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24/08/2023 | FRANCE | N°482421

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 24 août 2023, 482421


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder à la fermeture provisoire du centre de rétention administrative de Marseille situé au Canet, en deuxième lieu, de prendre toutes mesures utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes retenues dans le centre et d'enjoindr

e à l'autorité compétente de faire procéder aux travaux nécessaires ...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder à la fermeture provisoire du centre de rétention administrative de Marseille situé au Canet, en deuxième lieu, de prendre toutes mesures utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes retenues dans le centre et d'enjoindre à l'autorité compétente de faire procéder aux travaux nécessaires en matière de sécurité et de salubrité tels que la réparation du système de sécurité incendie, la réparation et la mise aux normes de sécurité du système de climatisation, la réparation du système de production d'eau froide/eau chaude, la réfection des cellules dégradées, la mise aux normes en matière d'aération des cellules, le nettoyage et l'entretien des cours de promenade, la mise en place d'un suivi médical effectif et plus particulièrement une permanence comprenant un temps de psychologue et, en dernier lieu, de faire usage en tant que de besoin de ses pouvoirs d'instruction en prescrivant une expertise, en procédant à une visite des lieux ou en sollicitant un avis technique. Par une ordonnance n° 2306815 du 28 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, en premier lieu, admis M. B... au bénéfice provisoire de l'aide juridictionnelle, en deuxième lieu, admis les interventions volontaires de la fédération nationale des unions de jeunes avocats, de l'union des jeunes avocats d'Aix-en-Provence et de l'union des jeunes avocats de Marseille au soutien de la requête de M. B... et, en dernier lieu, rejeté sa requête.

Par une requête, enregistrée le 11 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône d'ordonner la fermeture provisoire du centre de rétention administrative de Marseille situé au Canet ;

2°) de prendre toutes les mesures utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes retenues dans ce centre de rétention ;

3°) d'enjoindre à l'administration compétente de prendre les mesures suivantes :

- la réparation du système de production d'eau froide et d'eau chaude ;

- la réfection des cellules dégradées, comprenant notamment un nettoyage des murs et de nouvelles peintures ;

- les travaux de mise aux normes, en termes d'aération des cellules ;

- les travaux de nettoyage et entretien des cours de promenade ;

- la mise en place d'un suivi médical effectif et plus particulièrement une permanence comprenant un temps de psychologue ;

4°) de l'admettre au bénéfice provisoire de l'aide juridictionnelle ;

5°) de mettre à la charge de l'administration la somme de 1 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, il est soumis de manière continue, au sein du centre de rétention administrative, à des traitements inhumains et dégradants alors qu'il se trouve dans une situation de vulnérabilité et de dépendance vis-à-vis de l'administration et, d'autre part, il est exposé à de multiples dangers objectifs et immédiats pour sa vie et son intégrité physique et morale en raison des conditions de détention dans lesquelles il est retenu ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale plusieurs libertés fondamentales ;

- le fait, pour l'administration, de ne pas remédier aux conditions indignes de rétention caractérisées notamment par le défaut d'ordre et de sécurité, des locaux insalubres et l'absence d'eau chaude, constitue une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants ainsi qu'au droit au respect de la dignité humaine ;

- la carence de l'administration porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi qu'au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé, dès lors qu'elle entraîne des complications d'accès à l'unité médicale et, en l'absence de psychologue ou de psychiatre, un défaut d'accès à des soins de cette nature.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté interministériel du 17 décembre 2021 relatif à la prise en charge sanitaire des personnes retenues dans les centres de rétention administrative ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder à la fermeture provisoire du centre de rétention administrative de Marseille situé au Canet et de prendre toutes mesures utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes retenues dans le centre. Par une ordonnance du 28 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.

