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21/09/2023 | FRANCE | N°488135

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 21 septembre 2023, 488135


Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) et l'Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner toutes mesures qu'il estimera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues au centre pénitentiaire de Perpignan et, d'autre part, d'enjo

indre au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de ...

Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) et l'Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner toutes mesures qu'il estimera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues au centre pénitentiaire de Perpignan et, d'autre part, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de la santé ou à toute autre autorité qu'il estimera utile, de mettre notamment en œuvre les mesures suivantes, sous astreinte :

- suspendre provisoirement les incarcérations, totalement ou partiellement, sur le modèle du dispositif " stop-écrou " mis en place dans la maison d'arrêt de Bordeaux-Gradignan, afin de réduire le niveau de surpopulation ;

- faire réaliser une étude afin d'analyser les raisons du faible taux d'aménagement de peine et de proposer des pistes de mesures à mettre en place ;

- éliminer, pour des raisons d'hygiène et de santé, la moisissure présente dans les cellules ;

- réaliser les travaux de rénovation et réhabilitation du système de ventilation des cellules qui le nécessitent ;

- procéder à la réparation ou au changement des fenêtres défectueuses ;

- s'assurer que chaque cellule dispose d'un éclairage artificiel ;

- procéder à la réparation et au remplacement des miroirs cassés ou manquants ;

- veiller à équiper chaque lit superposé d'une échelle ;

- équiper les placards d'étagères lorsqu'ils en sont dépourvus ;

- plus généralement, améliorer dans l'attente d'une solution pérenne, les conditions matérielles de vie en cellule ;

- prendre toutes mesures de nature à améliorer le cloisonnement des annexes sanitaires dans les cellules qui le nécessitent ;

- procéder à la réfection des sanitaires ainsi qu'à leur nettoyage, et en assurer une propreté pérenne ;

- pour des raisons d'hygiène, équiper les sanitaires de lunettes et d'abattants ;

- procéder au nettoyage et à la rénovation des toilettes mises à la disposition des personnes détenues en cours de promenade ;

- équiper les cours de promenade d'abris, de bancs et d'installations légères d'exercice ;

- équiper les douches collectives de cloisons individuelles, totales ou partielles, afin de garantir l'intimité des personnes détenues ;

- doter, dans les installations sanitaires collectives toutes les cabines de douche d'une porte et procéder à l'entretien et au nettoyage régulier de ces installations ;

- garantir à toutes personnes détenues un accès quotidien à une douche, en particulier s'agissant des femmes détenues pendant la période de menstruation ;

- procéder sans délai au traitement ou au remplacement des matelas infestés par des punaises ;

- amplifier les mesures tendant à la destruction des punaises de lit, éventuellement par la conclusion d'un nouveau contrat avec des entreprises spécialisées dans la destruction de ces nuisibles afin que leur nombre soit très substantiellement diminué dans le délai de trois mois à compter de la notification de la présente ordonnance ;

- mettre à même les détenus qui n'ont accès ni à un lave-linge, ni à un service de buanderie de pouvoir laver leur linge en leur fournissant le matériel nécessaire à cet effet ou en s'assurant qu'ils en sont dotés ;

- mettre en place un lavage plus régulier du linge fourni aux personnes détenues, participant à l'élimination des punaises de lit ;

- prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer un nettoyage régulier et suffisant des cours de promenade et du couloir y conduisant ;

- prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la propreté et le fonctionnement des urinoirs et des points d'eau situés en cours de promenade en procédant, si nécessaire, à leur rénovation ou à leur remplacement ;

- équiper les cours de promenade qui en sont dépourvues d'un abri, de bancs et d'installations permettant l'exercice physique ;

- procéder dans les plus brefs délais à l'enlèvement de la totalité des détritus accumulés dans l'ensemble des espaces extérieurs sur lesquels donnent les cellules et veiller par un nettoyage régulier à maintenir ces espaces dans des conditions de propreté satisfaisantes ;

- produire le dernier avis de la sous-commission de sécurité sur le centre pénitentiaire de Perpignan ;

