Vu la procédure suivante :
La société Exotec a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté municipal n° 8811 du 18 avril 2023 par lequel la maire de la commune de Lille a interdit la circulation des véhicules dont le tonnage est supérieur à 3,5 tonnes (sauf véhicules de collecte d'ordure ménagères et de tri sélectif et les véhicules bénéficiant d'autorisations particulières délivrées par la mairie de Lille) dans le cadre de la desserte des voies suivantes : rue Chanzy, rue Berthollet, place Alexandre Dumas, rue César Franck, rue Jean Macé, rue Claude Lorrain, rue d'Artagnan, rue Greuze, rue Chappe, rue du pont du Lion d'Or, rue du docteur A..., rue de Rivoli, rue Menu et rue Louise Bourgeois, d'autre part, d'enjoindre à la mairie de la ville de Lille de déposer les panneaux de signalisation correspondants, sous astreinte de 250 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance. Par une ordonnance n° 2305711 du 30 juin 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a suspendu l'exécution de l'arrêté du 18 avril 2023 de la maire de Lille en tant qu'il interdit la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes sur la rue César Franck, la rue Berthollet et la place Alexandre Dumas et rejeté le surplus des conclusions de la société requérante.
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 et 19 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Lille demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 30 juin 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Lille ;
2°) de rejeter la requête de la société Exotec ;
3°) de mettre à la charge de la société Exotec la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance du 30 juin 2023 est entachée d'irrégularité en ce qu'elle est dépourvue de la signature du juge qui l'a rendue ;
- l'ordonnance attaquée est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne répond pas à l'ensemble des moyens soulevés ;
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, en premier lieu, la saisine du juge des référés du tribunal administratif de Lille par la société Exotec est intervenue plus de deux mois après l'entrée en vigueur de l'arrêté municipal du 18 avril 2023, en deuxième lieu, les délais nécessaires à l'implantation des panneaux de signalisation ne permettant pas leur pose immédiate, l'arrêté reste pour l'instant inopposable et laisse inchangée la circulation des camions dans le quartier et, en troisième lieu, l'arrêté du 18 avril 2023 ne fait pas obstacle à l'entrée et à la sortie des camions sur le site exploité par la société Exotec ;
- il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie ;
- l'arrêté municipal du 18 avril 2023 n'édicte pas d'interdictions disproportionnées dès lors que, d'une part, il se fonde sur les caractéristiques géométriques des rues, les nuisances sonores et les diverses dégradations engendrées par la circulation des camions dans les rues en cause et, d'autre part, aucune autre mesure moins contraignante n'aurait pu être prise ;
- l'arrêté municipal en litige n'empêche pas l'acheminement des marchandises depuis et vers le site exploité par la société Exotec dès lors qu'il est possible d'y entrer et d'en sortir par d'autres accès que ceux actuellement empruntés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2023, la société Exotec conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la commune de Lille en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une intervention, enregistrée le 20 juillet 2023, la société Nautilus, le groupement d'intérêt économique (GIE) la Mondiale Groupe, le GIE EditPrint et la SAS General Logistics Systems concluent au rejet de la requête. Ils soutiennent que leur intervention au soutien des conclusions de la SAS Exotec est recevable dès lors que l'arrêté municipal du 18 avril 2023 en litige menace directement la poursuite de l'activité économique des exploitants du site, que l'urgence est caractérisée et que cet arrêté porte une atteinte grave et immédiate à la liberté du commerce et de l'industrie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Lille, et d'autre part, la société Exotec ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 21 juillet 2023, à 15 heures :
- Me Sebagh, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Lille ;
- Me de la Burgade, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Exotec ;
- les représentantes de la SAS Exotec ;
- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Nautilus, du GIE la Mondiale Groupe, du GIE EditPrint et de la SAS General Logistics Systems ;
- les représentants de la société Nautilus, du GIE La Mondiale Groupe, du GIE EditPrint et de la SAS General Logistics Systems ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 juillet 2023, présentée par la commune de Lille ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Par l'article 1er de l'arrêté n° 8811 du 18 avril 2023, la maire de Lille a interdit la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes sur les voies suivantes : rue Chanzy, place Alexandre Dumas, rue Jean Macé, rue Claude Lorrain, rue d'Artagnan, rue Greuze, rue Chappe, rue du Pont au Lion d'Or, rue du Docteur A..., rue de Rivoli, rue Menu, rue César Franck, rue Berthollet et rue Louise Bourgeois. La commune de Lille relève appel de l'ordonnance du 30 juin 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a fait droit à la demande de la société Exotec tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté municipal du 18avril 2023 en tant qu'il interdit, sauf exceptions limitativement énumérées, la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes sur la rue César Franck, la rue Berthollet et la place Alexandre Dumas en tant que cette place assure la liaison entre ces deux rues.
