions citées au point 3 que sont en principe à la charge de l'Etat les mesures d'aide sociale relatives à l'hébergement des personnes qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques ou de logement, ainsi que l'hébergement d'urgence des personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, il résulte des dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles citées à ce même point 3 que la prise en charge, qui inclut l'hébergement, le cas échéant en urgence, des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile, incombe au département. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

5. Mme A..., qui a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France ou à la Ville de Paris de lui attribuer un hébergement d'urgence, relève appel de l'ordonnance du 13 novembre 2023 par laquelle le juge des référés de première instance a rejeté sa demande.

6. Il résulte de l'instruction que Mme A..., ressortissante ivoirienne entrée en France en 2019 avec son fils mineur D... F... né en 2013 a bénéficié d'une prise en charge en hébergement d'urgence de longue durée jusqu'en février 2022 et d'un accompagnement social qui lui a permis de suivre une formation d'auxiliaire de vie. Après avoir résidé chez une amie jusqu'en novembre 2022, elle s'est rendue en Italie, où elle a accouché de son fils G... C... B..., né le 10 décembre 2022. Mme A... est ensuite revenue en France où elle a été à nouveau hébergée par la même amie jusqu'au 7 juin 2023. Malgré plusieurs appels au " 115 " à compter du 11 juillet 2023, elle n'a pu obtenir un hébergement d'urgence. Eu égard à la situation particulière de l'enfant G... C... B..., âgé de moins d'un an, qui la place sans doute possible parmi les familles les plus vulnérables, l'absence d'hébergement d'urgence constitue une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission confiée au département qui peut entraîner, notamment en période hivernale, des conséquences graves pour les enfants en bas âge. Dans les circonstances de l'espèce, cette situation fait ainsi apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il s'ensuit que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

7. A la suite de l'ordonnance attaquée, il résulte de l'instruction que la Ville de Paris a, compte tenu de la situation de cette famille, et notamment du très jeune âge du second enfant, proposé aux intéressés une solution d'hébergement à l'hôtel Technoparc de Poissy (Yvelines), où ils sont effectivement accueillis depuis le 20 novembre 2023, ainsi qu'en atteste le certificat d'hébergement établi par le Samu social de Paris, dans l'attente d'une prise en charge de " long séjour ". Il appartiendra à l'administration de veiller à ce que cet hébergement présente un caractère durable et soit assorti d'un accompagnement social conforme aux obligations prévues par les articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles rappelées au point 3.

8. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative afin d'enjoindre à la Ville de Paris de procurer à Mme A... et à ses enfants un hébergement d'urgence sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'ordonnance du 13 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme A... présentées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

Article 3 : La Ville de Paris versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme E..., à la Ville de Paris et à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement.

Fait à Paris, le 27 novembre 2023

Signé : Benoît Bohnert


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489412
Date de la décision : 27/11/2023
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 nov. 2023, n° 489412
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489412.20231127
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award