- procéder immédiatement, selon les modalités techniques les plus appropriées, et dans toute la mesure compatible avec la protection de la santé des personnes détenues ainsi qu'avec la nécessité de garantir la continuité du service public pénitentiaire, à l'ensemble des réparations qui s'imposent pour faire cesser tout danger pour la sécurité des personnes détenues et mettre en œuvre les préconisations de la sous-commission de sécurité ;

- faire réaliser dans les meilleurs délais une vérification de la sécurité incendie de l'ensemble des cellules, en prenant en compte la surpopulation ;

- compte tenu de l'importance du risque d'incendie et du climat de violence au sein de l'établissement pénitentiaire, procéder à l'installation, dans les plus brefs délais, d'un système d'appel d'urgence au sein de chaque cellule ;

- procéder au renouvellement périodique des kits d'hygiène et de nettoyage qui doivent être remis gratuitement à l'ensemble des personnes détenues ;

- faire immédiatement cesser les comportements contraires à la déontologie observés au quartier disciplinaire ;

- diligenter une enquête des services compétents sur le comportement des surveillants au quartier disciplinaire, et en tirer toutes les conséquences ;

- effectuer, à titre conservatoire, un changement de l'équipe affectée au quartier disciplinaire ;

- produire une note de service rappelant les exigences attendues en termes de déontologie ;

- prendre toutes mesures utiles pour permettre un accès effectif des détenus aux téléphones mis à leur disposition dans les bâtiments et sur les cours de promenade ;

- assurer la traçabilité des décisions de fouille ainsi que la transmission systématique d'un rapport circonstancié au procureur de la République lorsque la fouille est réalisée sur le fondement de l'article L. 225-2 du code pénitentiaire ;

- assurer la notification systématique aux personnes détenues visées par les décisions de fouille prises sur le fondement de l'article L. 225-1 du code pénitentiaire ;

- proscrire les fouilles intégrales dans des lieux inadaptés ;

- prohiber tout comportement contraire à la déontologie lors des fouilles.

Par une ordonnance n° 2304698 du 22 août 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a, en premier lieu, admis les interventions de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats, A... des avocats de France et du Conseil national des barreaux et, en deuxième lieu, enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, et au préfet des Pyrénées-Orientales, pour ce qui le concerne :

- dans l'attente d'une solution pérenne, de procéder, dans les cellules où cela n'aura pas déjà été fait, à l'élimination de la moisissure présente dans les cellules, de procéder à la réparation ou au changement des fenêtres défectueuses et, de manière générale de remédier aux conditions d'insalubrité de ces cellules ;

- de faire procéder, dans les plus brefs délais, selon les modalités juridiques et techniques les plus appropriées, et dans toute la mesure compatible avec la protection de la santé des détenus et des autres personnes fréquentant l'établissement ainsi qu'avec la nécessité de garantir la continuité du service public pénitentiaire, à une opération d'envergure susceptible de permettre la désinsectisation de l'ensemble des locaux du centre pénitentiaire de Perpignan ;

- de faire réaliser, dans les meilleurs délais, une vérification de la sécurité électrique de l'ensemble des cellules et de procéder immédiatement, selon les modalités techniques les plus appropriées, et dans toute la mesure compatible avec la protection de la santé des détenus ainsi qu'avec la nécessité de garantir la continuité du service public pénitentiaire, à l'ensemble des réparations qui s'imposent, en particulier en ce qui concerne les fils électriques dénudés, pour faire cesser tout danger pour la sécurité des personnes détenues ;

- de faire immédiatement cesser les comportements contraires à la déontologie observés au quartier disciplinaire et de diligenter une enquête interne de l'établissement sur le comportement des surveillants au quartier disciplinaire.

La juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OIP-SF et l'A3D demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 22 août 2023 en ce qu'elle n'a pas fait droit à la totalité de leurs conclusions ;

2°) d'ordonner sous astreinte au garde des sceaux, ministre de la justice, de prendre toute mesure de nature à sauvegarder les droits fondamentaux des personnes détenues au centre pénitentiaire de Perpignan, et notamment de :

- suspendre provisoirement les incarcérations, totalement ou partiellement, sur le modèle du dispositif " stop-écrou " mis en place par la maison d'arrêt de Bordeaux-Gradignan, afin de réduire le niveau de surpopulation ;

- réaliser les travaux de rénovation et réhabilitation du système de ventilation des cellules qui le nécessitent ;

- s'assurer que chaque cellule dispose d'un éclairage artificiel ;

- procéder à la réparation et au remplacement des miroirs cassés ou manquants ;

- veiller à équiper chaque lit superposé d'une échelle ;

- prendre toutes mesures de nature à améliorer le cloisonnement des annexes sanitaires dans les cellules qui le nécessitent ;

- procéder à la réfection des sanitaires ainsi qu'à leur nettoyage, et en assurer une propreté pérenne ;

- pour des raisons d'hygiène, équiper les sanitaires de lunettes et d'abattants ;

- équiper les cours de promenade d'abris, de bancs et d'installations légères d'exercice ;

- garantir à toutes personnes détenues un accès quotidien à une douche, en particulier s'agissant des femmes détenues pendant la période de menstruation ;

- procéder au renouvellement périodique des kits d'hygiène et de nettoyage qui doivent être remis gratuitement à l'ensemble des personnes détenues ;

- prendre toutes mesures utiles pour permettre un accès effectif des détenus aux téléphones mis à leur disposition dans les bâtiments et sur les cours de promenade ;

- proscrire les fouilles intégrales dans des lieux inadaptés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- l'ordonnance du 22 août 2023 est entachée de méconnaissance de l'office du juge des référés qui l'a rendue dès lors que, pour refuser de prononcer les injonctions relatives à la suspension des incarcérations, à la rénovation du système de ventilation des cellules qui le nécessitent, à la pose de lunettes et abattants sur les toilettes et à l'équipement mobilier des cours de promenade, elle s'est fondée sur les circonstances que, d'une part, ces injonctions portaient sur des mesures d'ordre structurel insusceptibles d'être mises en œuvre à très bref délai et, d'autre part, l'administration pénitentiaire ne disposait d'aucun pouvoir de décision en matière de mise sous écrou, alors que, en premier lieu, ces mesures sont au nombre de celles que la situation permet de prendre utilement dans le cadre des pouvoirs que le juge des référés tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et, en second lieu, la mesure récente de " stop écrou " au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan montre que l'administration peut décider, en concertation avec les autorités judiciaires, de ne plus accueillir de personnes détenues dans un établissement surpeuplé ;

- la condition d'urgence est satisfaite ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, au droit au respect de la vie privée et au principe de dignité de la personne humaine ;

- les mesures mises en œuvre par l'administration visant à réduire la surpopulation du centre pénitentiaire de Perpignan sont insuffisantes ;

- la moisissure présente dans les cellules résulte, pour une large part, des installations de ventilation défectueuses ;

- l'audit relatif à l'éclairage artificiel dans les cellules produit par l'administration en première instance ne permet pas d'établir que les dispositifs d'éclairage sont en état de fonctionnement dans l'ensemble des cellules ;

- les toilettes en cellules ne sont pas ou que partiellement cloisonnées, et la circonstance que la dégradation des installations sanitaires soit imputable à certaines personnes détenues ne saurait soustraire l'administration à l'obligation qui pèse sur elle de garantir à toutes personnes incarcérées des conditions de détention respectueuses de la dignité humaine ;

- le constat d'huissier produit par l'administration en première instance attestant du décrassage des sanitaires dans quatre cellules ne saurait démontrer que l'ensemble des toilettes de l'établissement a effectivement bénéficié d'un nettoyage intensif, et la mesure consistant à mettre à disposition des personnes détenues des produits d'entretien est insuffisante ;

- les cours de promenade du quartier maison d'arrêt pour hommes et du centre de détention sont dépourvues de tout mobilier et équipement, et leurs abris sont trop exigus pour protéger les personnes détenues des intempéries ou du soleil ;