Sur les interventions :
3. La SCI Nautilus, propriétaire du site industriel exploité sur le territoire de la commune de Lille par les sociétés Exotec, GIE La Mondiale, GIE Ediprint et General Logistics Systems ne justifie pas, en cette seule qualité, d'un intérêt suffisamment immédiat et direct à intervenir au soutien des conclusions de la société Exotec. Son intervention n'est pas admise.
4. Les sociétés GIE La Mondiale, GIE Ediprint et General Logistics Systems , dont les activités économiques respectives peuvent, à brève échéance, être compromises par l'interdiction de circulation des poids lourds édictée par l'arrêté municipal du 18 avril 2023, ont intérêt à intervenir à l'instance d'appel en soutien des conclusions de la société Exotec. Leur intervention est admise.
Sur l'appel de la commune de Lille :
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
5. Il ressort des pièces du dossier d'appel que, contrairement à la copie dont la commune de Lille a été rendue destinataire, la minute de l'ordonnance attaquée est signée de son auteur. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle aurait été rendue à la suite d'une procédure entachée d'irrégularité ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
6. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte.
7. La liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie, présentent le caractère de libertés fondamentales au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, au même titre que le libre accès des riverains à la voie publique et la liberté d'aller et de venir. Par suite, la privation de tout accès à la voie publique est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés, pouvant justifier l'intervention du juge des référés saisi au titre de cet article en vue d'ordonner toute mesure nécessaire de sauvegarde.
En ce qui concerne l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que si la commune de Lille a justifié l'édiction de l'interdiction de circulation en litige en se prévalant de la circonstance, d'une part, que la circulation des véhicules de transport de marchandise sur les voies jouxtant la place Alexandre Dumas aurait pour effet de générer " des nuisances sonores et des détériorations de mobiliers urbains, incompatibles avec la sécurité des personnes et des biens, tant sur le plan de la santé, que sur le plan des troubles de jouissance " et, d'autre part, que " les caractéristiques géométriques de ces voies ne permettent pas le passage des véhicules de gros gabarit d'un poids total roulant autorisé supérieur à 3,5 tonnes dans des conditions normales de sécurité et qu'il y a donc lieu d'en interdire la circulation ", le site exploité par la société Exotec, classé depuis 1979 en zone économique UE dans le plan local d'urbanisme de la commune de Lille, comporte 18 quais de chargement dont la construction a donné lieu à une autorisation d'urbanisme délivrée par la mairie de Lille en 1998, et qui sont destinés à l'expédition des commandes de produits stockés sur place. Eu égard à la nature de l'activité déployée par cette entreprise sur ce site, l'expédition des commandes nécessite le recours à des véhicules de type semi-remorque de 44 tonnes, le flux journalier étant estimé à 6 véhicules par jour pour la seule société Exotec.
