Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 et 30 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Philip Morris France demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 17 juillet 2023 modifiant l'arrêté du 19 mai 2016 relatif aux modalités d'inscription des avertissements sanitaires sur les unités de conditionnement des produits du tabac, des produits du vapotage, des produits à fumer à base de plantes autres que le tabac et du papier à rouler les cigarettes ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, en premier lieu, qu'il existe un intérêt public à faire cesser la violation des droits conférés par l'ordre juridique communautaire et le risque de compromettre la poursuite de ses objectifs, l'article 29 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 et l'arrêté du 17 juillet 2023 méconnaissant les objectifs de la directive de base 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 et de la directive déléguée (UE) 2022/2100 de la Commission du 29 juin 2022, en deuxième lieu, qu'elle s'expose, si elle se conforme au droit de l'Union européenne en violation du droit interne, à des sanctions pénales et civiles, en troisième lieu, que l'absence de suspension de l'arrêté attaqué l'expose à supporter des surcoûts de modification des conditionnements de ses produits d'un montant total estimé à 800 000 euros, et, en dernier lieu, qu'il n'existe aucun motif impérieux relatif à la santé publique justifiant la suspension de l'exécution de l'arrêté attaqué ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- les dispositions de l'article 29 de la loi du 9 mars 2023 sont entachées d'inconventionnalité en ce qu'elles méconnaissent la directive 2014/40/UE dès lors que, d'une part, elles soumettent tous les produits du tabac chauffé aux mêmes obligations d'étiquetage, notamment d'avertissements sanitaires, que les cigarettes alors même que la directive déléguée ne prévoit cette obligation que pour les produits du tabac à fumer et, d'autre part, elles suppriment l'obligation d'apposer les avertissements sanitaires prévus pour les conditionnements des produits à fumer ;
- l'arrêté attaqué est, d'une part, entaché d'inconventionnalité en ce qu'il méconnaît les objectifs de la directive déléguée et de la directive du 3 avril 2014 et, d'autre part, il méconnaît le principe de sécurité juridique en ce que, contrairement à l'application de la directive déléguée et de l'entrée en vigueur de la loi le 23 octobre 2023, il ne prévoit pas d'entrée en vigueur différée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 août 2023, le ministre de la santé et de la prévention conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 ;
- la directive déléguée (UE) 2022/2100 de la Commission du 29 juin 2022 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Philip Morris France, et d'autre part, le ministre de la santé et de la prévention ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 31 août 2023, à 11 heures :
- les représentants de la société Philip Morris France ;
- les représentants du ministre de la santé et de la prévention ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit, enfin, être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés statue.
Sur le cadre juridique et les dispositions critiquées :
3. La directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes a, aux termes de son article 1er, " pour objectif le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant : (...) b) certains aspects de l'étiquetage et du conditionnement des produits du tabac, notamment les avertissements sanitaires devant figurer sur les unités de conditionnement et sur tout emballage extérieur, ainsi que les dispositifs de traçabilité et de sécurité qui s'appliquent aux produits du tabac afin de garantir le respect de la présente directive par ceux-ci (...) ". A cet effet, ses articles 8, 9, 10 et 11 définissent les obligations relatives aux avertissements sanitaires à apposer sur les produits du tabac à fumer, dont elle régit le contenu et la forme. L'article 12 est relatif à l'étiquetage des produits du tabac sans combustion. La directive déléguée (UE) 2022/2100 de la Commission du 29 juin 2022 a modifié notamment l'article 11 de cette directive, afin de tenir compte de l'existence d'un nouveau produit du tabac, dit " produit du tabac chauffé " défini comme " du tabac qui est chauffé pour produire une émission contenant de la nicotine et d'autres produits chimiques, qui est ensuite inhalé par les utilisateurs et qui, selon ses caractéristiques, est un produit du tabac sans combustion ou un produit du tabac à fumer ".
4. L'article 29 de la loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail et de l'agriculture, pris pour la transposition de ces dispositions, a modifié l'article L. 3512-22 du code de la santé publique, qui dispose, dans sa version applicable à compter du 23 octobre 2023, que : " I.- Les unités de conditionnement et les emballages extérieurs portent, dans les conditions fixées par un arrêté du ministre chargé de la santé :/1° Pour les cigarettes, le tabac à rouler, le tabac à pipe, le tabac à pipe à eau, les cigares, les cigarillos et le tabac à chauffer :/a) Un avertissement sanitaire apposé deux fois, comportant notamment les informations relatives au sevrage tabagique, combiné avec une photographie ;/b) Un avertissement général. Ce message est apposé deux fois lorsque ces produits sont conditionnés dans des boites pliantes à couvercle basculant ;/c) Un message d'information ;/2° Pour les autres produits du tabac, un avertissement sanitaire apposé deux fois (...) ". Par l'arrêté litigieux du 17 juillet 2023, applicable à compter du 23 octobre 2023, le ministre de la santé et de la prévention a modifié l'arrêté du 19 mai 2016 pris sur le fondement des dispositions législatives citées ci-dessus, en distinguant, pour les avertissements sanitaires, d'une part, les cigarettes, le tabac à rouler, le tabac à pipe, le tabac à pipe à eau, les cigares, les cigarillos et le tabac à chauffer, d'autre part, les autres produits du tabac.
5. La société Philip Morris France demande la suspension de l'exécution des dispositions de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin de suspension :
6. Pour caractériser l'urgence qui s'attache, selon elle, à la suspension de l'exécution de cet arrêté, la requérante relève l'intérêt public qui s'attache à ce que soient prises les mesures provisoires nécessaires pour faire cesser immédiatement une atteinte à des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européen, l'assimilation de tous les produits du tabac chauffés à des produits du tabac à fumer par le législateur et l'arrêté litigieux méconnaissant les objectifs des directives citées ci-dessus. Elle fait également valoir le préjudice grave et immédiat que représentent les surcoûts, évalués à 0,8 million d'euros, de modification des conditionnements d'un produit qu'elle commercialise, qui, aujourd'hui, est regardé comme un produit du tabac sans combustion mais devra, à compter du 23 octobre prochain, comporter les avertissements sanitaires des tabacs à fumer et devrait, en cas d'annulation, retrouver son étiquetage d'origine. Elle soutient enfin être exposée à des sanctions civiles et pénales en cas de méconnaissance de la règlementation.
7. S'il y a lieu, le cas échéant, dans la balance des intérêts à laquelle procède le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, pour apprécier si la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, de tenir compte de ce que l'intérêt public commande que soient prises les mesures provisoires nécessaires pour faire cesser immédiatement l'atteinte aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas constitutive d'une situation d'urgence justifiant, par elle-même et indépendamment de toute autre considération, la suspension de la décision contestée. En l'espèce, ni le coût devant être supporté par la société Philip Morris pour se conformer aux dispositions litigieuses, dont il n'est, en tout état de cause, pas soutenu qu'il représente une part importante de son chiffre d'affaires, ni l'éventualité de sanctions en cas de non-respect de la règlementation litigieuse, qui ne saurait constituer un préjudice, ne peuvent être regardés comme de telles considérations.
8. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut pas être regardée comme remplie. Par suite, il y a lieu, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté, de rejeter la présente requête, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du même code.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société Philip Morris France est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Philip Morris France et au ministre de la santé et de la prévention.
Fait à Paris, le 7 septembre 2023
Signé : Nicolas Boulouis