- les fortes chaleurs rencontrées actuellement dans la région de Perpignan ainsi que la situation sanitaire de l'établissement, et notamment son infestation par les punaises de lit, justifient, d'une part, qu'il soit accordé plus de trois douches par semaine aux personnes incarcérées, en particulier lorsqu'elles souffrent de nombreuses piqûres et, d'autre part, que l'accès des personnes détenues aux produits d'hygiène personnelle soit renforcé ;

- les nombreuses pannes touchant les postes téléphoniques en cellule et la présence d'une seule cabine téléphonique par coursive justifient de prendre toutes mesures utiles pour permettre un maintien effectif des liens personnels et familiaux des personnes détenues ;

- le fait que les fouilles intégrales aient lieu dans des lieux inadaptés ne permet pas de garantir le respect de la dignité des personnes détenues.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénitentiaire ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. La section française de l'Observatoire international des prisons et l'Association pour la défense des droits des détenus (A3D) ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner diverses mesures pour faire cesser des atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues au centre pénitentiaire de Perpignan. Par une ordonnance du 22 août 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a fait partiellement droit à leur demande. La section française de l'Observatoire international des prisons et l'Association pour la défense des droits des détenus relèvent appel de cette ordonnance en tant qu'elle a rejeté certaines de leurs demandes.

Sur le cadre juridique du litige :

3. Aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue ".

4. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et lorsque la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Sur les pouvoirs que le juge des référés tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

5. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

6. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 précité et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.

Sur la demande en référé :

7. La Section française de l'observatoire international des prisons et l'Association pour la défense des droits des détenus (A3D) soutiennent que les conditions de détention constatées au sein du centre pénitentiaire de Perpignan, constituant une atteinte grave et manifestement illégale aux droits garantis par les articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'à la dignité des détenus, justifient d'enjoindre à l'administration d'y mettre fin en exécutant les mesures qu'ils demandent.

En ce qui concerne les mesures à caractère structurel :

8. En premier lieu, pour rejeter la demande des associations requérantes d'enjoindre à l'administration de suspendre les incarcérations, totalement ou partiellement, au besoin sur le modèle du " dispositif " stop-écrou " " mis en place à la maison d'arrêt de Bordeaux-Gradignan, afin de réduire le taux de surpopulation carcérale au sein du centre pénitentiaire de Perpignan, la juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a estimé que " l'intervention de mesures mettant fin à la surpopulation carcérale ne peut, compte tenu de l'ampleur de ce phénomène au sein du centre pénitentiaire de Perpignan, que s'inscrire dans le cadre de mesures structurelles ", que " l'administration pénitentiaire ne dispose d'aucun pouvoir de décision en matière de mises sous écrou, lesquelles relèvent exclusivement de l'autorité judiciaire " et qu'enfin, l'administration pénitentiaire et l'autorité judiciaire, conscientes de la situation de surpopulation carcérale de l'établissement de Perpignan avaient pris différentes mesures pour développer les alternatives à l'incarcération et transférer certains détenus vers d'autres établissements. Si les requérantes font valoir en appel que " l'expérience récente d'une mesure de " stop écrou " au centre de Bordeaux-Gradignan " montre que l'administration peut décider, à bref délai, en concertation avec les autorités judiciaires, de ne plus accueillir de personnes détenues dans un établissement fortement surpeuplé, il n'est pas établi que cette pratique, dont elles n'attestent que par la production d'un article de presse, correspondrait à la mise en œuvre de pouvoirs dont dispose légalement l'administration pénitentiaire et qui, en tout état de cause, participerait d'un choix de politique publique. Elles ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a jugé que l'injonction demandée ne relevait pas des mesures qu'elle pouvait ordonner à l'administration de prendre.

9. En second lieu, les associations requérantes ne sont pas fondées à demander au juge des référés d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de réaliser des travaux de rénovation et de réhabilitation du système de ventilation des cellules et d'équiper les cours de promenade d'abris, de bancs et d'installations légères permettant l'exercice physique qui, comme l'a jugé la juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, portent sur des mesures d'ordre structurel insusceptibles d'être mises en œuvre à très bref délai.