9. En second lieu, il résulte de l'instruction et notamment des éléments recueillis au cours de l'audience publique que, si le site comporte quatre accès distincts, les poids lourds de plus de 3,5 tonnes ne peuvent ressortir du site industriel exploité par la société Exotec par une voie autre que la rue César Franck dès lors, d'une part, que le contournement des bâtiments de la société pour ressortir rue Louis Braille n'est pas matériellement possible eu égard à l'étroitesse des voies de circulation interne, d'autre part, qu'une marche arrière des camions stationnés au niveau des quais poids lourds pour ressortir par la rue Louis Braille n'est pas davantage techniquement possible, non plus qu'un virage à droite sur l'avenue Virnot, située sur le territoire de la commune de Mons-en-Baroeul, une telle manœuvre étant interdite aux véhicules de plus de 3,5 tonnes par les règles de circulation de cette commune. En outre, si la commune de Lille soutient en appel que l'interdiction de circulation en litige n'est pas de nature à entraver l'activité de la société Exotec dès lors qu'il serait possible d'instaurer une boucle logistique sur le site en aménageant une sortie des poids lourds au coin nord du bâtiment par un portail latéral donnant sur la rue Louis Braille, il résulte de l'instruction et, en particulier d'un constat d'huissier établi le 12 juin 2023 que l'usage de cette sortie nécessite une manœuvre impliquant un virage serré à 90 degrés qu'aucun véhicule semi-remorque n'est en capacité d'accomplir compte tenu de l'étroitesse de la chaussée. Par suite, l'interdiction de circulation édictée par l'arrêté contesté dans les rues César Franck et Berthollet ainsi que place Alexandre Dumas en tant qu'elle assure la liaison entre ces deux voies revient à interdire toute sortie des véhicules de plus de 3,5 tonnes du site utilisé par la société Exotec et, ainsi, l'utilisation de ces véhicules sur le site qu'elle exploite, ainsi que l'a relevé le juge des référés de première instance, par une ordonnance suffisamment motivée. Si le passage de camions d'un tel gabarit en zone urbaine densément peuplée est nécessairement de nature à entraîner des désagréments pour les riverains des voies, une interdiction générale et absolue de la circulation de ce type de véhicules sur les voies concernées apparaît disproportionnée eu égard à ses effets sur l'activité économique des entreprises présentes sur site, alors, d'une part, qu'il n'est pas contesté que ces activités sont exercées en conformité avec les règles en vigueur et, d'autre part, que des mesures moins contraignantes, telles que des restrictions de circulation à certaines heures, auraient pu être édictées en vue d'assurer la sécurité des personnes et des biens.
10. Il résulte de ce qui précède que l'arrêté contesté porte à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'aller et de venir une atteinte grave et manifestement illégale en tant qu'il interdit la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes rue César Franck, rue Berthollet et place Alexandre Dumas, ainsi que l'a relevé à bon droit le juge des référés de première instance.
En ce qui concerne l'urgence :
11. Eu égard à ce qui a été dit au point 10 quant aux effets de l'arrêté contesté sur l'activité de la société Exotec, qui nécessite un recours à des poids lourds pour l'expédition des marchandises stockées sur son site lillois, et dès lors que les panneaux de signalisation correspondant aux interdictions de circulation contestées sont susceptibles d'être apposés incessamment par la Métropole européenne de Lille sur les voies concernées, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.
12. Il résulte de ce qui précède que la commune de Lille n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance dont elle relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a suspendu l'exécution de l'arrêté de la maire de Lille du 18 avril 2023 en tant qu'il s'applique aux voies mentionnées au point 8.
Sur les frais du litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Exotec, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à la commune de Lille la somme que cette dernière réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Lille la somme de 3 000 euros à verser à la société Exotec en application de ces mêmes dispositions.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'intervention de la SCI Nautilus n'est pas admise.
Article 2 : Les interventions des sociétés GIE La Mondiale, GIE Ediprint et General Logistics Systems sont admises.
Article 3 : La requête de la commune de Lille est rejetée.
Article 4 : La commune de Lille versera une somme de 3 000 euros à la société Exotec en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Exotec est rejeté.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Lille et à la SARL Exotec.
Copie en sera transmise pour information à la SCI Nautilus, au GIE La Mondiale, au GIE Ediprint et à la société par actions simplifiées General Logistics Systems.
Fait à Paris, le 25 juillet 2023
Signé : Benoît Bohnert