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04/10/2023 | FRANCE | N°488502

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 04 octobre 2023, 488502


Vu la procédure suivante :

Mme B... A..., agissant en son nom et en qualité de représentante légale de sa fille mineure Mme C..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, de les prendre en charge dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence et d'assurer son accompagnement social, sans délai à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance n° 2321552 du 22 septem

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Vu la procédure suivante :

Mme B... A..., agissant en son nom et en qualité de représentante légale de sa fille mineure Mme C..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, de les prendre en charge dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence et d'assurer son accompagnement social, sans délai à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance n° 2321552 du 22 septembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 22 et 27 septembre et le 2 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler l'ordonnance du 22 septembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de la prendre en charge ainsi que sa fille mineure dans un hébergement d'urgence conforme aux articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles et d'assurer leur accompagnement social, sans délai, à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me Djemaoun, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou, en cas de refus d'octroi de l'aide juridictionnelle, de lui verser directement la même somme au titre de l'articles L. 761 1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, elle est atteinte d'une maladie chronique et, d'autre part, sans ressources financières et dépourvue de logement, elle vit dans la rue avec sa fille mineure depuis le 16 août 2023 malgré de nombreux appels passés au " 115 ", service d'appel téléphonique du Samu-social de Paris ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- l'absence de prise en charge par l'Etat constitue une carence caractérisée qui porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un hébergement d'urgence, à l'intérêt supérieur de l'enfant, au principe de dignité de la personne humaine et au droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain et dégradant ;

- son état de santé, qui nécessite une prise en charge chirurgicale et le jeune âge de sa fille, caractérisent une situation de grande vulnérabilité ;

- l'Etat, qui vient de fermer le centre d'hébergement de Roissy-en-Brie, et qui réduit le nombre de places d'hébergement d'urgence, ne peut être regardé comme accomplissant les diligences requises.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés le 27 septembre et le 2 octobre 2023, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A..., et d'autre part, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 29 septembre 2023, à 15 heures :

- le représentant de Mme A... ;

- Mme A... ;

- les représentants de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 2 octobre à 17 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 121-7 du code de l'action sociale et des familles : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) / 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ". L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu'appelle leur état. L'article L. 345-2-2 du même code dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. / Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier. / L'hébergement d'urgence prend en compte, de la manière la plus adaptée possible, les besoins de la personne accueillie, (...) ". Aux termes de son article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ".

3. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 2, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

4. Mme A..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de sa fille mineure, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France de leur attribuer un hébergement d'urgence. Elle relève appel de l'ordonnance du 22 septembre 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

5. Il résulte de l'instruction que, malgré les efforts de l'Etat pour accroître les capacités d'hébergement d'urgence à Paris et dans la région d'Ile-de-France, l'ensemble des besoins les plus urgents ne peut être satisfait. Tel est notamment le cas pour les familles avec des enfants. Dans la journée du 28 septembre 2023, seules 166 personnes sur 1272 ayant présenté une demande au Samu social, soit 13 % des demandeurs, ont pu se voir proposer un hébergement d'urgence. En outre, dans la semaine du 18 au 25 septembre 2023, seuls 242 mineurs sur 1 096 mineurs parmi les demandeurs, et 125 enfants de moins de 4 ans sur 519, soit respectivement 22 % et 24 %, se sont vu proposer un hébergement.

6. Il résulte de l'instruction que Mme A... et sa fille de 4 ans sont sans abri. Mme A... a régulièrement appelé le 115 depuis le 16 février 2023, et a bénéficié avec son enfant d'une prise en charge au titre de l'hébergement d'urgence entre le 24 mai et le 31 mai et entre le 4 juillet et le 4 août 2023. Il ressort d'un certificat médical émanant du service de chirurgie générale et digestive de l'hôpital qui assure le suivi de Mme A... que son état de santé nécessite une prise en charge chirurgicale, et qu'un logement est nécessaire pendant sa convalescence. Eu égard à la situation de cette famille, en particulier à l'état de santé de Mme A..., qui la place sans doute possible parmi les plus vulnérables, le refus du préfet de lui procurer, ainsi qu'à sa fille, un hébergement d'urgence révèle une carence de l'Etat justifiant que soit ordonné, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence, de prendre les mesures pour mettre cette famille à l'abri. Il y a lieu, par suite, d'ordonner à l'Etat de proposer à Mme A... et à sa fille un hébergement d'urgence et d'assurer leur accompagnement social, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la présente ordonnance. Il s'ensuit que les requérantes sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

7. Si les requêtes présentées au Conseil d'Etat sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont dispensées du ministère d'avocat et si, par suite, les requérants peuvent, s'ils ne les signent pas eux-mêmes, mandater à cet effet un avocat au barreau, l'aide juridictionnelle ne peut être accordée devant le Conseil d'Etat que pour obtenir le concours d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui peut seul percevoir la rétribution prévue à cet effet par la loi du 10 juillet 1991 ou demander le bénéfice des dispositions de l'article 37 de cette loi. Les demandes présentées par le mandataire des requérantes ne peuvent, par suite, être accueillies.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 22 septembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, de proposer à Mmes A... et Kuenmoé un hébergement d'urgence et d'assurer leur accompagnement social, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... A... ainsi qu'à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement.

Copie en sera adressée au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris.

Fait à Paris, le 4 octobre 2023

Signé : Jean-Yves Ollier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 488502
Date de la décision : 04/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 04 oct. 2023, n° 488502
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:488502.20231004
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