En ce qui concerne les conditions matérielles de détention dans les cellules du centre pénitentiaire de Perpignan :

10. En premier lieu, d'une part, les associations requérantes ne contestent pas les motifs de l'ordonnance attaquée selon lesquels " il résulte de l'instruction que l'administration a d'ores et déjà entamé les procédures pour s'approvisionner en échelles de lit et de miroirs afin de procéder aux remplacements de ces éléments de mobilier dans les cellules qui en seraient dépourvues ". D'autre part, en ce qui concerne l'état de l'éclairage artificiel des cellules, la juge des référés a estimé qu'il résultait de l'instruction qu'elle avait conduite que la mesure sollicitée pouvait être regardée comme exécutée dès lors qu'un audit mené en juin 2023 permettait de constater l'absence de système d'éclairage défectueux et qu'en tout état de cause la procédure de maintenance permettait de pallier les dysfonctionnements lorsqu'ils survenaient, l'administration traitant les signalements. Si les associations requérantes contestent la réalité et la fiabilité de l'audit, elles n'apportent aucun élément nouveau de nature à remettre en cause les motifs de l'ordonnance selon lesquels les procédures de maintenance sont mises en œuvre au sein de l'établissement pénitencier et permettent de résoudre les dysfonctionnements du système d'éclairage artificiel en cellule.

11. En deuxième lieu, si la juge des référés a rappelé le constat établi par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans ses dernières recommandations selon lequel " dans un grand nombre de cellules, les cloisons latérales censées séparer les sanitaires du reste de la pièce sont dégradées, partiellement manquantes voire absentes et remplacées par des rideaux artisanaux confectionnés avec des draps ou des serviettes ", corroboré par le cahier photographique qui y est annexé, elle a relevé que " d'une part, l'administration fait valoir sans être contredite que l'absence de certaines portes battantes type " saloon " résulte de dégradations effectuées par les détenus et que les portes défectueuses sont régulièrement réparées ou remplacées. D'autre part, les dispositifs artisanaux mis en œuvre par les détenus eux-mêmes et décrits par la CGLPL permet d'assurer provisoirement une séparation des sanitaires des cellules du reste de l'espace de la cellule ". Les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que la juge des référés a déduit de ces constatations que cette situation n'était pas constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés fondamentaux des détenus à laquelle il pourrait être remédiée par des mesures d'urgence.

12. En troisième lieu, pour juger que les associations requérantes n'étaient pas fondées à demander qu'il soit enjoint à l'administration de procéder au nettoyage des sanitaires dans les cellules, la juge des référés a relevé d'une part qu'il résulte de l'instruction que l'administration pénitentiaire a procédé au décrassage des sanitaires dans les cellules au moins pour une partie d'entre elles, d'autre part que " l'administration fait valoir en défense qu'est remis à chaque personne détenue un kit d'entretien à son arrivée puis mensuellement, comprenant un produit multi-usage, des sacs poubelle, un flacon d'eau de javel, deux éponges, un produit lessive, une serpillère et un torchon ", comme le prévoit l'article R. 321-4 du code pénitentiaire et que d'autres produits d'entretien sont remis périodiquement aux détenus en application du règlement intérieur de l'établissement. Contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes, ces mesures sont, comme l'a jugé la juge des référés, de nature à établir que l'état des sanitaires dans les cellules n'est pas constitutif d'une atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés fondamentaux des détenus, non plus que l'absence de lunettes et d'abattants sur les toilettes.

En ce qui concerne l'accès aux douches :

13. Pour rejeter la demande des associations requérantes tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de garantir à toutes personnes détenues un accès quotidien à une douche, en particulier s'agissant des femmes détenues pendant leur période de menstruation, la juge des référés a relevé que " l'administration fait valoir qu'en application de l'article 12 du règlement intérieur de l'établissement, trois douches par semaines sont proposées aux détenus, que ces derniers, et notamment les femmes, bénéficient également de douches en cours de promenade à raison de deux tours de douche par jour et que des tours de douches supplémentaires sont autorisés pour les auxiliaires, après le sport et après les formations " et estimé que ces conditions d'accès aux douches ne caractérisaient pas d'atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées. En se bornant à soutenir " que la situation sanitaire de l'établissement, et notamment son invasion par les punaises de lit, justifie qu'il soit accordé plus de trois douches par semaine aux personnes incarcérées ", les associations requérantes n'apportent pas d'éléments nouveaux de nature à remettre en cause, sur ces points, l'appréciation de la juge des référés du tribunal administratif qui a, par ailleurs, enjoint à l'administration de faire procéder, dans les plus brefs délais, à une la désinsectisation de l'ensemble des locaux du centre pénitentiaire de Perpignan.

