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10/10/2023 | FRANCE | N°488766

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 10 octobre 2023, 488766


Vu la procédure suivante :

Mme A... D... et M. F..., agissant en leur nom propre et au nom de leur enfant mineur, E..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'ordonner à la Ville de Paris de les prendre en charge dans un hébergement d'urgence pérenne, adapté à l'état de santé de Mme D... et de son enfant, sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles, sans délai à compter de la not

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Vu la procédure suivante :

Mme A... D... et M. F..., agissant en leur nom propre et au nom de leur enfant mineur, E..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'ordonner à la Ville de Paris de les prendre en charge dans un hébergement d'urgence pérenne, adapté à l'état de santé de Mme D... et de son enfant, sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles, sans délai à compter de la notification de l'ordonnance et, à titre subsidiaire, de prononcer cette injonction à l'égard de l'Etat pour que leur soit accordé un hébergement d'urgence conformément aux articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles, sans délai. Par une ordonnance n° 2322911 du 6 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Par une requête, enregistrée le 9 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... et M. B... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de l'administration destinataire de l'injonction la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'ordonnance du 6 octobre 2023 est entachée d'irrégularité en ce que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a omis de statuer sur leurs conclusions fondées sur la violation des dispositions du 3° de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'ils ont une enfant âgée d'un mois, que Mme D..., atteinte du VIH 1, présente un état de santé fragile et qu'ils seront dépourvus de tout logement à compter du 9 octobre 2023, date prévue de sortie de l'hôpital de Mme D... ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- la carence caractérisée de la Ville de Paris et de l'Etat dans l'accomplissement de leur mission d'hébergement d'urgence des personnes en situation de détresse médicale, psychique ou sociale porte atteinte à leur droit à l'hébergement d'urgence, à l'intérêt supérieur de leur enfant, au respect du principe de dignité de la personne humaine et à leur droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants dès lors qu'ils sont eux-mêmes dans une situation de détresse.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. / Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier ". Aux termes de l'article L. 345-2-3 de ce code : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, (...) ; / (...) / 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 de ce code : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : / (...) / 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. (...) ". Enfin, en vertu de la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 221-2 de ce code, le département doit disposer de structures d'accueil pour les femmes enceintes et les mères avec leurs enfants.

4. En vertu des dispositions qui précèdent, dès lors que ne sont en cause ni des mineurs relevant d'une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance en application de l'article L. 222-5 du même code, ni des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans mentionnées au 4° du même article, l'intervention du département ne revêt qu'un caractère supplétif, dans l'hypothèse où l'Etat n'aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent, et ne saurait entraîner une quelconque obligation à la charge du département dans le cadre d'une procédure d'urgence qui a précisément pour objet de prescrire, à l'autorité principalement compétente, les diligences qui s'avéreraient nécessaires.

5. Dès lors, il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 2, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

Sur la demande en référé :

6. Mme D... et M. B..., nés respectivement le 20 décembre 1982 et le 16 août 1982 en Côte d'Ivoire, de nationalité ivoirienne, agissant en leur nom propre et au nom de leur fils mineur, E..., né le 4 septembre 2023 à Paris, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre, à titre principal, à la Ville de Paris et, à titre subsidiaire, à l'Etat, de les prendre en charge au titre de l'hébergement d'urgence en vertu des dispositions du code de l'action sociale et des familles citées aux points 2 et 3. Ils relèvent appel de l'ordonnance du 6 octobre 2023 par laquelle leur demande a été rejetée.

7. Pour motiver son ordonnance, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, considéré qu'aucune carence du département de Paris ne pouvait être invoquée, même à titre supplétif, dès lors qu'en tout état de cause, les intéressés n'avaient pas justifié de démarches effectuées auprès des services de ce département. Il a, d'autre part, relevé que les requérants, malgré la situation de détresse sociale dans laquelle ils se trouvent avec leur enfant en très bas âge, au sens des dispositions de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles, n'étaient pas fondés à invoquer une carence de l'Etat du fait d'un défaut de prise en charge en vue de leur hébergement, dès lors qu'ils avaient cessé de faire appel au SIAO depuis le 1er septembre 2023. Le juge des référés du tribunal les a, au demeurant, invités à " reprendre toutes démarches afin d'obtenir une prise en charge en vue de l'obtention d'un hébergement d'urgence " à l'issue de l'hospitalisation de Mme D... à compter du 9 octobre. Ils n'apportent à l'appui de leur requête aucun élément nouveau ou sérieux de nature à remettre en cause l'appréciation portée sur l'ensemble des faits de l'espèce par le juge des référés du tribunal administratif au regard des éléments portés à sa connaissance. En outre, en statuant comme il l'a fait, ce magistrat n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu, davantage omis de prendre en compte leur demande présentée à l'encontre de la Ville de Paris sur le fondement des dispositions relatives à l'aide sociale à l'enfance et, en particulier de celles du 3° de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles.

8. Il résulte de ce qui précède que la requête de Mme D... et autre doit être rejetée selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de Mme D... et M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... D... première requérante dénommée.

Copie en sera adressée à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris et à la présidente du conseil de Paris siégeant en formation de conseil départemental.

Fait à Paris, le 10 octobre 2023

Signé : Olivier Yeznikian


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 488766
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2023, n° 488766
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:488766.20231010
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