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01/08/2023 | FRANCE | N°476413

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 01 août 2023, 476413


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 6 juin 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a prononcé son transfert aux autorités suisses responsables de l'examen de sa demande d'asile au titre du règlement Dublin III et de l'arrêté du 9 juin 2023 prononçant son assignation à résidence, et d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa situation dans un délai de sep

t jours, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard.



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Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 6 juin 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a prononcé son transfert aux autorités suisses responsables de l'examen de sa demande d'asile au titre du règlement Dublin III et de l'arrêté du 9 juin 2023 prononçant son assignation à résidence, et d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa situation dans un délai de sept jours, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2304957 du 17 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le juge des référés du tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier en estimant que les autorités suisses ont été suffisamment informées de la nature et de l'étendue des pathologies dont il est atteint afin d'assurer une prise en charge médicale adaptée et il s'est mépris en jugeant que son état de santé était compatible avec un transfert en ambulance vers la Suisse ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

- les mesures litigieuses méconnaissent le droit d'asile dès lors que son état de santé physique et psychologique est incompatible avec son transfert en Suisse et que les diligences effectuées par les autorités françaises ne garantissent pas une prise en charge médicale et un hébergement adaptés sur le territoire suisse, lui permettant de solliciter l'asile dans des conditions conformes aux exigences du droit de l'Union européenne ;

- pour les mêmes raisons, son transfert en Suisse porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie garanti par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au droit de ne pas subir un traitement inhumain et dégradant qui découle de son article 3, et au principe du respect de la dignité humaine.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. En vertu de l'article 29 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit règlement Dublin III, le transfert du demandeur d'asile de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée. Selon l'article 31 de ce règlement, l'Etat membre procédant au transfert communique à l'Etat membre responsable, dans un délai raisonnable avant l'exécution du transfert, les informations permettant de s'assurer que les autorités qui sont compétentes conformément au droit national de l'Etat membre responsable sont en mesure, le cas échéant en prenant des mesures immédiates, d'apporter une assistance suffisante à cette personne en tenant compte de ses besoins particuliers, y compris les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels, et de garantir la continuité de la protection et des droits conférés par le présent règlement et par d'autres instruments juridiques pertinents en matière d'asile. L'article 32 du même règlement précise que : " Aux seules fins de l'administration de soins ou de traitements médicaux, notamment aux personnes handicapées, (...) l'État membre procédant au transfert transmet à l'État membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, lesquelles peuvent dans certains cas porter sur l'état de santé physique ou mentale de cette personne. Ces informations sont transmises dans un certificat de santé commun accompagné des documents nécessaires. L'État membre responsable s'assure de la prise en compte adéquate de ces besoins particuliers, notamment lorsque des soins médicaux essentiels sont requis ".

3. Par son arrêt du 16 février 2017 C.K et autres c/ République de Slovénie (C-578/16 PPU), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que le transfert d'un demandeur d'asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article, ce qui serait le cas si le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé. Elle a également jugé qu'il incombe aux autorités de l'Etat membre devant procéder au transfert et, le cas échéant, à ses juridictions, d'éliminer tout doute sérieux concernant l'impact du transfert sur l'état de santé de l'intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l'état de santé de cette personne. Dans l'hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l'affection du demandeur d'asile concerné, ces précautions ne suffiraient pas à assurer que son transfert n'entraînera pas de risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l'Etat membre concerné de suspendre l'exécution du transfert de l'intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert.

4. M. B... A..., ressortissant kosovar, est entré en France avec ses parents au mois de janvier 2023 et a présenté une demande d'asile qui a été enregistrée dans le cadre de la procédure prévue par le règlement Dublin III et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prises pour son application. Saisies par les autorités françaises dans le cadre de la procédure prévue par ce règlement, les autorités suisses, après avoir opposé un refus le 31 mars 2023, ont fait connaître leur accord explicite au transfert de l'intéressé sur leur territoire le 21 avril suivant. Par un arrêté du 6 juin 2023, la préfète du Bas-Rhin a ordonné ce transfert, et par un arrêté du 9 juin 2023, elle l'a assigné à résidence avec ses parents dans le département du Bas-Rhin en vue de l'exécution de la mesure de transfert, initialement prévue le 13 juillet suivant. Par une ordonnance du 17 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de ces deux arrêtés au motif que celle-ci ne porterait pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées. M. A... interjette appel de cette ordonnance.

5. Il ressort des énonciations non contestées de l'ordonnance attaquée que M. A... est paraplégique et que son état de santé, notamment les escarres, la pathologie digestive, l'état de stress post-traumatique et la fragilité psychique dont il souffre, nécessite des soins infirmiers biquotidiens et un suivi médical et psychologique adapté. Toutefois, le dossier ne fait pas ressortir que le handicap et l'état de santé du requérant, qui bénéficie de l'assistance de sa mère, seraient incompatibles avec un transport par ambulance de quelques heures entre Strasbourg et Bâle et, en particulier, que son transfert entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de sa santé. En outre, il ressort des écritures en défense produites en première instance et qui ne sont pas utilement contestées en appel que le pôle régional Dublin en charge du traitement du dossier a transmis le 19 avril 2023 aux autorités suisses les données relatives à l'état de dépendance et à l'état de santé de M. A... qui ont conduit ces dernières à accepter le transfert de l'intéressé à la suite d'une demande de réexamen, puis, le 6 juillet 2023, le certificat de santé commun mentionné à l'article 32 du règlement Dublin III accompagné des mêmes données. Il ne résulte ni de l'instruction conduite par le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, ni des écritures d'appel, que les autorités suisses ne disposeraient pas de l'ensemble des informations leur permettant d'assurer la continuité des soins médicaux et infirmiers nécessaires, ainsi qu'un hébergement répondant aux besoins du requérant, afin de lui permettre de présenter une demande d'asile en Suisse dans des conditions conformes aux exigences résultant du droit de l'Union européenne. Si M. A... soutient que son état nécessite une intervention chirurgicale à court terme pour prévenir des complications au niveau digestif, l'opération correspondante, qualifiée de " semi urgence " par un certificat médical du 12 juillet 2023, n'a pas été programmée et aucun élément du dossier n'établit qu'elle ne pourrait l'être en Suisse. Il appartient en tout état de cause aux autorités françaises, préalablement à la mise à exécution effective de la mesure de transfert, dont le requérant n'indique d'ailleurs pas qu'elle aurait été d'ores et déjà reprogrammée, de veiller en tant que de besoin à actualiser les informations fournies à leurs homologues helvétiques afin de garantir le respect des exigences rappelées aux points 2 et 3.

6. Il résulte de ce qui précède que l'exécution des arrêtés litigieux ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile, au droit à la vie garanti par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au droit de ne pas subir de traitement inhumain et dégradant découlant de l'article 3 de la même convention et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, non plus qu'à l'exigence constitutionnelle de sauvegarde de la dignité humaine. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Sa requête d'appel étant manifestement infondée, elle ne peut qu'être rejetée selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris les conclusions à fins d'injonction et celles qu'il présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A....

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la préfète du Bas-Rhin.

Fait à Paris, le 1er août 2023

Signé : Alexandre Lallet


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 476413
Date de la décision : 01/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 01 aoû. 2023, n° 476413
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:476413.20230801
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