En ce qui concerne les kits d'hygiène et de nettoyage distribués aux personnes détenues :

14. En se bornant à affirmer " qu'eu égard aux fortes chaleurs rencontrées actuellement dans la région de Perpignan et à la prolifération de punaises de lit au sein du centre pénitentiaire, il est indispensable de renforcer l'accès des personnes détenues aux produits d'hygiène personnelle ", les associations requérantes n'apportent aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation très circonstanciée de la juge des référés du tribunal administratif qui a conclu à l'absence sur ce point d'atteinte grave et manifestement illégale aux droits fondamentaux des détenus.

En ce qui concerne le maintien des liens personnels et familiaux des personnes détenues :

15. Pour rejeter la demande des associations requérantes qu'il soit enjoint à l'administration de prendre toutes mesures utiles pour permettre l'accès effectif des détenus aux téléphones mis à leur disposition dans les bâtiments et dans les cours promenades, la juge des référés a relevé que " l'administration fait valoir que toutes les cellules sont équipées de téléphones, à l'exception de celles du quartier disciplinaire, et que des cabines sont également disponibles en coursives et en cours de promenade. Elle précise que lorsqu'une cabine est hors service, les personnes détenues sont autorisées à utiliser celles situées dans les coursives, et décrit le système de maintenance pris en charge par le prestataire technique Telio via sa plateforme. Elle ajoute que chaque personne détenue ayant le statut de condamné arrivant dans l'établissement se voit remettre une carte téléphonique à titre gratuit " et a estimé que " ces conditions d'accès aux téléphones ou cabines, dont il n'est pas établi que la maintenance serait défaillante, ne portent pas une atteinte grave et manifestement disproportionnée aux droits des détenus au respect de leur vie privée et familiale en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. " En se bornant à soutenir que les mesures ainsi relevées par la juge des référés ne seraient pas suffisantes, les associations requérantes ne remettent pas sérieusement en cause son appréciation.

En ce qui concerne les fouilles intégrales :

16. En se bornant à citer les motifs d'une ordonnance d'un juge des référés du Conseil d'Etat selon lesquels la réalisation de fouilles intégrales des personnes détenues dans les locaux des douches de l'établissement ne garantit pas le respect de leur dignité, les associations requérantes ne remettent pas sérieusement en cause l'appréciation de la juge des référés qui, après avoir relevé que les fouilles intégrales des personnes détenues " ont lieu dans une cabine de fouilles sauf pour les bâtiments d'hébergement qui n'en sont pas dotés mais pour lesquels un projet est en cours pour être réalisé en 2024, que chaque fouille est enregistrée dans l'application Genesis, que les agents comme les détenus sont informés des modalités des fouilles et de l'évolution de la législation par des notes de services " et qu'il " ne résulte pas de l'instruction que des fouilles illégales de personnes détenues seraient actuellement pratiquées au sein de l'établissement pénitentiaire ", a estimé que les conditions de réalisation des fouilles corporelles dans cet établissement ne caractérisaient pas d'atteintes aux droits et libertés fondamentaux nécessitant l'intervention d'une mesure de sauvegarde dans de très brefs délais.

17. Il résulte de tout ce qui précède que les associations requérantes ne sont manifestement pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Montpellier n'a pas intégralement fait droit à leurs conclusions à fin d'injonction. Par suite, leur requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) et de l'Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) et à l'Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D).

Fait à Paris, le 21 septembre 2023

Signé : Gilles Pellissier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 488135
Date de la décision : 21/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 sep. 2023, n° 488135
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET ; SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 27/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:488135.20230921
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