Sur l'office du juge des référés :

2. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Enfin, en vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

3. Il résulte en outre de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

Sur le cadre juridique du litige :

4. Eu égard à la vulnérabilité des personnes retenues et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux chefs des centres de rétention, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Sur la requête :

5. Le requérant indique en premier lieu qu'un premier incendie est survenu dans le centre de rétention dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 2023, qui a entraîné la mort d'un retenu et détruit deux " peignes " du bâtiment. Un second incendie dans la nuit du 17 au 18 juillet 2023 a détruit partiellement une chambre au sein d'un autre " peigne ". Il souligne que ces incendies n'ont fait que renforcer un climat généralisé de violences entre personnes retenues. Il résulte des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Marseille que des comportements violents de personnes retenues - comportements d'une grande gravité parfois - sont régulièrement constatés au sein des locaux du centre de rétention. Le requérant ne fait toutefois état dans ses écritures d'aucun fait particulier de violence dont il aurait été victime ou témoin. Les éléments généraux sur le climat sécuritaire au sein de l'établissement ne suffisent pas à caractériser, à eux seuls et à la date de la présente ordonnance, une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de la dignité de la personne humaine et à son droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants de nature à justifier la fermeture du centre.

6. Le requérant rapporte en deuxième lieu le témoignage du chef du centre, qui indique que le bâtiment est très dégradé et constate un délabrement important des installations collectives. Cependant, et alors que le requérant ne conteste pas l'appréciation portée par le premier juge sur les travaux de remise en état effectués par l'administration à la suite des deux incendies, le moyen tiré de l'insalubrité des locaux n'est pas assorti d'autres précisions, et notamment pas celles de nature à permettre d'apprécier le caractère grave et manifestement illégal de l'atteinte aux libertés fondamentales invoquées.

7. Le requérant souligne en troisième lieu l'absence d'eau chaude au sein du centre de rétention, ce qui impose notamment de prendre des douches froides. Il résulte des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Marseille que le système actuel de production et distribution d'eau au sein du centre ne permet pas de disposer simultanément d'eau froide, tiède ou chaude aux robinets, et qu'alors que seule de l'eau chaude était disponible, le système de distribution d'eau du centre a été inversé au cours de l'été pour aider les personnes retenues à moins souffrir de la chaleur. Il en résulte en outre que des travaux destinés à modifier de manière pérenne les installations de plomberie des bâtiments, notamment pour disposer en même temps d'eau chaude et d'eau froide, ont fait l'objet d'un marché public en cours d'exécution d'ici le mois de décembre 2023. Dans ces conditions, le requérant ne peut être regardé comme établissant l'existence d'une carence caractérisée de l'administration à prendre les mesures nécessaires à prévenir des traitements inhumains et dégradants ou contraires au respect de sa dignité.

8. M. B... soutient en quatrième lieu qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi qu'au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé, dès lors que la prise en charge médicale des retenus n'est pas conforme aux dispositions de l'article 4 de l'arrêté du 17 décembre 2021 relatif à la prise en charge sanitaire des personnes retenues dans les centres de rétention administrative, selon lesquelles " chaque unité médicale du centre de rétention comprend des temps de : médecins, infirmiers, pharmaciens, psychologues, secrétaires médicaux " et que " l'accès à un psychiatre est assuré en dehors des situations d'urgence ". Toutefois, s'il soutient que le suivi psychologique dont il bénéficiait en détention " compte tenu de sa pathologie psychiatrique " a dû être suspendu en rétention en raison de l'absence de présence de temps de psychologue, il n'apporte au soutien de cette affirmation aucun élément établissant la réalité et la gravité de la pathologie en cause et les conséquences d'une absence de prise en charge. Il ne peut par suite se prévaloir sur ce point de l'urgence particulière exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

9. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, de rejeter la requête d'appel de M. B..., y compris ses conclusions à fins d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et sans qu'il y ait lieu de l'admettre au bénéfice provisoire de l'aide juridictionnelle.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B....

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.

Fait à Paris, le 24 août 2023

Signé : Thomas Andrieu


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 482421
Date de la décision : 24/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 24 aoû. 2023, n° 482421
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:482421.20230824
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