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24/08/2023 | FRANCE | N°476395

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 24 août 2023, 476395


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Caen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de mettre fin sans délai aux conditions de détention auxquelles il est soumis qui portent atteinte à ses droits fondamentaux, en troisième lieu, d'ordonner son extraction. Par une ordonnance n° 2301946 du 24 juillet 2023

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Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Caen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de mettre fin sans délai aux conditions de détention auxquelles il est soumis qui portent atteinte à ses droits fondamentaux, en troisième lieu, d'ordonner son extraction. Par une ordonnance n° 2301946 du 24 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a, d'une part, admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions.

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Caen du 24 juillet 2023 ;

2°) de faire application, eu égard à la nature de l'affaire, des dispositions de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, afin que la juridiction de céans soit une formation composée de trois juges des référés ;

3°) d'enjoindre à la direction de l'administration pénitentiaire de mettre fin immédiatement au régime de détention portant atteinte à ses droits fondamentaux ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros hors taxes, soit 3 600 euros toutes taxes comprises, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le renvoi de sa requête en formation collégiale, sur le fondement de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, doit être ordonné eu égard à la particularité de sa situation ;

- l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Caen du 24 juillet 2023 est entachée d'un vice de forme en ce qu'elle ne comporte aucune signature du greffier d'audience ;

- la condition d'urgence est satisfaite, d'une part, eu égard aux régimes de fouilles intégrales systématiques et au placement à l'isolement auxquels il est soumis depuis neuf ans, dont il appartient au juge des référés de vérifier qu'ils ne sont pas constitutifs de traitements inhumains et dégradants, et, d'autre part, dès lors que les rejets précédents de ses requêtes en référé ont porté atteinte à son droit à un recours effectif ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- le régime de détention auquel il est soumis méconnaît le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants dès lors que, d'une part, l'isolement a un effet délétère sur sa santé mentale et physique et, d'autre part, le cumul et la juxtaposition des mesures hautement sécuritaires qui lui sont imposées vont au-delà de ce qui est nécessaire pour le maintien de l'ordre et de la sécurité de l'établissement et des personnes ;

- le régime de détention auquel il est soumis méconnaît son droit à un procès équitable et son droit à un recours effectif, tel que protégés, respectivement, par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que, d'une part, sa récente affectation au centre de détention d'Alençon-Condé-sur-Sarthe restreint les possibilités de préparation de sa défense avec ses avocats, qui sont établis à 250 kilomètres de son lieu de détention, en vue de sa comparution devant la cour d'assises de Paris prévue du 5 septembre 2023 au 20 octobre 2023 et, d'autre part, les ordonnances rejetant ses demandes de suspension des mesures portant atteinte à ses droits n'ont fait l'objet d'aucune réelle instruction et ne permettent pas d'examiner ses griefs au fond ;

- le régime de détention auquel il est soumis porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que le dispositif de séparation et hygiaphone aux parloirs entraîne un délitement de ses liens familiaux et des difficultés physiques dues à l'absence de communication avec ses proches ;

- le régime de détention auquel il est soumis est manifestement illégal dès lors que, d'une part, le cumul des mesures de sécurité n'est pas nécessaire car son comportement démontre qu'il ne crée aucun danger au sein de l'établissement d'affectation et, d'autre part, les mesures ne prennent pas en compte sa santé, le respect sa dignité et de sa vie privée et familiale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénitentiaire ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. D'une part, aux termes de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 8 de cette même convention : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Aux termes de l'article 6 de cette convention : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) 3. Tout accusé a droit notamment à : (...) b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; / c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (...) ". Aux termes de l'article 13 de la même convention : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue (...) ".

4. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

5. En premier lieu, il résulte de la minute de la décision attaquée que le moyen tiré de ce que cette décision ne serait pas signée manque en fait.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction conduite devant le juge des référés du tribunal administratif de Caen que M. A... fait l'objet d'un régime de détention particulièrement strict, comportant des mesures de surveillance au nombre desquelles des visites nocturnes visant à prévenir d'éventuels troubles ou préparatifs d'évasion avec violences, des fouilles fréquentes ou l'utilisation d'un hygiaphone pour ses visites au parloir, et des mesures d'isolement renforcé. L'administration a fait valoir, tant dans ses productions en première instance qu'à l'audience tenue devant le premier juge, que ce régime de détention est justifié par le profil dangereux de M. A..., tenant à ses multiples condamnations, entre 2018 et 2021, pour un ensemble de crimes avec récidive dont deux évasions avec violences, la seconde de ces évasions devant être jugée devant la cour d'assises de Paris à l'automne 2023. Ces faits et condamnations, qui sont recensés avec précision dans l'ordonnance attaquée, ainsi que l'appartenance de longue date de l'intéressé au grand banditisme, ont notamment conduit à son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés, conformément aux dispositions de l'article D. 223-11 du code pénitentiaire. L'instruction devant le premier juge a également établi que M. A... a fait l'objet en novembre 2021 d'un avertissement pour avoir communiqué avec deux personnes non enregistrées sur la liste de ses contacts téléphoniques autorisés, et a eu des comportements insultants à l'égard des personnels pénitentiaires.

7. Si M. A... a fait valoir, sans être sérieusement contredit, que son comportement s'est récemment amélioré, il résulte également de l'instruction devant le premier juge qu'il passe de très nombreux appels téléphoniques, reçoit des visites régulières, de sa famille notamment, dispose de deux heures de promenade par jour et de la possibilité de faire du sport. Si M. A... soutient en appel, comme il l'avait fait en première instance, que ses conditions de détention portent atteinte à sa santé, et a produit des éléments établissant qu'il souffre de certaines pathologies, il résulte également de l'instruction devant le premier juge que, par un avis du 10 mai 2023, le médecin-chef de l'unité sanitaire a estimé que M. A... ne présentait aucune contre-indication médicale à la prolongation de la mesure d'isolement dont il fait l'objet.

8. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, tous établis par l'instruction conduite devant le juge des référés du tribunal administratif de Caen, d'une part, que les conditions de détention particulières de M. A... sont justifiées par le risque que révèlent les faits criminels ayant donné lieu à ses multiples condamnations, et notamment par les conditions dans lesquelles se sont déroulées ses deux évasions avec violences, et ne sont pas disproportionnées au regard de ce risque, et d'autre part, que la situation de M. A..., et notamment les difficultés de santé dont il se prévaut, ne sont pas d'une gravité telle qu'elles justifieraient que soient ordonnées en urgence, par application des pouvoirs que le juge administratif tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, des mesures spécifiques visant à atténuer les mesures d'isolement et de surveillance dont il fait l'objet.

9. En troisième lieu, si M. A... fait valoir que son transfert au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe l'a éloigné de Paris où doit se tenir son prochain procès en cour d'assises, portant atteinte à la possibilité pour lui de préparer efficacement sa défense, il ressort des observations présentées au cours de l'audience tenue par le premier juge que ce transfert a été rendu nécessaire par des raisons de sécurité, et que l'intéressé devrait regagner prochainement la région parisienne. Il en résulte également que M. A... a bénéficié depuis son transfert au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe de plusieurs entretiens avec ses avocats au parloir et qu'il s'entretient régulièrement avec ceux-ci par téléphone. Dans ces conditions, et comme l'a relevé à bon droit le premier juge, aucun élément n'établit qu'il serait empêché de communiquer et de correspondre avec ses avocats en vue de préparer utilement sa défense.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la requête de M. A... est manifestement mal fondée et quelle doit être rejetée, y compris les conclusions sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A....

Une copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice.

Fait à Paris, le 24 août 2023

Signé : Cyril Roger-Lacan


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 476395
Date de la décision : 24/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 24 aoû. 2023, n° 476395
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:476395.20230824
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